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Billet de blog 1 septembre 2008

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Réponse à Gilles Hertzog sur la Géorgie

1. D’emblée, M. G. Hertzog décerne un brevet de démocratie au régime de M. Saakachvili, parce qu’il est pro-américain, que son chef, la plupart de ses ministres et conseillers, ont été éduqués aux Etats-Unis, et pas n’importe quel brevet, mais le seul qui semble valoir à ses yeux, celui d’élève démocratique des Etats-Unis.Soit.

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1. D’emblée, M. G. Hertzog décerne un brevet de démocratie au régime de M. Saakachvili, parce qu’il est pro-américain, que son chef, la plupart de ses ministres et conseillers, ont été éduqués aux Etats-Unis, et pas n’importe quel brevet, mais le seul qui semble valoir à ses yeux, celui d’élève démocratique des Etats-Unis.Soit. Mais peut-il répondre aux deux questions suivantes :

a) Pourquoi l’opposition en Géorgie va-t-elle jusqu’à prétendre que le régime de M. Saakashvili est un régime autoritaire et corrompu, aux mœurs parfois inquiétantes (son Premier Ministre Zourab Jvania meurt en février 2005 dans des conditions suspectes), et prompt à manier l’état d’urgence à son profit ?

b) En quoi les Etat-Unis sont-ils le maître es démocratie du monde contemporain ? Il existe malheureusement suffisamment de contre-exemples pour voir que cette appréciation ne tient pas à l’épreuve des faits. Un exemple connu de tous : feu Augusto Pinochet, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat militaire et qui s’est illustré comme un dictateur sanglant et corrompu, était pro-américain et était environné, au moins pour ses ministres et conseillers économiques, par des Chicago Boys.

2. Puis il s’en prend à la France et à l’Allemagne, qui se sont opposées à l’entrée de la Géorgie dans l’OTAN lors du dernier sommet de cette organisation tenu à Bucarest. Là encore, deux questions :

a) En quoi la position allemande et française, position réaliste (et même prémonitoire si l’on en juge par les récents évènements) gêne-t-elle M. G. Hertzog ?

b) D’ailleurs, à supposer que la Géorgie eût été membre de l’OTAN au moment où elle a tenté de réduire par la force le séparatisme ossète, cette organisation aurait-elle dû pour autant intervenir militairement à ses côtés ? Est-ce cela que M. G. Hertzog souhaitait ?

3. On s’en persuade assez aisément lorsqu’il ajoute que : « Saakhashvili, le président géorgien, inverse alors ses priorités : pour rentrer dans l’OTAN, il faut d’abord en finir avec ses deux séparatismes, récupérer les provinces dissidentes (manu militari, car toutes les tentatives politiques, octroi d’une autonomie quasi totale, ont été repoussées sans appel). » Si l’on suit bien M. G. Hertzog, l’ordre de priorité du président géorgien avant la décision de l’OTAN à Bucarest était : entrer dans l’OTAN puis en finir avec les séparatismes ossète et abkhaze. La formulation de M. G. Hertzog est même beaucoup plus forte ; il dit en effet : « pour entrer dans l’OTAN, d’abord en finir avec les deux séparatismes », ce qui, en formulation inverse, s’énonce : « pour en finir les deux séparatismes, d’abord entrer dans l’OTAN ». Cela a au moins le mérite de la franchise sur ce que M. Saakashvili attendait comme l’un des premiers gains de l’appartenance de la Géorgie à l’OTAN, exprimé par quelqu’un qui semble le connaître très bien.

