La crise. Il n'y avait pas de raison que l'onde de choc n'atteigne pas Tahiti. La Polynésie française a subi en fin d'année 2008 un sérieux ralentissement de son activité économique, notamment dans le domaine du tourisme. Le pays maintient malgré tout un niveau de vie de façade, grâce aux transferts de l'Etat français. Une économie soutenue artificiellement qu'il est grand temps de structurer.
Le nombre de touristes en Polynésie française a dégringolé de 10% en 2008 par rapport à 2007. Il a même franchi vers le bas la barre symbolique des 200.000, pour s'établir en 2008 à 196.496 touristes (218.241 en 2007). Principalement causée par la raréfaction des touristes américains, la chute est vertigineuse et en entraîne d'autres : l'hôtellerie par exemple est malmenée. Le coefficient de remplissage des hôtels s'est établi en 2008 à seulement 53,2% (57,5% en 2007, 62% en 2006). Le problème, c'est que le tourisme est, de loin, le premier secteur économique marchand en Polynésie française. Quand le tourisme va mal, tout va mal. L'emploi salarié dans l'hôtellerie-restauration a baissé de 2,2% en un an. Les établissements hôtelliers jonglent avec les plans sociaux et les réductions horaires. Conséquence, l'emploi salarié est globalement à la baisse : 67.875 emplois salariés à la fin novembre 2008 contre 69.527 au début de l'année (-2,4%). Et l'ISPF notait en septembre 2008 un nombre record de demandeurs d'emploi : 8.800, soit 36% de hausse en un an !
A cette crise conjoncturelle s'ajoute un important handicap structurel. La balance commerciale affiche un déficit abyssal en 2008 : moins 163 milliards de francs Pacifique (1,37 milliard d'euros), soit l'équivalent en négatif du budget 2009 de la collectivité. En fait, la production locale est dérisoire et très mal -voire pas du tout- structurée. Après le tourisme, l'industrie perlière est le second secteur marchand en Polynésie française : pour cause de surproduction, le cours de la perle a chuté de 30% entre 2007 et 2008 et le montant du chiffre d'affaire à l'export s'est réduit de 20%.
Malgré ces données moroses, la Polynésie française conserve un niveau de vie élevé, grâce au maintien relatif de la consommation des ménages (immatriculation de véhicules et recours à l'emprunt en hausse) et surtout grâce à l'investissement public.
L'économie polynésienne est en effet soutenue par les transferts importants opérés par l'Etat français. Des transferts directs comme la Dotation globale de développement économique (DGDE) : un chèque de 18 milliards de francs Pacifique (150 millions d'euros) annuels depuis 1996 pour compenser le départ du CEP. Et des transferts indirects comme l'indexation des fonctionnaires, dont la rémunération est multipliée par un coefficient pouvant aller jusqu'à 2,04 sur les îles les plus éloignées. En 2006, l'Etat français a ainsi déversé 159 milliards de francs Pacifique (1,3 milliard d'euros) dans l'économie polynésienne sous forme de subventions aux collectivités ou de salaires des fonctionnaires.
A cela s'ajoute la défiscalisation, une autre forme de transfert indirect. En 2006, 66 milliards de francs Pacifique (550 millions d'euros) ont fait l'objet d'une demande de défiscalisation en loi Girardin. Le principe est alléchant : tout contribuable soumis à l'impôt sur le revenu dans un département français peut soustraire de son revenu imposable le montant d'un investissement réalisé outre-mer. Une aubaine pour un contribuable français désireux de préserver ses revenus des prélèvements de l'Etat tout en augmentant son patrimoine. Sauf que la défiscalisation a une étrange conséquence : alors que les établissement hôteliers existants sont à moitié vides, que certains licencient et que d'autres ferment, les projets de construction d'hôtels de luxe défiscalisés continuent de se multiplier (Four Seasons ouvert en septembre 2008 à Bora Bora, Manava Suite en mars 2009 à Punaauia, Tahiti Nui à Papeete, Warwick à Moorea...) sans pour autant structurer l'industrie touristique polynésienne.
Tahiti et ses îles vivent sous perfusion constante des milliards de l'Etat français. A ce titre, d'aucuns considèrent parfois que les transferts de l'Etat sont un amortisseur de la crise dans le pays. Pas sûr que les 12% de Polynésiens au chômage ne se satisfassent de l'argument (chiffre officiel très probablement largement sous-estimé, le chômage s'élèverait plutôt à 15% aujourd'hui). Et à l'heure où la France semble se désengager (suppression de l'indemnité temporaire de retraite, départ de l'armée de terre), il est plus que temps pour la Polynésie française de réfléchir à son mode de développement.
Source : www.ispf.pf.