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Billet de blog 14 juillet 2023

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Et si le salut du rap était dans le féminisme ?

Dernièrement, le milieu du rap réalise qu'il est gangréné par des auditeur.ices très éloigné.e.s de l'antiracisme initial. Certains s'interrogent sur leur responsabilité en la matière, sauf que la plupart occulte une partie du problème en se focalisant sur les discours ouvertement racistes au lieu du cheval de Troie complotiste/masculiniste qui se déploie aussi vite que l'achat de streams.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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Depuis la mort de Nahel, le rapgame est en ébullition. La plupart des auditeur.ice.s découvre avec stupeur que le game est gangréné par des fafs (abréviation de : France aux Français) en tout genre. Entre celleux qui financent la cagnotte de 1,6 millions d’euros organisée pour le policier ayant tué Nahel (et remise à sa femme), celleux qui considèrent normal que des « journalistes » rap restent silencieux sur le sujet des violences policières pour rester focus sur les chiffres de vente et celleux qui ne voient pas le mal aux communications et autres sorties problématiques de Freeze, Vald ou Booba, le monde du rap a perdu la tête.

Et c'est dans ce contexte que certains sont sortis du bois assumant leur parti pris politique et raciste tout en bossant pour des équipes racisées. 

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Sauf que cette tendance n’est pas nouvelle et ce n’est pas parce que certain.es se réveillent aujourd’hui qu’il n’y a pas péril en la demeure depuis belle lurette. Ce n’était pas faute de vous en avoir prévenu dans un livre dédié à la question (aux éditions Payot) mais qu’étonnamment la plupart des médias rap n’ont pas évoqué. Au-delà de l'invisibilisation classique des femmes dans l'histoire de l'art, c'est surtout un refus du sujet traité qui est ici manifeste.

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Bien sûr, leur responsabilité y est pointée. En tant que prescripteur.ice.s d’abord mais aussi en tant qu’idoles des jeunes puisque les « journalistes rap », entre guillemets car cette fonction a une déontologie que la plupart ignore, sont devenu.es des « idoles » des jeunes allant jusqu’à animer des soirées en festival plus que d’informer sur la réalité du game. L'idée c'est de faire kiffer, surtout pas de politiser.

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Nous y voilà, le rôle d’un média est d’informer, pas de servir la sauce aux financeurs à moins de faire table rase de la déontologie au profit du… profit… et des grands patrons du groupe Bolloré pour la télé ou d'Universal pour la musique. Informer, c’est donner des outils pour comprendre le monde, apporter de la contradiction, du débat, de la réflexion et pas seulement relayer les buzz et frasques de bouffons déguisés en rois.

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Cette réalité,  c’est celle d’un monde focus sur les chiffres de vente pour espérer plaire à des finaneurs et des marques prêtes à tout pour se faire connaître auprès du public le plus friable et le plus à même de s’imposer au sein du foyer : les ados. Résultat, les médias rap les draguent à grands renforts de stéréotypes et de clichés.

Ce faisant, ils agissent comme les influenceur.euse.s en se focalisant sur leur chiffres et leur visibilité plus que sur les thèmes abordés en espérant bénéficier d’une proposition de collaboration (d’un placement de produit quoi !) pour des sommes bien inférieures à celles proposées aux professionnel.le.s du digital marketing.

Surtout que ces médias rap font pâle figure et ressemble davantage à des gagnes petits qu’à des stars à Dubaï.

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Cette façon qu’a le game de se confondre de plus en plus avec la téléréalité, c’est un des travers que la plupart des médias occulte. La guerre de l’ourson contre les influvoleurs n’est que la face émergée de l’iceberg, car le monde du rap et le monde de la TVR se rapprochent drastiquement comme le rap et le porno fut un temps… S’il est occulté par les médias c’est que la plupart des équipes qui les composent n’y voit pas de mal. Bien au contraire, iels trouvent ça fun et ça fait de la vue, donc tout va bien.

Le développement drastique des youtubeurs rap qui développent des formats crossover avec des gros noms de la toile auraient dû déjà nous alerter. Mais non, cela a fait son chemin pour s’imposer comme un genre à part entière. Le jeu a remplacé l’info et la course au « meilleur concept » (entendre le concept qui fait le plus de vue, le plus pute à clic) rend le rapgame vraiment aseptisé niveau politique. Tout le monde devient rappeur.euse en puissance et le rap perd son sens.