4. Mais cela ne nous explique pas mieux en quoi il était nécessaire et responsable, pour M. Saakashvili, d’attaquer l’Ossétie du Sud séparatiste dans la nuit du 7 au 8 août. Cela semble contradictoire avec le but recherché puisque, rappelons-nous, l’argument majeur d’un report de l’entrée de la Géorgie dans l’OTAN avait été le risque d’amorce d’un conflit Russie/OTAN si la situation s’envenimait entre le régime géorgien et les séparatistes ossètes et abkhazes. En ayant agressé l’Ossétie du Sud, M. Saakashvili apparaît comme un fauteur de guerre et justifie a posteriori les préventions de l’Allemagne et de la France lors du sommet de Bucarest. En tout état de cause, si la Géorgie voulait démontrer que la Russie était l’agresseur, elle devait, me semble-t-il, avoir les nerfs assez solides pour attendre de cette dernière un début d’agression caractérisé et, en tout cas, ne pas s’en prendre à la population d’Ossétie du Sud et aux forces de la paix russe stationnées dans cette province sous un déluge d’artillerie dans la nuit du 7 au 8 août. Une riposte en légitime défense à un feu ouvert par les troupes russes, sur le seul territoire de l’Ossétie du Sud et sans qu’il soit besoin qu’elles atteignent la frontière entre la Géorgie et l’Ossétie du Sud, aurait suscité une réprobation sans appel de la Russie. Doit-on rappeler, en effet, que le déclenchement d’hostilités au prétexte d’intentions que l’on prête à l’adversaire et de ce que l’on dit qu’il est (une puissance impérialiste, dictatoriale, non démocratique…) sont souvent une excuse douteuse et une façon de réécrire l’histoire. En utilisant un tel raisonnement, on pourrait dire que l’intervention à Pearl Harbour des Japonais était justifiée par la concentration de forces américaines dans le Pacifique. Tout cela manque de logique et de bon sens, que l’on aurait pu attendre d’un président géorgien éduqué dans les meilleures universités américaines. A moins qu’il n’ait voulu, par une aventure extérieure, répondre à l’impopularité croissante de son gouvernement et tenter de resserrer les rangs autour de lui en en appelant à la fierté nationale, procédé auquel ont souvent recouru (l’histoire est pleine d’exemples à ce sujet) des régimes dictatoriaux ou simplement autoritaires en mal de reconnaissance intérieure et/ou internationale parce qu’en difficulté.

5. De surcroît, l’emploi du terme « en finir » est inquiétant de la part de M. G. Hertzog, s’il est un interprète fidèle de la pensée et des intentions de M. Saakashvili, d’autant plus qu’il parle de « récupérer manu militari » les deux provinces. Est-ce là le langage d’un démocrate libéral bon teint respectueux du droit des peuples à l’autodétermination, qui devrait savoir :

a) que la population d’Ossétie du Sud s’est prononcée à une majorité écrasante pour son indépendance vis-à-vis de la Géorgie à deux reprises par référendum, l’un en 1992, l’autre en 2006

b) et que la Géorgie n’a jamais pu réduire l’irrédentisme abkhaze malgré une politique d’immigration massive sous l’ère soviétique et des combats acharnés contre cet irrédentisme depuis qu’elle est indépendante, combats qui l’ont conduite à occuper militairement la capitale abkhaze avant que les résistants indépendantistes abkhazes ne la lui reprennent et à soumettre la côte abkhaze sur la Mer Noire à un blocus intransigeant.

6. Il n’y avait en fait, depuis longtemps, d’autre choix pour le pouvoir géorgien que le statu quo de la sécession de l’Ossétie su Sud et de l’Abkhazie ou l’acceptation de leur indépendance. La Serbie a été payée pour le savoir au Kosovo. La Russie, qui a eu l’intelligence de ne pas faire obstacle manu militari à l’indépendance d’Etats à fortes minorités russophones ou russophiles (l’Ukraine, les pays baltes, la Géorgie…) au moment de l’effondrement de l’URSS, peut se targuer d’un comportement bien plus démocratique à cet égard. M. G. Hertzog finit certes par le concéder, bien qu'à mots couverts, mais pour parler aussitôt, coup pied de l'âne, de provocations armées, depuis 1993, à l’encontre des Géorgiens et d’expulsion de ces derniers par la terreur.

