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Billet de blog 28 juil. 2013

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Histoire d’un lynchage médiatique

Le conducteur du train Madrid-Ferrol ayant déraillé près de Saint-Jacques-de-Compostelle, avec un bilan de 78 morts, a d’ores et déjà été condamné par une partie de la presse espagnole.

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Le conducteur du train Madrid-Ferrol ayant déraillé près de Saint-Jacques-de-Compostelle, avec un bilan de 78 morts, a d’ores et déjà été condamné par une partie de la presse espagnole.

Ce n’est pas nouveau. Lorsqu’il y a des catastrophes naturelles ou des accidents des transport, les médias sont pour certains impitoyables et rivalisent dans le voyeurisme et le manque de respect des victimes. L’accident du train Alvia en Galice ne déroge pas à la règle et le chauffeur du train en a fait les frais. L’accident a eu lieu le 24 juillet au soir vers 21h mais les médias n’ont pas tardé à porter les accusations. La publication d’une phrase qu’il a prononcé peu avant le déraillement – « je vais à 190 au lieu de 80 » - a lancé le lynchage médiatique.

Peu après, le journal de conservateur ABC (mais aussi El País, entre autres) s’est rendu sur son compte Facebook et a trouvé la photo d’un compteur indiquant 200 km/h. Elle était accompagnée d’un commentaire ironique sur la possibilité de recevoir une amende. Quoi qu’il en soit, il s’agissait d’une photo isolée dont on ne connaissait pas le contexte – d’ailleurs quoi d’étonnant à ce qu’un conducteur de TGV aille vite – mais la preuve de sa culpabilité était trouvée. Le lendemain la une de ce jounal était « Le conducteur se vantait de son goût pour la vitesse ».

La presse, qui a donc effectué sa propre enquête judiciaire durant ces jours, a finalement prononcé son verdict ce matin. « Homicide involontaire », a titré La Razón. Le journal droitier La Razón s’est rendu par la suite dans son quartier pour parler avec ses voisins, comme les médias ont l’habitude de faire lorsque la police arrête un assassin.

Je ne veux pas ennuyer le lecteur mais la liste des approximations et manipulations des informations et longues : l’information d’un ordre de détention émis par le juge a été publiée alors que le démenti du juge était déjà connu, des journaux ont insisté sur le refus du conducteur de déclarer devant la police alors que c’est son droit et qu’il a d’ores et déjà dit qu’il déclarera devant le juge (« Le conducteur esquive la police », dit El País). Etc.

Bien sûr, des médias ont rappelé sa détresse lorsque l’accident est survenu et l’aide qu’il a apportée à des victimes. Oui, c’est vrai, certains rappellent la carrière exemplaire de cet employé de Renfe (les chemins de fer espagnols) : 30 ans de service dont 10 en tant que conducteur et les plus de 50 fois qu’il a réalisé ce trajet sans aucune sanction ni avertissement. Oui, certains ont rappelé que la portion sur laquelle a eu lieu l’accident disposait d’un dispositif de sécurité moins perfectionné qu’ailleurs. Mais cela pèse-t-il lorsqu’on a détruit la vie d’un homme ? Sur quels faits se base-t-on pour affirmer son imprudence alors que sa carrière prouve le contraire? Peut-être a-t-il commis une erreur, l’enquête le dira. Mais des médias ont déjà décidé du verdict.

Mais au-delà de cela, ne peut-on pas admettre que l’erreur est humaine ? 

PS : Le journal ABC est un habitué des lynchages médiatiques. Voici la une du 28 novembre 2009. On peut y voir la photo d’un homme avec le titre suivant : « Le regard de l’assassin d’une fille de trois ans ». Quelques jours après, l'homme était lavé de tout soupçon.

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