On juge le merch des rappeurs avec @Vinceeh (Hamza, 667, Ashe22...) © RASKA

Sauf que derrière cela, c’est le grand retour de la réaction au sens fort. Celle qui refuse toute évolution des mœurs, toutes formes d’émancipation en somme. Car oui, le progrès ce n’est un truc de bourgeois que pour les fafs. Disons-le, la bourgeoisie n’a aucun intérêt à perdre ses privilèges associés que sont le privilège blanc et le privilège masculin (oui ça va ensemble). Seul.e.s les fafs considèrent que l’émancipation est un truc de bourgeois (ou d’occidentaux, c’est kiffkiff). La bourgeoisie voit d’un très bon œil le maintient de son privilège qui lui octroie le « permis de s’envoyer en l’air, valable sur la terre entière » comme l’évoque Chilla dans Si j’étais un homme.

Chilla - Si j'étais un homme (Clip Officiel) © ChillaMusicVEVO

C’est au contraire la chute de ces privilèges qui la terrifie. Sans ces privilèges, alors les portes du monde ne lui seraient plus ouvertes et plus difficile de conquérir les espaces qui ne lui appartiennent pas, de s’approprier les cultures qui ne sont pas les siennes. Et le rap en fait parti. Précisément, le rap a été non seulement gentrifié, il a été fascisé.

Ca, c’est bien différent d’une « simple » gentrification que les sociologues observent toujours avec 20 ans de retard. Il a été fascisé à refuser de voir qu’il véhiculait des caricatures sexistes d’abord qui n’ont d’autres fonction que de faire passer crème un discours fascisants sur les rôles sexués, genrés où la « nature » serait à l’alpha et l’omega d’un monde en perdition. C’est en effet, la base même du fascisme que de vouloir absolument baser les relations humaines sur les rapports dits « naturels », c’est-à-dire, tels qu’ils seraient observés dans la nature et en faisant de la biologie humaine la référence ultime.

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En somme, le fascisme est à nos portes lorsqu’aucun média rap ne s’insurge de certaines prises de position très problémaitques de qui se prétend Duc de Boulogne.

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L’enjeu même de la civilisation et de l’humanité tient au fait de s’émanciper de sa nature, ne pas y rester coller, engluer en elle. Notre nature est d’ailleurs loin d’être immuable comme le montre les évolutions transgénérationnelles. L’enjeu de l’humanité, le propre des humains (comme des autres animaux d’ailleurs), c’est l’adaptation, donc le changement.

Sans mouvement, sans évolution (sans la qualifier de positive ou de négative), plus d’humanité. Le recours permanent à la « tradition » est donc une façon de nier le développement nécessaire de l’humanité pour continuer d’exister, survivre. Elle réside même précisément dans le mouvement, cette humanité et non dans le statu quo. Elle tire sa vivacité de son évolution, de son dynamisme pas de son maintien à l'identique justement. Etre humaniste c'est donc privilégier le sujet de droit aux forces de l'ordre, comprendre que la force physique ne fait pas la valeur et que le recours à la nature est source de repli et de régression. Pour rappel, la théorie fasciste et la théorie nazie se fondent sur le culte du corps, de la force et des muscles... Bref, sur le virilisme.

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L’humaniste, au contraire, se révolte, s’insurge, se réveille et critique les injustices. Il agit pour l’ensemble des humain.e.s et non pour celleux qui lui ressemble, il reconnaît tout le genre humain et n’en exclut aucun.e. Il n’y a absolument rien de HipHop (donc de rapologique) à promouvoir la haine de l’autre. Que cet autre soit LGBT, non blanc, femme ou pauvre, il n’en reste pas moins un autre à respecter absolument. Or, aux yeux du blanpatriarcapitalisme, l’humanité ne vaut qu’à condition d’être blanche (preuve en est la négation pure et simple du statut de mineur de Nahel par la justice et de nombreux médias), bourgeoise (entendue ici comme éduquée comme le prouve le nombre de discours nauséabonds sur la responsabilité des parents et leur soi disant « incapacité à faire autorité sur leurs enfants »).

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Sauf que la responsabilité est un exercice collectif où chacun.e tient sa part. Elle ne s’arrête pas à accuser l’autre, mais à s’interroger sur l’exemple que nous donnons. Si les parents sont responsables de leurs enfants, le gouvernement l’est du peuple et les médias rap sur les auditeur.ice.s. Et quel est cet exemple qui est donné aux enfants justement ? Ces enfants qui sont souvent des auditeur.ice.s de rap, rendant ce genre le plus populaire à l’heure actuelle ? Une musique "pas faites pour 100 personnes mais pour des millions", populaire en somme, que certain.e.s cherchent d’ailleurs à rendre responsable des événements actuels… Le serpent qui se mord bien la queue…

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Non, le rap n’est pas « responsable » des événements actuels, mais en est la bande son depuis maintenant presque trente ans… Une génération en somme qui a vu ses potes mourir sous les balles de la police, a grandi en ayant peur d’être pris pour cible et de devoir dire au revoir à des proches tué.e.s par cette police censée protéger l’intégralité de la population et non terroriser une de ses parties (celle qui vit dans les quartiers les plus abandonnés et les moins agréables).