7. Le récit et l’analyse que fait M. G. Hertzog des premiers moments du conflit entre la Russie et la Géorgie méritent eux aussi commentaire.Prétendre que «Laisser faire ? Ce serait la fin de la Géorgie » parce que les Russes avaient massé des chars, leur logistique et des parachutistes d’élite à l’entrée du tunnel de Roky, c’est aller un peu vite en besogne. A ce moment-là et M. G. Hertzog le reconnaît implicitement, il n’y encore que le tunnel lui-même qui « déboule » en Ossétie du Sud. On pourrait tout aussi bien interpréter ce rassemblement de forces russes comme effectué pour voler au secours des Ossètes du Sud, avec lesquels l’armée géorgienne s’apprête à en découdre (« à en finir manu militari » comme le dit plus haut M. G. Hertzog lui-même). Une telle interprétation ne serait pas dénuée de tout fondement lorsque l’on voit M. G. Hertzog ajouter « qu’après des mois de préparation avec des conseillers américains -500- et probablement leur aval, la puce géorgienne…lance dans la nuit du 8 août ses troupes en Ossétie du Sud » en précisant aussitôt –humour et aveu involontaires ?- «avant qu’il ne soit trop tard ». Elle le serait d’autant moins que s’il s’était agi, pour l’armée géorgienne, de bloquer l’arrivée des troupes russes par le tunnel de Roky, on voit mal pourquoi elle a perdu son temps, son énergie et ses munitions à détruire d’abord, par un déluge d’artillerie impressionnant, la capitale de l’Ossétie du Sud. On comprendrait sans doute mieux le scénario des évènements si l’on disait que l’objectif géorgien était bien de réduire l’indépendantisme des Ossètes du Sud (d’où l’attaque massive contre Tskinvali) en utilisant le prétexte d’une mobilisation hostile de la Russie en Ossétie du Nord. Mais n’est pas Machiavel qui veut !Quant à la preuve de bonne foi géorgienne que serait le fait que M. Saakashvili était en vacances en Italie et s’apprêtait à aller en famille aux JO de Pékin, elle ne peut que susciter un sourire amusé. Peut-on rappeler que M. Poutine, dont nul ne niera le rôle décisif qu’il joue dans la conduite de la Russie, était, lui, à Pékin au moment du déclenchement des hostilités ? Doit-on en conclure, par un sophisme symétrique, que la Russie n’avait donc pas l’intention d’intervenir en Ossétie du Sud ?Enfin, je dispose d’informations très différentes sur le dispositif russe qui a riposté à l’offensive géorgienne dans la nuit du 7 au 8 août : 150 chars et véhicules blindés (et non pas 350 chars) de la 58ème armée habituellement stationnée dans le district Nord Caucase et des unités des 76ème et 98ème divisions d’assaut aéroportées (et non pas une division parachutiste toute entière). Face à ce dispositif russe, le dispositif géorgien n’était pas si modeste que cela, notamment en blindés, artillerie et aviation, si l’on en croit les premiers bilans de pertes en matériels (détruits ou capturés) publiés par le pouvoir géorgien lui-même.

8. Sur le respect du droit international dans le conflit russo-géorgien, on ne peut que poser la question suivante à M. G Hertzog : qui, dans le cas de ce conflit, a vraiment violé le droit international ? La Russie, « parce qu’elle a attaqué un pays souverain », répond sans appel M. G. Hertzog, parlant même « de violation sans précédent du droit international depuis l’Afghanistan ». Il me paraît qu’à parler de violation du droit international par l’attaque d’un pays souverain, le choix de la Serbie ou de l’Irak aurait été encore plus approprié comme précédent que celui de l’Afghanistan (il me souvient en effet que l’intervention en Afghanistan, du moins dans sa version initiale, recueillait presque l’unanimité de la communauté internationale). Mais je subodore que son choix n’est pas innocent : il veut éviter que les précédents serbe et irakien puissent être utilisés par la Russie pour justifier son intervention; n’est-elle pas en effet venue au secours d’une population ossète du Sud agressée par la Géorgie ?

9. Cela précisé :

a) La charge de M. G. Hertzog contre la Russie procède davantage de l’affirmation péremptoire que d’une démonstration rigoureuse comme on a pu l’analyser plus haut.

b) De plus, on pourrait lui objecter que le droit à l’autodétermination des peuples est un principe de valeur au moins égal à celui d’intégrité territoriale, sinon supérieur si l’on en croit l’exemple du Kosovo. Je suis persuadé que, loin de vouloir réduire l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud à la soumission et de pratiquer un petit nationalisme géorgien agressif et déplacé, qui pue son colonialisme, M. Saakashvili se serait grandi en leur posant clairement la question de leur avenir, en dehors de ou dans la Géorgie. Après tout, de nombreux dirigeants avant lui ont su le faire et dans des conditions autrement difficiles ; un exemple, le Général De Gaulle sur la question algérienne, mais il est vrai que M. Saakashvili, éduqué aux Etats-Unis n’a pas dû entendre parler de ce dirigeant disparu de la « vieille Europe ».

10. Sur le déroulement du conflit, à l’exception du paragraphe décrivant les soldats géorgiens détalant après avoir abandonné leurs uniformes, la relation faite par M. G. Hertzog semble plus passionnelle que factuelle : on ne sait pas très bien distinguer ce qui relève de la réalité de ce qui relève de la propagande du gouvernement géorgien (« les barbares sont de retour », « une guerre ethnique sans pitié »). Je sais qu’en face, la Russie, elle aussi, manie l’arme de la propagande. Mais le sujet n’est-il pas suffisamment grave pour que l’on ne se contente pas des affirmations des belligérants en présence et que l’on évite l’invective :

a) Les Russes ont parlé d’un bilan de l’ordre de 1500 morts lors de l’attaque de l’Ossétie du Sud par l’armée géorgienne, ce qui n’a rien à voir avec les 47 morts évoqués par Human Rights.

