Pas de politique maritime française sans la Polynésie ! Mais à Tahiti, l'Etat n'est pas seul maître à bord. Il doit partager l'exercice du pouvoir avec une collectivité autonome au développement maritime poussif. Si les gouvernements français et polynésien n'accordent pas leurs violons, les propositions du Grenelle de la mer couleront à pic...

Une baleine à bosse en Polynésie française.
Nicolas Sarkozy veut que la France retrouve "sa vocation maritime". Dans son discours du Havre, jeudi 16 juillet, à l'issue des ultimes tables rondes du Grenelle de la mer, le Président de la République a rappelé que la France "possède le deuxième territoire maritime mondial derrière les Etats-Unis : 11 millions de kilomètres carrés, vingt fois le territoire métropolitain". Parmi les engagements pris, la main sur le coeur, par le marin Sarkozy : protéger les ressources halieutiques, dépolluer l'océan, développer les énergies marines, renforcer l'action de l'Etat en mer ou encore soutenir la formation aux métiers de la mer.
Formidable effet d'annonce. Mais cette politique va se heurter à un obstacle de taille : la moitié de la zone économique exclusive française (5,5 millions de km², l'équivalent de la surface de l'Europe) se trouve dans un territoire autonome, la Polynésie française. Disons le, une politique maritime française n'incluant pas pleinement la Polynésie ne serait pas respectable. Pourtant, à Tahiti, Nicolas Sarkozy n'est pas seul maître à bord : l'Etat français partage avec le gouvernement polynésien les compétences liées à la gestion de l'espace maritime. La politique de la mer de la France dans cette région de l'océan Pacifique repose donc essentiellement sur un partenariat et une volonté politique commune. Tour d'horizon des engagements gouvernementaux et des enjeux dans ce pays qui vit les pieds dans l'eau.
Protéger les ressources
Pour conserver la biodiversité marine, le Grenelle de la mer préconise (ici) "le développement des aires marines protégées (AMP), notamment une très grande en Polynésie française, pour contribuer à l’objectif international de 20% des eaux protégées en 2020" (contre 1% aujourd'hui).