Toctoc © NAYRA - Topic

Mais le rapgame a sa responsabilité. Non pas dans les violences réactionnelles, mais dans la montée d’un fascisme qui ne dit pas son nom et s’encanaille sur des sons rap comme ceux de Jul, de Naps, de PNL ou d’Alkapote.

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Désormais, être de droite, voire d’ExD et écouter du rap ferait bon ménage. Il n'y a ne serait-ce que dix ans, c’était encore impossible. Etre rap, c’était être HipHop et donc inclusif, ouvert, plutôt empreint d'idéaux dits de gauche...

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Sauf que le rapgame a cru bon de faire passer la culture pour un pur divertissement, le game pour un terrain de jeu d’ados attardés en mal de conquêtes féminines, les valeurs pour des épouvantails. Ce rapgame a donc laisser passer sans voir le mal des propos dangereux qui vont de l’homophobie, à l’antisémitisme en passant par la haine des femmes (étrangement là aussi ça va ensemble) sous couvert d’être anti-système. Le tout arrosé de théorie du complot sans voir que le système va précisément dans leur sens : contre toute forme d’émancipation des groupes opprimé.e.s.

© Joaq φ/🏴‍☠️

Le loup est bien dans la bergerie, que nous le voulions ou non. Ce loup a un nom : le masculinisme et ses dérivés comme les discours d’incels, MGTOW, pick up artists ou autres tenants des théories de Patterson et/ou Tate. A ne pas voir que le ces thèses réactionnaires vont à l’encontre d’un antiracisme authentique en véhiculant des clichés sur les femmes, les hommes et les cultures en les essentialisant, c’est une porte qui a été ouverte aux fascistes en tout genre qui viennent désormais s’installer dans nos salon (nos spaces, lives et fils de réseaux sociaux) à longueur de posts, de commentaires et de prises de pouvoir. Le pire, c'est qu'il se sentent désormais légitimes et trop peu d'entre nous ne leur ont dit clairement le contraire.

Et c'est ainsi qu'une partie du public se déclare ouvertement de droite, sexiste et raciste quand elle ne fait pas carrément preuve de mépris de classe. 

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Lutter contre le fascisme grandissant dans le rapgame est donc non seulement une nécessité, mais une priorité pour tous médias dignes de ce nom. Faire l’impasse sur le sujet, aujourd’hui, c’est le cautionner. Sauf que cette lutte ne peut se contenter de quelques réflexions générales sur le sujet, un ou deux tweets ou des textes individuels diffusés par-ci par-là. Elle suppose de débusquer les discours fascistes partout où ils sont, surtout ceux qui font de la force, de la nature et de la virilité le cœur de la civilisation… Bref, le discours mascu.

Ce discours s’accompagne aussi d’un imaginaire où seuls les hommes sont habilités à prendre la parole, à se donner à voir dans les clips, à exister dans ce monde. Alors oui messieurs, il va falloir que vous laissiez la place à ces dames qui vous coupent moins la parole mais s’y connaissent souvent bien mieux que vous en rap, que vous acceptiez de diffuser des femmes artistes même si vous estimez que ça ne fera pas de clics. Bref, que vous sortiez de vos représentations archaïques qui ne vous honorent vraiment pas. La place des femmes est dans les médias rap, sur la scène, aux postes de décisions et pas à la COUIZINE.

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Tant que vous, messieurs du game, que vous soyez artistes, influenceurs, médias ou juste impliqués dans l’industrie ne ferez pas le ménage autour de vous en débusquant les agresseurs, les harcèleurs et autres comportements sexistes et toxiques, rien ne bougera. Et pas la peine de venir nous chercher quand ce sera trop tard et que vous aurez compris que votre gâteau est gâté faute d’avoir suffisamment cuisiné vos potes.

La droitisation du game est en marche depuis les années 2000, elle n’est pas nouvelle et vous en êtes les premiers acteurs à trouver normal les blagues entre couilles, le mode boysclub, les petits arrangements entre amis et autres dérives si chère au système de domination dans son ensemble (masculine, blanche et bourgeoise).

Alors, une petite dose de féminisme dans le rap ne serait vraiment pas de trop en fait...

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