b) Quels ont été les dégâts infligés par les troupes géorgiennes aux deux principales villes d’Ossétie du Sud ?

c) Combien d’Ossètes du Sud ont dû fuir leur pays après cette attaque ?

d) Les Géorgiens et M. G. Hertzog dans leur sillage parlent d’une guerre ethnique sans pitié et à grande échelle contre les Géorgiens établis en Ossétie du Sud, mais ce dernier précise aussitôt que dans sa déroute en Ossétie du Sud, l’armée géorgienne a abandonné derrière elle les « rares » villages géorgiens non épurés. Combien, précisément, de Géorgiens ont-ils été les victimes d’exactions en Ossétie du Sud et en Géorgie (région de Gori) au passage et après le passage de l’armée russe ?

11. Pour G. Hertzog : « Après vingt ans d’éclatement de l’URSS (« la plus grande catastrophe géopolitique du XXe siècle », dixit Poutine) et l’indépendance des pays baltes, de l’Ukraine, des républiques musulmanes d’Asie centrale et de la Géorgie, l’empire est de retour. Fort désormais de ses finances surabondantes, de son gaz et de son pétrole dont dépend toute l’Europe, il entend bien imposer sa loi, sous prétexte de protéger les minorités russophones extérieures (il y en a partout, à la périphérie de la Russie) et contraindre son « immédiat proche » à regagner de gré ou de force le giron russe et rompre une fois pour toutes avec la « tentation occidentale », sous la menace d’une intervention «à la géorgienne… L’affaire de Géorgie signe la fin de la récréation pour les ex-petits-frères soviétiques et, à terme, pour les Occidentaux, s’ils ne réagissent pas, la fin du libre accès au pétrole et au gaz non russes.» On hésite, devant cette vision apocalyptique et grandiloquente, entre la consternation et l’éclat de rire :

- la phrase « L’empire est de retour » déguise les dirigeants russes en « Dark Vadors » de la guerre des étoiles;

- la phrase « il -l’empire- entend bien imposer sa loi, sous prétexte de protéger les minorités russophones extérieures » insinue que nous allons vivre des crises des Sudètes à répétition et veut mettre en garde contre de nouveaux « Munich » ;

- la phrase « L’affaire de Géorgie signe la fin de la récréation pour les ex-petits-frères soviétiques et, à terme, pour les Occidentaux, s’ils ne réagissent pas, la fin du libre accès au pétrole et au gaz non russes» laisse entendre que le servage énergétique guette les Occidentaux s’ils ne prennent pas fait et cause, et quel qu’en soit le prix, pour la Géorgie. On peut proposer à M. G. Hertzog une interprétation radicalement différente et tout aussi plaidable, en lui disant que son point de vue, plutôt qu’une analyse sérieuse de la politique russe,:

- exprime la grille de lecture appliquée par les néo-conservateurs au pouvoir à Washington à la puissance russe renaissante –les Etats Unis sont et doivent rester le seul empire-;

- paraît relayer l’effort d’une administration Bush finissante qui, constatant que l’épouvantail du terrorisme islamique –Afghanistan, Irak et Iran- ne suffit plus à justifier son unilatéralisme veut le sauver par une nouvelle peur, celle de « l’ogre russe » renaissant, comparé, de manière subliminale, à l’Allemagne du Troisième Reich et/ou à l’Union Soviétique stalinienne;

- ne fait que traduire la volonté de Washington de contrôler et de gérer à sa main les ressources pétrolières et gazières dans le monde entier.

12. M. G. Hertzog n’a pas de mots assez durs pour stigmatiser ce qu’il nomme la passivité de l’Occident dans le conflit russo-géorgien : « Que fait l’Occident devant l’échec du meilleur de la classe et la menace sur ses intérêts stratégiques? Il tempère, soucieux avant tout de ne pas provoquer « l’ours russe », au motif de ne pas lancer une nouvelle guerre froide. Quelque sympathie que l'on ait pour la petite Géorgie, on ne va pas mourir pour « cet enjeu microscopique » (dixit Kouchner). Et, embrayant à la seconde, la Realpolitik et ses nouveaux Norpois viennent en renfort exprès…» Qu’il me permette, en guise de réponse, un commentaire en forme de boutade et une question. Le commentaire : si le régime géorgien est vraiment le meilleur de la classe occidentale, alors il est grand temps de modifier le programme et de changer d’instituteur. La question : pourquoi ce ton condescendant voire méprisant à l’égard de tous ceux, gouvernements et diplomates ne partagent pas la façon de voir de M. G. Hertzog ?

