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Billet de blog 4 novembre 2024

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Nekfeu ou le mythe bien toxique du « mec bien »

Alors que cette nuit, l’avocate de l’ex-femme de Nekfeu, Florence Fekom, faisait part de la plainte déposée pour « violences psychologiques, sexuelles et physiques durant leur relation, soit pendant près de 4 ans », beaucoup s’en étonnent ce matin sur les réseaux sociaux. À croire que le mythe du « mec bien » a la peau dure malgré toutes les affaires prouvant le contraire.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

De nombreux signes étaient pourtant sous nos yeux, depuis le début tant dans ses textes que dans son marketing autour du fait qu’il était LE mec bien du rap français (sous entendu tous les autres sont des ordures). Cet archétype très souvent mis en avant pour contrer une “masculinité toxique” qui en serait l’inverse, n’est autre qu’une nouvelle production du patriarcat pour maintenir sa violence au sein des couples.

Malheureusement, cette affaire en est la énième preuve. Se donner les allures d'un mec respectueux et à l'écoute ne fait pas la réalité. L'habit de sainteté n'est pas gage de bonne foi et l'affaire Abbé Pierre aurait déjà dû nous en alerter. 

Illustration 1

De nombreux indices dès ses premiers textes

Contrairement à ce que beaucoup ont voulu nous faire croire, M. Samaras, aka Nekfeu, n’est clairement pas le mec formidable, respectueux des femmes que les médias tant spécialisés que mainstream ont voulu voir en lui. Comme souvent, le rappeur, blanc, se retrouve porté aux nues vu qu’il aurait une plus belle plume que d’autres et surtout qu’il fraie désormais avec la grande famille du cinéma, bien connue pour être au dessus de tout soupçons.

Tout nous sépare - avec Catherine Deneuve, Nekfeu - Bande-Annonce © Mars Films

Mais quelle est elle cette plume hors pair dessinée par les anciens du game et saluée par les puristes ? Régulièrement cité pour être au dessus de la mêlée, sans voir le mépris de classe sous entendu, voire le racisme, adoubé par les institutions républicaines, étudié à l’école parce que “respectable”, le jeune homme de 34 ans aujourd’hui, a réussi à faire oublié certaines phases de ses premiers textes. A moins que son talent éclipse totalement la misogynie ? En France, tout est possible à ce niveau là, la fameuse exception culturelle française...

Alors qu’il était encore membre du groupe 1995, joli boysclub déjà en 2011, il exprime clairement son rapport au viol en expliquant : “je n'hésite pas à te ken ne résiste pas ma belle”. Plutôt explicite comme lyrics. 

La même année sur son morceau solo “Dans ta ressoi”, il nous disait en toute détente : “ tu vois mes mains qui se baladent et la pute est ta frangine”. Cette glorification d’une agression sexuelle passait alors crème dans le monde du spectacle et des paillettes. Toujours cette même année dans Flava in Ya Ear avec 1995 il glissait dans son couplet : “J’ai l’pire profil : illogique, toxico, misogyne aussitôt dit horrible/Mais qui profite aux filles, ces coquines hypocrites”. Des erreurs de jeunesse certainement, n’est ce pas ? 

Nekfeu ft. Alpha Wann (1995) - Dans Ta Réssoi (prod. Juliano) © 75e Session

Sauf qu’en 2014, il réitère avec l’Entourage sur Les Rois : “jolie fille dans l'auto enleve tes sapes et suce mes khos” et l’année suivante en solo sur Mal Aimé, il nous dira : “Si certaines sont des chiennes moi je n'suis qu'un cerbère”. Mâle dominant, surveillant son cheptel, joli vision des femmes et des partenaires sexuelles, d’autant que plus loin sur le même titre, il enchaîne avec “Je sais qu'tu fais la salope juste pour faire l’intéressante”. 

Enfin, dans un freestyle donné avec le S-Crew à l’occasion du planète Rap pour la sortie de Feu (Risibles Amour) en 2015, il explique dès l’intro de son couplet qui démarre le son : "Pour séduire une fille, tout peut marcher, sauf être un garçon bien”. 

Nekfeu, S-Crew, Dosseh, PLK, Panama Bende, Deen Burbigo, Doums, Jazzy Bazz, Eff gee & Co #PlanèteRap © SkyrockFM

Bref, comment ne pas voir déjà que le jeune homme alors âgé de 25 ans n’en était pas à son coup d’essai ? Comment ne pas y lire un scénario prémonitoire de ce que son ex femme aurait potentiellement subi au cours de sa grossesse l’amenant à s’en séparer avant la naissance afin “de protéger leur enfant”? 

Des textes voir des albums entiers sur ses ex

En plus de ces indices distillés dans ses premiers textes, force est de constater que ses ex ont souvent été pour lui une source d’inspiration. Bien sûr, il est loin d’être le seul, mais cette pratique devrait nous interroger. Comment mieux maîtriser le narratif d’une séparation (privée) qu’en la rendant publique à travers un album sans jamais que l’autre ne puisse y répondre ? Quelle meilleure manière de distiller mensonge, diffamation, revenge porn ou autres formes d’insultes publiques sans craindre de tomber sous le coup de la loi qui protège la sacro sainte création ? 

Que ce soit dans Egerie ou Princess, le gars aime à nous rappeler combien il est gentleman “Même sous jet lag, j'reste un gentleman... Menteur !” (Egerie, Feu, 2015), mais aussi son amour pour la souffrance de l’autre : "J'aimais la tristesse dont tu portes les traces” dans Princesse issu du même album. En somme, le jeune homme tire une certaine fierté de sa capacité à faire pleurer les femmes, à les faire souffrir, comme un vrai, un dur, un alpha quoi. 