31 AMP existent aujourd'hui en Polynésie, réparties sur 12 des 118 îles polynésiennes. Pour développer ce réseau d'aires marines, le ministre de l'environnement de la Polynésie française Georges Handerson (photo à gauche) a signé en novembre 2007 un accord-cadre avec l'agence nationale des aires marines protégées et commandé une "analyse éco-régionale du milieu marin en Polynésie française" qui devrait déboucher début 2010 sur des propositions de stratégies pour la protection des écosystèmes marins polynésiens. Ces propositions de l'ANMP seront destinées au gouvernement de la Polynésie française, seul décisionnaire en la matière.
En revanche, le gouvernement français a une autre carte à jouer pour la protection de ses récifs coralliens. De juillet 2009 à juin 2011, la France co-présidera, avec la principauté de Monaco et les îles Samoa, le secrétariat de l'Initiative internationale pour les récifs coralliens (Icri). Ce nouveau secrétariat promet notamment dans son plan d'action de favoriser l'émergence d'aires marines protégées. C'est le moment rêvé pour la France de montrer l'exemple dans le Pacifique sud, comme le font d'autres nations. L'Australie vient d'annoncer le déblocage de 52 millions de dollars AUD (30 millions d'euros) pour la Grande barrière de corail australienne, le plus grand récif du monde. Les Etats Unis ont eux accordé début juillet trois millions de dollars US (2,1 millions d'euros) aux îles Mariannes du nord pour protéger le récif corallien de la baie de Laolao. Sur les 600.000 km² de récifs et lagons dans le monde, 50.000 km² sont situés sur le territoire français, dont 15.000 km² en Polynésie française et autant en Nouvelle-Calédonie. Selon le rapport de l'Icri publié au début de l'année, il est urgent de protéger ces écosystèmes parmi les plus importants au monde.
Dépolluer l'océan
Deuxième axe défendu par les participants Grenelle : un plan anti-pollution. Objectif : "Zéro rejet urbain non traité en mer en 2030, accélérer la réduction des nitrates et phosphates venant de tous les acteurs, et viser l’objectif de -40 % pour 2012/2014 dans les bassins situés en zone vulnérable et dont le littoral est eutrophisé (algues vertes, plancton toxique...)." En Polynésie française, il faut de toute urgence développer le traitement des rejets : construire des réseaux publics de collecte des eaux usées et des stations d'épurations (quasi-inexistants aujourd'hui, même dans les zones les plus urbanisées de Tahiti) ; et réglementer les terrassements en montagne, responsables de l'érosion des sols et d'importants apports terrigènes dans le lagon. Il faut aussi, comme le préconise le Grenelle, mettre sur pied un "grand plan de réduction des déchets flottants de toutes tailles", notamment par la "suppression des points d’accumulation des déchets dans les cours d’eau, (...) ou la sensibilisation des citoyens sur l’impact des lâchers de ballons collectifs (avalés par les poissons, les tortues, ce qui les étouffe) et sur la pollution marine par les filtres de cigarettes jetés dans la rue sur tout le territoire". A Tahiti, des associations et des clubs de plongée se sont fait une spécialité de ramasser les déchets dans le lagon. Ils y trouvent en particulier des pneus en quantités industrielles.
Là encore, l'Etat français a peu de pouvoir, sauf celui de dialoguer avec les collectivités locales. C'est la Polynésie française qui est compétente pour réglementer les terrassements ; ce sont les communes qui ont obligation de collecter les déchets et de traiter les eaux usées.
Utiliser l'énergie marine
"L’Outre-mer sera la vitrine technologique et le territoire d’expérimentation de la France en matière d’énergies marines renouvelables", annonce encore le Grenelle de la mer. Un plan "énergies bleues" prévoit la production de "6000 MW d’énergies marines en 2020" en France, avec "trois sites pour les hydrauliennes, un pilote Energie thermique des mers, un pilote d’éoliennes flottantes, un dispositif de pompe à chaleur/froid par territoire d’outre-mer (climatisation de l’Hôpital de Tahiti dans les 2 ans) et le soutien à 2 projets houlomoteurs". Enfin, "un appel à projets sera lancé avant fin 2009 pour créer un centre d’essai de rang mondial sur les énergies marines".
Pour l'instant, la Polynésie française est le parfait exemple de ce qu'il ne faudrait plus faire en matière d'énergie : plus de 70% de l'électricité à Tahiti est produite... au fioul !
Contrôler et sanctionner
Nicolas Sarkozy a promis de renforcer l'action de l'Etat en mer, notamment en créant une fonction de "garde-côtes". Voilà au moins un domaine dont la France est responsable : la surveillance de la zone économique exclusive de la Polynésie française. A Tahiti, des "gardes lagonaires" pourraient patrouiller dans le lagon, contrôler les activités de pêche, sanctionner les pollutions ou les remblais sauvages sur le récif, etc. Ce travail de police pourrait aussi être effectué par le ministère polynésien de l'environnement ou par les communes.
Développer les métiers de la mer

Le Grenelle de la mer préconise enfin de "créer une filière cohérente de formations qualifiantes (universitaires et professionnelles) des métiers liés à la mer, notamment pour les filières maritimes et paramaritimes d’Outre-mer".
Le ministre polynésien des ressources de la mer, Teva Rohfritsch (photo à droite) a proposé en juin de créer un "Institut de la mer qui regrouperait toutes les formations académiques ainsi que les formations professionnelles initiales et continues".
La Polynésie française, qui dispose d'un code du travail autonome, a surtout besoin de définir un statut pour ses marins pêcheurs. Ces derniers n'ont toujours pas, depuis quinze ans que la réforme est engagée, de convention collective ni de caisse de retraite. Le ministre polynésien de la mer Teva Rohfritsch a promis (ici) de faire de "la problématique de l’absence de statut social pour les pêcheurs polynésiens (...) une priorité du gouvernement" de la Polynésie française.
C'est noté...