13. G. Hertzog va même, dans ce registre, jusqu’à affirmer : « L’Occident qui n’a pas voulu entendre Saakhachvili et éviter la guerre, se réveille en sursaut. ». Ainsi donc, l’Occident n’aurait pas voulu entendre Saakashvili et –oui, vous avez bien lu- éviter la guerre » ! Notre zélé défenseur de M. Saakashvili a apparemment déjà oublié ce qu’il a dû reconnaître plus haut, à savoir que c’est l’armée géorgienne qui a déclenché les hostilités en ouvrant la première le feu sur la population d’Ossétie du Sud, la nuit du 7 au 8 août, nuit de l’ouverture des Jeux Olympiques de Pékin, détail qui a son importance et qui pourrait être interprété comme un signe de duplicité. Comment l’Occident, qui n’a pas été, à l’évidence, consulté sur ce déclenchement, à l’exception peut-être des Etats-Unis et d’Israël, aurait-il pu éviter une guerre commencée à son insu et, de surcroît, par son « premier de la classe », dans lequel il devrait, par définition, avoir toute confiance ? Sur ce sujet, M. G. Hertzog devrait savoir qu’il existe un dispositif de concertation directe Russie/OTAN et que si le Gouvernement géorgien avait été de bonne foi, lui qui réclame à cor et à cri d’appartenir à l’alliance atlantique, il lui incombait de saisir cette dernière de ses inquiétudes sur les intentions de Moscou et de solliciter la mise en œuvre dudit dispositif avant de se lancer dans l’aventure que l’on sait. Au lieu de cela, il a joué dans le dos des pays occidentaux, en tout cas des pays européens et les a mis devant le fait accompli. Cette façon d’agir devrait, a minima, être un sujet d’interrogation avant toute réception de la Géorgie dans l’OTAN, réception qui sera de nouveau à l’ordre du jour à la fin 2008.

14. En quoi la « discussion future du statut de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie » que prévoit le plan en six points Medvedev/Sarkozy pose-t-elle problème à M. G. Hertzog ? Récuse-t-il le droit des peuples à leur autodétermination ou, plutôt, souhaite-t-il qu’Abkhazes et Ossètes du Sud en soient privés, réservant l’exercice de ce droit à certains (au hasard, dans un passé récent, les Kosovars ?). Ne devrait-il pas voir au contraire, dans la mise en œuvre de ce droit, le point le plus démocratique –et le plus réaliste- du plan Medvedev/Sarkozy? Dès l’éclatement de l’Union Soviétique, Abkhazes et Ossètes du Sud, qui ne sont pas des Géorgiens (ils ont leur langue, leur culture , leur histoire…) faut-il encore le souligner, ont voulu, dans leur grande majorité, être indépendants de la Géorgie et lier leur sort à la Russie. Avant même que la Géorgie ne devienne elle-même indépendante en avril 1991, des combats ont opposé milices géorgiennes et résistants abkhazes et ossètes du Sud. Et Ossétie du Sud et Abkhazie n’ont pas attendu longtemps pour proclamer elles aussi leur indépendance : 1991 (décembre) pour l’Ossétie du Sud et 1992 (juillet) pour l’Abkhazie. Cette volonté d’indépendance s’explique facilement :

- l’Abkhazie (8600 km² et environ 250 000 habitants dont la moitié d’origine abkhaze, étant précisé que les 200 000 colons géorgiens installés en Abkhazie sont retournés dans leur pays en 1993 à la suite de la victoire des résistants abkhazes contre les troupes géorgiennes) n’a été rattachée à la Géorgie qu’en 1931 par Staline. Les Géorgiens, forts de l’origine géorgienne de ce dernier et de Béria, se sont livrés aussitôt à une politique agressive d’éradication de l’identité abkhaze (notamment en imposant le géorgien comme langue et en fermant les écoles abkhazes) ainsi que de colonisation de peuplement (Béria a activement encouragé l’immigration géorgienne en Abkhazie);

