Les Israéliens ont coutume de se plaindre de la polarisation de l'opinion publique sur le conflit israélo-palestinien.
Israël argumentent-ils, ne possède pas le monopole de la barbarie et le moindre conflit dans un pays arabe ou l'Afrique subsaharienne provoque plus de souffrances que le pire des crimes perpétrés par l'armée israélienne. Ils en concluent que les critiques adressées à la politique israélienne témoignent d'une volonté antisémite camouflée derrière un alibi humanitaire. Dans la présentation de son dernier livre "Le nom de trop", Jacques Tarnero écrit :
Pourquoi le nom d'Israël dérange-t-il ? De quoi Israël est-il l'éternel coupable ? Coupable de faire ou coupable d'être ? La haine d'Israël semble être devenue la religion d'une partie de l'humanité. Avec une obsessionnalité peu commune, voilà cet Etat régulièrement accusé de tous les crimes de la terre. Que désirent tous ces indignés ? De boycott en flottille humanitaire, ces grands coeurs ont fait du nom d'Israël leur dernière passion répulsive. Tandis que les révoltes arabes révèlent que les arabes sont d'abord les victimes d'autres arabes, c'est toujours l'Etat des juifs qui est dénoncé comme le Mal absolu. Comment, en Europe, la mise en équivalence de la croix gammée et de l'étoile juive peut-elle être exhibée ? De quelle cause est-elle l'étendard ? De quoi le nom d'Israël est-il le symbole pour que certains veuillent à ce point l'effacer ?
Les défenseurs de la politique israélienne n'évoquent jamais les expropriations de palestiniens, expulsions, destruction de villages et de récoltes, découpage de la Cisjordanie en enclaves isolées par des chapelets de colonies, captation de l'eau, vexations de la part des colons et de l'armée d'occupation. Tout cela n'existe pas et ils refusent obstinément d'aborder ce sujet s'ils ne sont pas en terrain ami, là où ils peuvent affirmer avec l'approbation de tous que la spoliation des palestiniens n'est que la réappropriation d'une terre juive usurpée par les arabes, vérité évidemment inaudible pour un auditoire "antisémite".
En d'autres termes, ce ne serait pas les persécutions subies depuis quarante ans par les habitants non-juifs des Territoires occupés qui mobiliseraient l'opinion publique mondiale, mais l'existence même d'un état juif.
Antisémitisme : la nouvelle frontière
La colonisation des terres palestiniennes reflète une obsession ségrégative et un cauchemar démographique.
- Cauchemar démographique car les palestiniens deviennent inexorablement majoritaires entre Jourdain et Méditerranée en dépit des appels à l'immigration adressés au monde entier et des efforts accomplis par les juifs orthodoxes.
- Obsession ségrégative car pour des raisons qui associent fantasmes sécuritaires et idéologie national-religieuse, les Israéliens accaparent les Territoires occupés mais refusent qu'une population non-juive y dispose de droits démocratiques, à l'instar de l'Afrique du sud de l'Apartheid.
Ces dernières années ont vu apparaître l'exigence bruyante d'une reconnaissance mondiale de la judéité de l'état d'Israël, c'est-à-dire de l'exclusivité des droits des juifs en matière civile et politique. Critiquer l'expansionnisme d'Israël et les persécutions infligées aux palestiniens, reviendrait donc à contester au "peuple juif", un "droit à l'état" inséparable d'une racialisation revendiquée. Parallèlement, les idéologues s'efforcent de déminer le racisme et expliquent que les critiques visant Israël sont de "l'antisionisme", une forme prétendent-ils de l'antisémitisme. Celui-ci consisterait aujourd'hui à contester aux juifs la possession d'un état-refuge et se répandrait dans le monde entier, principalement à la gauche traditionnellement sensible à l'injustice sociale et aux persécutions raciales.
Ces arguments tortueux ont toutefois du mal à convaincre hors d'un étroit milieu communautaire. D'où l'importance de les adosser aux véritables actes antisémites, violences contre les lieux de culte ou les personnes. Il est remarquable à cet égard que l'interprétation communautaire des meurtres de Toulouse début 2012, a visé pour l'essentiel à stigmatiser les critiques adressées à la politique israélienne.
