Le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), l'organisme public qui a dirigé les essais nucléaires à Moruroa et Fangataufa de 1966 à 1996, a été condamné ce jeudi matin par le tribunal du travail de Papeete a indemniser les enfants d'un ancien travailleur polynésien de Moruroa aujourd'hui décédé d'un cancer. Ce même tribunal a demandé une expertise médicale complémentaire pour quatre autres plaignants, et débouté les trois derniers en fondant sa décision sur le code du travail polynésien. L'association des anciens travailleurs du nucléaires, Moruroa e tatou, dénonce des inégalités de traitement au sein de la République française.

L'atoll de Fangataufa en 1988 (image www.moruroa.org).
Dans le dossier défendu par la veuve et les enfants de Lucien Faara, le tribunal du travail de Papeete a reconnu "que la responsabilité du CEA, en sa qualité d'employeur, était engagée pour violation de son obligation contractuelle de sécurité de résultat" et "a condamné en conséquence le CEA à verser à chacun des enfants majeurs une somme de 1 000 000 Fcfp (8380 euros, ndr) en réparation de leur préjudice moral, conformément à leurs demandes". En revanche, le tribunal a déclaré "irrecevable l'action fondée sur le droit commun de la veuve". Lucien Faara avait été manoeuvre pour l'entreprise sous-traitante Thomson à Moruroa de 1963 à 1967. "Il allait remettre les installations sur pied et les appareils en état sur les blockhaus juste après les explosions", raconte John Doom, coordinateur de l'association Moruroa e tatou. Lucien Faara est décédé d'un cancer de la plèvre en 2004.
Expertises médicales pour deux anciens travailleurs décédés !
Pour quatre autres plaignants, le tribunal du travail de Papeete a "déclaré recevable l'action de droit commun des anciens travailleurs ou de leurs ayants droit et a ordonné une expertise sur le caractère radio-induit des maladies contractées, confiée à un expert national en cancérologie". Deux de ces quatre plaignants sont encore vivants : Robert Voirin, contrôleur d’appareillages électroniques au CEA à Moruroa entre 1973 et 1974, puis au CEA de Mahina (Tahiti) entre 1967 et 1979 et aujourd'hui atteint d'un lymphome ; et Rémi Cléments, menuisier chez SEGT à Moruroa entre 1971 et 1985, et souffrant d’un cancer de l’oesophage.
Par contre, deux sont aujourd'hui décédés : Hiro Mariterangi, décédé d’une leucémie en 2004, et Manuel Mu Fouk Tchoun, décédé d’un cancer de la peau en 2004, qui étaient tous les deux électriciens à la CGEE entre 1986 et 1993 à Moruroa. Comment "l'expert en cancérologie" jugera-t-il le "caractère radio-induit des maladies" qui les ont tués : "On va seulement discuter sur papier", explique John Doom, sceptique.

Trois derniers plaignants ont été intégralement déboutés : Raymond Taha, ex-mécanicien de la société de grands travaux Dumez-Citra à Moruroa entre 1965 et 1981, aujourd'hui atteint d'une leucémie "en sommeil" ; Teriitaria Aviu, docker chez Cowan à Moruroa de 1966 à 1988, décédé d’une leucémie en 1988 et représenté par sa veuve ; et enfin Alfred Pautehea, conducteur d’engins à la Sofel entre 1968 et 1979 à Moruroa, décédé d’une leucémie en 2004 et représenté par sa veuve.
Enfin, pour les huit dossiers, le tribunal du travail a rejeté la demande de versement d'une rente par la Caisse de prévoyance sociale, l'organisme de couverture maladie en Polynésie française.
"Des citoyens de la République française traités différemment"
Jeudi matin à Papeete, l'association Moruroa e tatou hésitait entre la satisfaction de voir l'Etat pour la première fois condamné par un tribunal polynésien, et la frustration de cette victoire partielle : "Est-ce que la valeur d'un père (…) qui a servi l'État français, ça vaut un million de Fcfp ? Si je me réfère aux procès qu'il y a eu en France, on est loin du compte", a commenté le président de Moruroa e tatou, Roland Oldham, interrogé par Tahitipresse. "Pour nous, les autres dossiers sont identiques. Seulement, la demande de la famille de Lucien Faara a été faite dans les délais", explique John Doom. Moruroa e tatou s'en prend donc au droit du travail local "jamais mis à jour par l'Assemblée de la Polynésie française", et qui comprend une notion de prescription pour la reconnaissance d'une maladie professionnelle, notion absente du code du travail en France métropolitaine, où 18 procédures ont déjà abouti favorablement aux anciens travailleurs, civils ou militaires, des sites nucléaires français. "On a beau m'expliquer que le code du travail est spécifique en Polynésie, je ne comprends pas pourquoi des citoyens de la République française sont traités différemment", s'insurge Roland Oldham.