- l’Ossétie du Sud (3900 km² et environ 100 000 habitants dont 70% d’Ossètes pratiquement tous titulaires de passeports russes) n’est dans le giron géorgien que depuis 1922 et a toujours réclamé, depuis, son retour dans une république ossète constituée d’elle-même et de l’Ossétie du Nord. Deux référendums, l’un en 1992, l’autre en 2006 ont confirmé la constance de sa volonté à cet égard. Et elle sait bien, d’expérience, que la Géorgie indépendante n’est pas moins annexionniste que la Géorgie soviétique : elle a pu le constater en 1991, année au cours de laquelle la Géorgie a d’une part recouvré son indépendance et d’autre part mis fin aussitôt au statut d’autonomie de l’Ossétie du Sud, concomitance significative, chacun en conviendra. Depuis le début des années 1990, Abkhazie et Ossétie du Sud sont en état permanent de sécession avec la Géorgie, état qui oscille entre la paix armée et le conflit ouvert (soit guérilla, soit batailles rangées) et qui oblige, chaque fois qu’un cessez le feu est signé entre les belligérants, à une interposition des forces russes. Leur statut n’a jamais fait l’objet d’une négociation sérieuse, le Gouvernement géorgien ne se résolvant pas à envisager autre chose qu’un statut qu’il consentirait à octroyer aux Abkhazes et aux Ossètes du Sud. Nous sommes donc en présence d’une situation de nature coloniale, séquelle de la période soviétique, d’une guerre d’indépendance de type colonial, guerre qui devrait susciter, pour la revendication d’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, la bienveillance des Etats-Unis, avec leur passé, et celle de l’Europe, si cette dernière était conséquente avec elle-même, avec sa gestion de la sécession puis de l’indépendance kosovare (elle y a joué le rôle du « grand frère protecteur » que tient aujourd’hui la Russie vis-à-vis de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie en frappant militairement une Serbie agressive et en prenant le Kosovo sous sa protection militaire et humanitaire).

15. Pour M. G. Hertzog, la cause est entendue : la Russie est peinte dans les couleurs les plus sombres et, en particulier, elle ne saurait être de bonne foi. C’est ainsi que la Russie ne serait pas éligible au droit d’ingérence pour raison humanitaire reconnu aux pays occidentaux, car ce pays « serait trop heureux de retourner contre l’Occident ses principes en les inversant sans scrupule ». Elle ne saurait évoquer, pour justifier sa riposte, une crainte légitime concernant les populations ossètes et abkhazes :« les Kosovars étaient menacés de génocide ; pas les Ossètes, ni les Abkhazes » juge M. G Hertzog. Rappelons pourtant, encore une fois, ce que personne ne peut nier,:

a) que les Ossètes et les Abkhazes ne sont pas des Géorgiens et ne veulent pas l’être ni le rester et qu’ils l’ont manifesté à leur grande majorité par le vote et par les armes,

b) que leur conflit avec la Géorgie n’a jamais été résolu que par des statu-quo issus des armes en dix-sept ans d’indépendance de cette dernière et en faisant appel chaque fois aux forces d’interposition russes à la demande de toutes les parties en présence (les Géorgiens inclus),

c) qu’ils sont russophiles même si leur vernaculaire n’est pas le russe et entendent voir leur sort associer à la Russie,

d) que M. Saakashvili s’est fixé comme programme, lors de sa réélection comme Président de la Géorgie début 2008, « la reconquête des régions perdues », ce que M. G. Hertzog, traduit par « en finir manu militari avec les provinces sécessionnistes »,

e) et que cette menace, qui ne fleure pas le pacifisme et la démocratie, a été mise à exécution, dans la nuit du 8 août 2008, par un déluge d’artillerie contre la capitale d’Ossétie du Sud et par la mort de nombreux civils ossètes (de l’ordre de 1500 disent les Russes, soit environ 2% de la population d’origine ossète) ainsi que par l’exode immédiat de plus d’un tiers de cette population, ce qui a eu pour conséquence de ramener la population d’origine ossète vivant en Ossétie du Sud au poids de la population d’origine géorgienne résidant dans cette région. Si ceci n’est pas un prodrome génocidaire, cela y ressemble beaucoup.

16. La présentation faite de l'action du Président Nicolas Sarkozy dans la mise en œuvre de la médiation européenne est scandaleusement outrageante. Mais, en réalité, elle est un hommage à rebours : le Président français s’est comporté en homme d’Etat responsable et réaliste, qui sait que rien n’est possible sans un partenariat Europe/Russie et qui n’a pas voulu se prêter au jeu d’aucune des parties au conflit, pas même la partie géorgienne, n’en déplaise à M. G. Hertzog. C’est tout à son honneur et à son crédit. Quant à au commentaire sur sa confusion entre « russophile » et « russophone », il est si mesquin qu’on ne le relèverait pas si, justement, il n’était révélateur du brouillage que constitue l’assimilation du conflit présent à l’affaire des Sudètes à l’aube de la seconde guerre mondiale. Les Sudètes, eux, étaient germanophones ; les Ossètes du Sud et les Abkhazes -dont le vernaculaire n’est pas le russe- ne sont pas russophones mais farouchement russophiles. Ce point est important et il devrait conduire M. G. Hertzog, dont l’honnêteté intellectuelle ne saurait être contestée, à s’interroger sur le fait qu’Ossètes du Sud et Abkhazes, bien que non russophones, préfèrent la Russie à « l’Etat de droit géorgien » dans lequel pourtant, selon lui, ils jouiraient en tant que minorités «de toutes les garanties démocratiques », y compris, si l’on peut oser un peu d’humour sur un sujet aussi tragique, la garantie que l’on en finisse désormais avec eux « manu militari ».

