La France s'intéresse soudain de près au patrimoine de l'un de ses territoires les plus éloignés: l'archipel des Gambier, à 1.700 km au sud-est de Tahiti. Pendant que le musée du Quai Branly consacre une exposition à l'art traditionnel de Mangareva, le ministère de l'outre-mer envoie un architecte des monuments historiques restaurer la cathédrale de Rikitea.
C'est l'occasion de redécouvrir à la fois la culture pré-européenne et l'histoire de la colonisation chrétienne de ce lointain bout de France.
Les premiers hommes qui s'installent aux Gambier sont probablement des navigateurs marquisiens, à bord de pirogues de haute mer, durant le XIIIème siècle. A l'extrème sud-est de ce qu'on appelle aujourd'hui la Polynésie française, ils découvrent un tout petit archipel, formé d'une barrière de corail longue de 90 km renfermant dans son lagon 14 îles hautes. Sur ce petit coin de paradis protégé de la fureur de l'océan, ils développent une langue, le mangarévien, et une culture originale. De la vie des Polynésiens de Mangareva avant l'arrivée des Européens, on sait peu de choses. Et les témoignages les plus abondants sont ceux, justement, des missionnaires.
Le 24 mai 1797, le navigateur britannique James Wilson, en route vers Tahiti avec la London Missionary Society, aperçoit l'archipel et le baptise du nom de son mécène, l'amiral John Gambier. Trente ans plus tard, en 1826, l'explorateur Frederick Beechey est le premier européen à y débarquer. Il y rencontre environ 5000 habitants répartis sur les quatre îles principales de l'archipel. Après Beechey, les bateaux européens affluent, pour le commerce, le ravitaillement, mais surtout pour l'évangélisation. En 1834 est fondée la première mission catholique de Polynésie, dirigée par le père Honoré Laval et le père François Caret.
Dès leur arrivée, ces deux clercs français mettent un soin particulier à faire disparaître toute trace des divinités païennes. Ils détruisent les idoles, les statues représentant les dieux polynésiens, et les marae, les sanctuaires sacrés où se déroulaient les cérémonies traditionnelles religieuses, politiques et sociales. Mais ils prennent quand même la précaution de mettre les plus belles pièces de côté. En 1836, par exemple, le père Caret envoie à Paris une malle contenant des statues de divinités païennes, notamment le dieu Rao, aujourd'hui exposé au musée du Quai Branly (photo ci-contre). La même année, le roi de Mangareva Te Maputeoa est baptisé et renommé Grégoire Stanislas, en hommage au pape Grégoire XVI.
En même temps qu'ils effacent avec méthode toute trace de la religion polythéiste, les pères Laval et Caret imposent le monothéisme par le labeur. A un rythme effréné, au prix de travaux forcés et d'une forte diminution de la population en cinquante ans (463 habitants en 1887), ils organisent la construction d'édifices religieux. Plus d'une centaine sont érigés sur tout l'archipel, notamment une cathédrale pouvant accueillir un millier de fidèles. Edifiée entre le 17 janvier 1839 et le 15 août 1841 sur un ancien marae en plein coeur du village, la cathédrale Saint-Michel de Rikitea mesure 48 mètres de long, 18 mètres de large et 9 mètres de hauteur. Les deux clochers, hauts de 20 mètres, sont construits entre le 13 août 1853 et le 5 novembre 1854. Ce monument laisse pantois les visiteurs qui débarquent aujourd'hui sur cette toute petite île.
La cathédrale de Rikitea en 1999 (à gauche) et en 2008 (à droite).
Pierre-Antoine Gatier, architecte des monuments historiques qui l'a étudié en octobre 2008, a salué "un ouvrage exceptionnel" et "un savoir-faire remarquable". La cathédrale est construite en pierres de corail recouvertes d'une enduit à la chaux corallienne, sa charpente est tirée de l'arbre à pain et sa voûte est tissée en roseaux. Classée monument historique par le gouvernement polynésien le 30 juillet 2002, la cathédrale Saint-Michel de Rikitea a été fermée au public début 2005 pour travaux. Ceux-ci sont suspendus depuis fin 2006 mais la cathédrale est toujours fermée, car en très mauvais état (voir photos ci-dessus). Un gros chantier de rénovation de la cathédrale de Rikitea va démarrer en septembre 2009, sous la baguette de l'architecte Pierre-Antoine Gatier. Ils devrait durer deux ans. La convention de financement portant sur une enveloppe de 4,5 millions d'euros de travaux a été signée jeudi 5 février à l'évéché de Papeete.
Si l'histoire de la christianisation de l'archipel des Gambier paraît brutale, elle est désormais complètement intériorisée par les Mangaréviens eux-mêmes. En août 2008, l'association Sauvons la cathédrale de Rikitea, dirigée par un prètre catholique polynésien, a reuni plus de 1500 signatures pour réclamer la restauration de cet édifice, alors que les îles Gambier comptent aujourd'hui 1337 habitants.
Crédits photos : Wikipedia, Musée du Quai Branly, Service de l'urbanisme de la Polynésie française.
Lire aussi :
Jean-Paul Delbos, La Mission du bout du monde : la fantastique aventure des bâtisseurs de cathédrales dans l'archipel des Gambier, Éditions de Tahiti, Papeete, 2002.