Le chantage à l'antisémitisme est devenu un rituel, exploitant comme un réflexe conditionné le traumatisme causé par le récit de l'extermination des juifs par les nazis. Il est toutefois utile de rappeler que l'antisémitisme ne désigne pas la contestation des aspirations nationales du "peuple juif" et des exactions commises en son nom, mais les persécutions raciales infligées aux juifs : discours infamant, ségrégation, discriminations, violences. À cet égard, assimiler l'étoile juive à la croix gammée est abusif, mais ce n'est pas de l'antisémitisme.
Très présent dans le nationalisme européen avant la Deuxième guerre mondiale, l'antisémitisme comme élaboration doctrinale, subsiste aujourd'hui sous forme souterraine à la marge de l'extrême-droite. Par ailleurs, le ressentiment des habitants des pays arabes confrontés chez eux ou dans l'émigration au blocage social et à l'impuissance politique trouve de toute évidence un exutoire dans la haine de l'État d'Israël, dont celui-ci se réclame pour justifier les exactions commises à l'encontre des palestiniens. Le soutien inconditionnel apporté à la politique israélienne par les États-Unis et la passivité européenne, laissent le champ libre aux interprétations complotistes et fournissent un levier facile aux manipulations politiques. Cela explique qu'une partie du nationalisme arabe et de l'islamisme sécrète un discours antisémite.
Il est plus étonnant que ce discours trouve un écho dans certains milieux qui sous prétexte de prendre le contre-pied du nationalisme israélien sur son propre terrain, se laissent piéger par une interprétation racialiste du conflit.
Sur la ligne de fracture
Le racisme n'est le monopole ni d'Israël, ni du monde arabe. Durant la présidence Sarkozy, les déclarations racistes étaient orchestrées au plus haut niveau de l'état. Ces trente dernières années sont marquées par un profond bouleversement des forces sociales au plan mondial. Tandis que des continents jusqu'alors condamnés à la misère émergent à l'économie moderne et à la puissance technique, notre planète offre le spectacle récurrent de violences sinon d'émeutes raciales dans lesquelles s'agitent des populations affolées sous les encouragements d'imams, rabbins, popes et tribuns populistes.
Le procès du tueur d'Oslo a mis en évidence les sources auxquelles Anders Brevik alimentait ses fantasmes. Il était notamment un lecteur assidu des ouvrages de Bat Ye'Or, une propagandiste israélienne de nationalité britannique qui développe dans Eurabia une théorie du complot destiné par le canal de la coopération économique et culturelle, à soumettre l'Europe au monde arabe avec la complicité de la gauche européenne. La doctrine présentée dans ce livre fonde aujourd'hui, la vision néo-conservatrice d'un État d'Israël à l'avant-garde du monde blanc face au tiers-monde. Elle fonde également les prétentions israéliennes au leadership régional, en délégitimant les relations entre l'Europe et le monde arabe.
Les lendemains de la Deuxième guerre mondiale ont rejeté la vision nationaliste exaltée par le fascisme et le nazisme, fondée sur l'unicité de la population autour d'une vision du monde et dans un espace vital. À la source de la barbarie nazie, la doctrine de l'identité peuple/race - état a été balayée au profit d'une vision universaliste. Ce rejet s'est accompagné de la remise en cause de la domination coloniale fondée sur le droit de ceux qui sont "entrés dans l'histoire", de disposer à leur gré des foules indistinctes restées en arrière. La guerre du Vietnam a vu un vaste mouvement de solidarité enflammer le monde entier, que les partisans de la guerre américaine accusaient d'être animé par un anti-américanisme tout aussi pervers que "la haine d'Israël" qu'invoque Jacques Tarnero. Quelques années plus tard, la lutte contre l'Apartheid en Afrique du sud a également suscité la solidarité internationale, tandis qu'en France, le Front National invoquait déjà le racisme anti-blanc comme motivation de cette mobilisation.
De quoi la Palestine est-elle le nom ?