17. Aux yeux de M. G. Hertzog, la Russie est toujours critiquable et à tous égards, dans ses intentions, dans ses déclarations et dans ses actions.« Sur le terrain, la situation ne change pas d’un iota. « Words, words , words », pensent les Russes, qui ne connaissent que les rapports de force et n’en sont pas à « un chiffon de papier » près. » .Est-il vrai que les Russes ne connaissent que les rapports de force ? Quand je pense à un personnage comme Mikhaïl Gobartchev, à mon avis un des plus grands hommes d’Etat du XXème siècle, je doute de l’intelligence d’une telle remarque. Au demeurant, quel est le pays qui peut se targuer de ne pas tenir compte, aussi, des rapports de force ? M. G. Hertzog peut-il en citer un seul ? Pour les Géorgiens et pour M. G. Hertzog qui s’en fait le chantre, « les Russes seraient étrangers à la logique occidentale, à l’affrontement rationnel, clausewitzien ». Ainsi donc, les Russes ne seraient pas des gens comme les autres. M. G. Hertzog, sur les indications de son ami Saakashvili, aurait cerné le mystère du gène russe : les Russes ne sauraient comprendre la logique occidentale. Mais au fait, c’est quoi la logique occidentale, celle de l’affrontement rationnel, clausewitzien ? Pour la Russie, semble-t-il, si l’on suit le raisonnement suggéré, c’eût été de laisser faire M. Saakashvili en Ossétie du Sud en restant les bras croisés. Mais pour l’Occident, toujours semble-t-il, c’eût été de ne pas laisser faire la Russie. La logique occidentale, en tout cas sa règle du jeu, serait donc celle jeu de bonneteau. Pile je gagne, face tu perds ! Chacun appréciera. Les déclarations de M. Medvedev (« L’Ossétie et l’Abkhazie ne retourneront jamais dans le giron « génocidaire » de la Géorgie. Ce n’est pas parce que Saakachvili a signé que nous retirerons nos troupes, afin de maintenir l’ordre et protéger "nos" populations. ») ne peuvent évidemment recevoir, dans l’esprit de M. G. Hertzog, qu’une interprétation très défavorable. Je lui en propose une autre, pas moins défendable et qui me semble, en outre, étayée par les termes de l’accord de cessez-le-feu préparé par l’Europe et signé tant par la Russie que par la Géorgie :

a) Sur la première partie de la déclaration de M. Medvedev, à savoir «L’Ossétie et l’Abkhazie ne retourneront jamais dans le giron génocidaire de la Géorgie », on peut juger la formule brutale mais elle ne fait qu’exprimer que le réalisme et le bon sens commandent, après dix-sept ans de conflits incessants jamais réglés au fond entre la Géorgie d’une part, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie d’autre part, et après le choc de la récente offensive géorgienne contre l’Ossétie du Sud, de pas laisser envenimer encore la situation et de la laisser dans l’impasse où elle se trouve. Disons-le nettement, les choses sont devenues irréparables entre les protagonistes et seule une séparation est aujourd’hui sérieusement envisageable. C’est pourquoi l’accord de cessez-le-feu ne fait pas et ne pouvait pas faire référence à l’intégrité territoriale de la Géorgie. Cette absence, loin d’être le signe d’un lâche abandon, est au contraire la marque d’une véritable intelligence de la situation et elle montre bien que, dans ce cas (comme dans le cas du Kosovo), il faut savoir tourner le dos à un passé calamiteux en privilégiant, pour des raisons d’efficacité et de justice, le droit à l’autodétermination de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie par rapport à un autre principe, celui de l’intégrité territoriale de la Géorgie, dont au demeurant on a vu la fragilité et le caractère contestable s’agissant de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Souci d’efficacité d’abord puisque l’on ne peut que constater que la Géorgie s’est montrée incapable, en dix-sept ans d’indépendance de trouver une solution satisfaisante au différend et il faut bien en tirer la leçon. Souci de justice ensuite, car quel démocrate sincère et épris de paix pourrait tolérer la perpétuation dangereuse d’une séquelle coloniale au mépris du droit des peuples à disposer librement de leur destin ?