Nekfeu - Princesse ft. Nemir © NekfeuVEVO

On pourrait mettre ça sur le compte d’une certaine immaturité, mais il pousse le curseur encore plus loin dans Paradis Artificiels avec GroMo en 2022 : "Merci mes ex pour les travaux, maintenant je vous laisse entre vous” pour poursuivre ensuite par "J'veux pas m'faire berner par les passions d'ce bas monde (Bas monde, bas monde)/Amoureuse de toi-même, t'aimais qu'une image/Se donner rendez-vous pour se séparer, se parler, retomber amoureux l'heure d'après/Puni par cette flamme que je n'osais éteindre, c'est pareil donc on s'venge pendant nos étreintes”.

GROS MO - PARADIS ARTIFICIEL feat NEKFEU (En'Zoo Prod) #GZSC © GROS MO

Déjà, si des ex doivent se réunir pour faire le point, c'est rarement que le gars est un bon, mais plutôt pour confronter des expériences qui semblent à toutes problématiques. 

D’autant qu’avec les infos dont nous disposons aujourd’hui, ce son résonne étrangement. Aussi, cette manière de considérer ses ex comme un tout, de les mettre ainsi dans “le même sac” sans distinction pour chacune, sans respect et considération donc pour elles qui sont des individus avant d’être ses ex, est clairement problématique. 

Enfin, ce qui est décrit est clairement violent : refus de l’amour en mode loup solitaire (très très toxique, voir un peu MGTOW : Men Going their Own Way qui participe du mouvement masculiniste), déconsidération de son ex qui serait donc égocentrique et narcissique (jolie perception misogyne des femmes), revenge sex explicite, jeu du chat et de la souris… Un joli florilège de tout ce qu’il y a de plus néfaste dans les relations amoureuses érigé en système de prédation. 

Le masculinisme envahi les réseaux sociaux © TV5MONDE Info

Et pourtant présenté comme un mec bien

Malgré tout cela, sous nos yeux depuis le début de sa carrière, le gars est considéré comme LE mec bien du rap français. Etrange, en effet, mais pourtant vrai. A croire qu’un taux de mélanine bas fait passer toutes les inepties, comme cette douille ultime dans mauvaise Graine en 2016 (album Cyborg) : “On les taquine, mais les femmes on les respecte, ne crois surtout pas qu'on aime cette image dégradante. C'est super triste, moi je pense à ma soeur, la meilleure supportrice tout en haut des gradins.”

Mauvaise graine © Nekfeu - Topic

N’écoutant que son courage, le gars ose donc nous dire qu’il respecte les femmes (sans aucune précision à ce propos d’ailleurs, ce qui est un grand classique du genre : respecter les femmes dans l’absolu, mais pas dans le réel). Ce respect, il le doit au fait…. Wait for it… qu’il a une soeur et une mère. Autrement dit, sans elle, pas de respect. Cet argument si souvent mis en avant doit impérativement nous interroger. Si respect des femmes il y a, c’est de toutes les femmes, pas juste celles que je connais, pas juste parce que je me sens obligée de les respecter parce que j’en ai dans mon entourage. 

C’est un peu trop facile et proche du el famoso “j’ai un ami noir”. Connaître et côtoyer des femmes ne fait pas le gentil garçon, avoir une fille, une soeur ou quoi que ce soit d’autre n’empêche pas la violence. Pour s’en assurer, se référer à l’affaire Pélicot en cours. D’ailleurs, dans Koala Mouillé issu d'Etoiles Vagabondes, trois ans plus tôt (2019), il disait déjà être toxique, mais enrobé de manière à ce que beaucoup y voit un aveu de faiblesse, de vulnérabilité, un mec déconstruit quoi ! "Avec les femmes de ma vie, le langage reste codé, comme d'hab on finit par détruire ceux qu'on aime”. 

Sauf que ce type de déconstruction pour toujours mieux maintenir sa masculinité toxique, on connait.  C’est déjà ce que Grégoire Simpson décrivait à propos d’un autre blanc qui fait les choux gras du mainstream : Ben Nevert. 

Ben Névert est-il vraiment féministe ? (Léo Thiers-Vidal et la sociologie du proféminisme) © Gregoire Simpson

En somme, méfions nous toujours de qui se fait passer pour le mec bien, l’homme providentiel, le mec déconstruit. C’est très souvent une grosse entourloupe pour mieux faire passer sa violence en privé. Ce genre de types vous séduisent par leur façon d’être absolument différent des autres, vous donnent à voir exactement ce que vous attendez, se servent de tout le savoir féministe (acquis par des femmes qui ont fait le taff pour eux) pour mieux manipuler et ferrer leur cible.

Une fois amoureuse, la violence s’exprime peu à peu dans l'intimité pour gagner en force avec le temps. Cette image devient impossible à déconstruire tant celle du "mec bien" est tenace et cette stratégie participe de l'agression elle même. Ce genre de profil aime se donner une image de mec bien, mais se révèle souvent des ordures en privé, agitant toutes les techniques de séduction des coachs en la matière, sans jamais être inquiété pour leur violence masquée par une image bien rôdée.

Bien sûr, la justice tranchera pour Nekfeu et ce n'est pas à nous de le faire, mais si nous pouvions nous interroger sur les icônes que nous portons aux nues et qu'on érige en "mec bien" alors même que tout porte à croire le contraire, peut être que ça peut sauver des vies. 

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