Le parquet général de Papeete s'apprète à demander la levée de l'immunité parlementaire du sénateur Gaston Flosse, affirme le quotidien Les Nouvelles de Tahiti dans son édition de samedi 4 juillet 2009. Selon le journal, l'instruction dans le cadre de l'affaire de l'annuaire OPT révèlerait que, de 1993 à 2005, l'homme d'affaires Hubert Haddad aurait versé 145 millions de francs Pacifique (1,2 million d'euros) de pots de vin à l'ex-président du pays pour s'assurer des marchés publicitaires publics de la Polynésie française.

Gaston Flosse (à gauche), sénateur de la Polynésie française (réélu en septembre 2008, non inscrit) et ex-président du pays, a passé une semaine agitée. Mardi, le siège de son parti politique à Papeete a été perquisitionné. Mercredi, sa secrétaire personnelle, Melba Ortas, a été placée en détention provisoire à la prison de Nuutania (Tahiti), à la suite d'une mise en examen pour recel d'abus de biens sociaux, abus de confiance et corruption active dans le cadre de l'affaire OPT (Office des postes et des télécommunications de la Polynésie française). Et samedi, les Nouvelles de Tahiti ont affirmé que Melba Ortas aurait confirmé lors de son audition avoir joué le "rôle régulier de porteuse d'enveloppes pleines de grosses coupures en liquide, à l'ancien tout puissant président de la Polynésie". Montant cumulé des pots de vin versés par Hubert Haddad à Gaston Flosse pendant douze ans : 145 millions de francs Pacifique (1,2 million d'euros), avance la rédactrice en chef du quotidien polynésien, Muriel Pontarollo.

Hubert Haddad (à droite) est le PDG du groupe 2H, "leader mondial des annuaires téléphoniques en Afrique et en Asie". Plusieurs de ses sociétés oeuvrent à Tahiti dans la communication. Sa filiale Yellow on line a été, de 2002 à 2005, chargée de la régie publicitaire de l'annuaire de l'OPT. Fin 2008, la chambre territoriale des comptes de la Polynésie française a publié un rapport sur les comptes de l'Office des postes et télécommunications du pays : "La gestion de l’OPT a laissé libre cours à une gabegie fort dispendieuse pour les finances de l’établissement public. (...) L’OPT s’est montré très laxiste dans la perception des recettes. (...) Le mandataire chargé de la régie publicitaire de l’annuaire officiel de la Polynésie française n’a pas respecté, depuis 2002, les engagements contractuels de reversement du chiffre d’affaires collecté. L’Office, qui n’a réagi que tardivement en faisant preuve d’une passivité suspecte dans la défense de ses intérêts, a curieusement signé un nouveau contrat pour une année qui a été, au mépris des règles d’égalité des candidats et de transparence, prorogé pour trois années supplémentaires. Ce n’est qu’au cours de l’année 2007 que l’OPT a cessé de confier la régie publicitaire de l’annuaire à ce groupe." (page 5) "La chambre constate que le mandataire a joui d’un ménagement remarquable dans le traitement de ce contentieux qui peut s’expliquer par les nombreuses autres relations commerciales que l’OPT entretenait avec lui. Ainsi, le 17 mars 2004, alors même que le groupe Haddad accusait un retard de reversement pour une somme supérieure à 200 millions de francs Pacifique au titre des annuaires 2002 et 2003 qui ne peut, en raison de sa nature, en aucun cas être compensée, l’OPT décidait de racheter sans hésiter, pour 335 millions de francs Pacifique, l'immeuble Shangrila, propriété de la SCI FSJHMC, gérée par M. Hubert Haddad. Le lendemain, l'OPT accordait un échéancier de règlement de la dette qui ne sera d’ailleurs pas honoré. De la même manière, l’Office continue d'acheter à différentes sociétés du groupe Haddad des emplacements publicitaires pour plusieurs dizaines de millions de francs Pacifique par an." (page 44)
Selon la juridiction financière, "la société Yellow on line reste redevable de 436 millions de francs Pacifique". Additionnés aux 335 millions de l'achat de l'immeuble Shangrila, le préjudice en défaveur de l'OPT avoisinerait les 800 millions de francs Pacifique (6,7 millions d'euros). Ce rapport accablant a été transmis fin 2008 au parquet de Papeete, qui a ouvert une information judiciaire.
L'enquête des juges d'instruction Philippe Stelmach et Jean-François Redonnet a déjà conduit à la mise en examen d'Alphonse Teriierooiterai et Geffry Salmon, anciens dirigeants de l'Office des postes, Michel Yonker, ancien directeur de Yellow on line, Simon Bénichou, ancien gérant du Club éditions Polynésie, autre filiale du groupe 2H, et Emile Vernaudon, ancien ministre polynésien en charge de l'OPT. Les trois premiers sont en détention provisoire, les deux derniers sous contrôle judiciaire.
Hubert Haddad a été arrêté à Paris début juin, transféré à Papeete, mis en examen pour abus de confiance, abus de biens sociaux, recel de favoritisme et corruption active, et placé en détention provisoire à Nuutania le 12 juin dernier.
Un nouveau volet de l'affaire dite de "l'annuaire OPT" a été ouvert cette semaine avec la mise en examen et l'incarcération de la secrétaire personnelle de Gaston Flosse. Samedi, les Nouvelles de Tahiti annonçaient sous le titre accrocheur "145 millions de pots de vin" qu'un dispositif de corruption aurait été révélé par l'instruction, notamment grâce au témoignage de Melba Ortas. "La mise à jour d’un système bien huilé de versement périodique de pots de vin directement à Gaston Flosse, par l’intermédiaire de Melba Ortas d’une part, mais aussi de Michel Yonker de l’autre, relève du véritable réseau de financement parallèle", écrivait le quotidien, ajoutant : "Le parquet général de Papeete transmettra une demande de levée de l’immunité parlementaire du sénateur Flosse à la ministre de la Justice en ce début de semaine."
Dans un communiqué publié samedi sur le site internet de son parti politique, Gaston Flosse a réagi : "De deux choses l'une, ou bien ces informations sont issues du dossier d'instruction et leur divulgation constitue le délit de violation du secret de l'instruction. Ou bien ces informations ne participent que d'une opération d'acharnement médiatique et constituent le délit de diffamation. Dans les deux cas, je ne manquerai pas de donner les suites judiciaires qui s'imposent."
Le sénateur de la Polynésie française subit les assauts de plus en plus rapprochés de la justice. La cour correctionnelle d'appel de Papeete jugera jeudi 16 juillet l'affaire des sushis de la présidence pour laquelle l'ancien homme fort du pays avait été condamné en première instance pour détournement de fonds publics. Par ailleurs, les juges d'instructions de Papeete ont rendu leur ordonnance de renvoi dans le dossier historiquement lourd des emplois fictifs de la présidence de la Polynésie française pour lequel un procès pourrait s'ouvrir début 2010...