b) Sur la seconde partie de la déclaration de M. Medvedev, à savoir «Ce n’est pas parce que Saakashvili a signé que nous retirerons nos troupes, afin de maintenir l’ordre et protéger nos populations »,je présume qu’elle fait allusion, elle aussi, à l’accord de cessez-le-feu qui autorise la Russie, d’après ce que je sais, à mettre en œuvre des mesure additionnelles de sécurité. Donc là encore réalisme (il faut maintenant apaiser les esprits et s’en donner les moyens) et souci de justice (ces mesures additionnelles ne sont destinées qu’à faciliter la mise en œuvre de l’accord de cessez-le-feu et elles ne se conçoivent, quant à leur nature et leur durée, que pour autant qu’elles sont proportionnées à leur objectif). En bref, la lecture que je fais des déclarations de M. Medvedev, si je ne le suspecte pas a priori, est, en l’état et à l’instant présent, plutôt celle d’un dirigeant responsable s’engageant à un strict respect de l’accord de cessez-le-feu qu’il a signé et s’y référant précisément. Où est le problème, à moins d’un procès en sorcellerie, stigmatisant la Russie non pour ce qu’elle dit et fait vraiment, mais pour les intentions qu’on lui prête et pour ce que l’on dit qu’elle est ?

18. Le début –pour parler par euphémisme- d’un procès en sorcellerie de la Russie me paraît se confirmer en effet quand M. G. Hertzog n’hésite pas ajouter que «Suprême perversité russe : nous avons signé le cessez-le-feu sarkozien, les Géorgiens aussi, on s’en tiendra donc là, et pas une concession de plus, pas de renégociation « élargie », à l’ONU ou avec les Américains. Merci camarade Sarkozy » Pourquoi l’accord de cessez-le-feu à peine signé, faudrait-il le renégocier et le faire à l’ONU ou avec les Américains (éloquente, ne trouvez-pas, cette incise : est-à-dire que M. Saakashvili ne veut pas respecter sa signature et jouer du poids américain pour ré-ouvrir la négociation ?). En quoi le fait, pour la Russie, de s’en tenir à l’accord de cessez-le-feu (ce qui, a contrario, démontre bien qu’elle ne le considère pas comme un chiffon de papier comme l’insinue pourtant M. G. Hertzog plus haut) constitue-t-il le signe d’une suprême perversité ? Est-ce là un nouvel avatar du droit international selon M. G. Hertzog : il y avait les Etats voyous ; il y a, désormais aussi, les Etats pervers. Ce sont ceux qui s’en tiennent à l’application des accords qu’ils signent. Une telle analyse a une conséquence qui ferait sourire si elle n’était annonciatrice de difficultés internationales ultérieures : le régime géorgien de M. Saakashvili étant lui, à bien suivre M. G Hertzog, dénué de perversité, si ce n’est par essence du moins dans le cas présent, il ne s’en tiendra donc pas à l’application de l’accord auquel il est partie.

19. La fin de l’article de M. G. Hertzog est une charge contre le Président Sarkozy si inconvenante que l’on ne peut l’expliquer que par une émotion mal maîtrisée et que l’on éprouve immédiatement le besoin d’en sortir en élevant le débat. De quoi s’agit-il en effet ? Le Président Sarkozy, en tant que Président de l’Union Européenne a fait, à l’évidence, l’impossible pour limiter les dégâts de la tactique aventureuse et de la stratégie malheureuse du régime géorgien. Sur l’aspect aventureux de la tactique, il a été suffisamment développé plus haut pour qu’il ne soit pas besoin d’y revenir. Mais sur l’impertinence de la stratégie choisie par ce régime, il importe de s’y arrêter un moment. Cette stratégie ne correspond en effet ni à la vocation, ni aux intérêts bien compris de la Géorgie. Par sa position géographique, par son histoire, par sa taille et pars son génie, la Géorgie ne me semble pouvoir mieux réussir et exceller que dans le rôle d’une « Suisse du Caucase », idéalement en association avec l’Arménie (qui semble avoir déjà pris ce cap), au confluent des influences de la Russie, de l’Europe et du monde islamique avec ses deux représentants les plus typés dans leur personnalité et dans leurs différences, à savoir la Turquie et l’Iran. Elle n’a rien à gagner à rechercher une position de supplétif de l’OTA N, ni même de L’Europe. Bien au contraire, c’est sa neutralité et sa capacité à être un carrefour qui devraient lui assurer un avenir enviable et envié. On voit donc que toute vassalisation vis-à-vis de l’Occident façon néo-conservateur américain et toute crispation sur les questions, finalement mineures pour elle, de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, apparaissent comme des obstacles majeurs à la réalisation de ce qui devrait être son ambition.

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