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Billet de blog 19 mars 2013

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Mariage pour tous, que reste-t-il des opposants ?

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Ils se proposent de bloquer l'avenue des Champs-Élysées ce dimanche 24 mars, vouant d'avance aux gémonies la police et son chiffrage blasphématoire. À l'approche de l'examen par le Sénat du projet de loi sur l'extension du mariage aux homosexuels, les entrées des églises se couvrent d'appels, on éventre les cartons d'indulgences plénières derrière les confessionnaux, tandis que les salles paroissiales bruissent de réunions d'organisation.

Les enjeux

On estime les homosexuels aux alentours de 5% de la population dans les pays dont la tolérance autorise ce genre d'investigation. En France selon l'INSEE et l'INED, l'homoparentalité concerne un couple homosexuel sur dix soit 10.000 couples élevant 20.000 à 40.000 enfants. Dans l'état actuel de la législation, il n'existe pas juridiquement parlant de couple regroupant deux personnes du même sexe. Seul le parent biologique ou adoptif exerce l'autorité parentale et peut transmettre ses biens à son enfant. Le gouvernement se propose d'étendre ce droit au couple homosexuel afin de sécuriser l'enfant. De faire en sorte par exemple qu'en cas de décès d'un parent, l'autre exerce de plein droit l'autorité parentale à laquelle l'enfant a été habitué.

En se polarisant sur des conséquences supposées catastrophiques de l'homoparentalité, les opposants s'attaquent au projet de loi sans le critiquer vraiment. On retrouve le même fossé entre Pouvoirs publics et Église apparu à l'occasion de l'élaboration de la Loi Neuwirth en 1967 et de l'encyclique Humanae vitae en 1968 : socialiser les humains ou culpabiliser les pécheurs.

Les enfants d'homosexuels, des mutilés ?

Les critiques au projet de loi introduisent une "scène fondatrice" supposée indispensable à l'enfant pour construire sa personnalité sur le modèle sexué de sa propre genèse. Les enfants élevés par des couples homosexuels ne recevant pas de leurs parents l'image de la polarisation structurant l'ensemble du vivant, leur personnalité en serait handicapée et leur socialisation déficiente. On note toutefois l'absence d'une mise en lumière des mécanismes sous-jacents. La presse a publié certaines de ces analyses :

Un psychiatre de l'enfant distille des poncifs sexués[1] en affirmant la nécessité d'une "asymétrie parentale" sans fournir une perception de l'incidence réelle de cette polarisation du couple parental et des conséquences de son absence et invalidant a priori les études de terrain.

Dans son interview par la revue en ligne Psychologie.com, le psychanalyste Jean-Pierre Winter annonce que le remplacement dans la réglementation des mots père et mère par le mot parents, équivaut à leur meurtre symbolique. Il prédit que "les problèmes ne se poseront pas au moment où l’enfant va évoluer au sein du couple homosexuel, mais le jour où lui-même va avoir des enfants. Il va alors se demander ce qui est transmissible de sa filiation, de son histoire".

Sylviane Agacinski reproche à l'homoparentalité de substituer la pratique sexuelle au sexe. En d'autres termes de nier la centralité de la reproduction sexuée en remplaçant le sexe par le genre. Elle souligne par ailleurs un manque dont souffrira l'enfant conçu par procréation médicalement assistée (PMA) qui ne connaîtra pas ses deux parents.

Le 15 mars, 170 juristes appellent les sénateurs à repousser le projet de loi. Vont-ils nous éclairer sur un écueil juridique que le législateur n'aurait pas vu ? Non. Juste une reprise des mêmes modèles rhétoriques.

Et bien entendu, nos prélats ont abandonné le discours dogmatique qui avait échoué à bloquer les lois Neuwirth et Veil, au profit d'un verbiage anthropologique de bon aloi. Aujourd'hui, le premier enfant de cœur venu vous débite des polarisations asymétriques et autres scènes fondatrices.

Et puis ...

Derrière les fantasmes, la réalité

Et puis des dizaines d'études[2] sont consacrées depuis les années 1970 aux enfants élevés par les couples homosexuels dans les pays les plus avancés à cet égard (États-Unis, Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas). Ces études dont personne ne conteste la validité ni les enseignements, montrent des enfants dont certains sont devenus adultes, jouissant d'un développement affectif et d'une intégration sociale équivalents aux autres. En d'autres termes, les enfants de couples homosexuels compensent l'absence de bipolarité parentale que nos experts présentent comme rédhibitoire.

Si on ignorait que de nombreux médecins[3] contestent vivement ceux d'entre eux qui se prévalent de leurs titres professionnels à l'appui de leurs préjugés, on se prendrait à douter de la science et de la philosophie. Les poncifs évoquant les rôles respectifs du père et de la mère sont tellement convaincants ! Comment douter de l'acuité du regard d'un nourrisson ? Comment contester qu'un enfant élevé au sein d'un couple hétérosexuel intériorise ces manières d'être, maternelle et paternelle, en regard desquelles il se positionne ?

Mais quel rôle joue réellement cette polarisation ? Comment fournit-elle à l'enfant le substrat de son développement personnel et quel déficit entraîne son absence ?

Force est de constater que la méconnaissance de ces mécanismes laisse le champ libre aux fantasmes et que quelques uns n'hésitent pas à extrapoler un schéma explicatif tiré de l'observation des enfants d'hétérosexuels, pour usurper des capacités prédictives.


[1] Maurice Berger, chef de service en psychiatrie de l'enfant au
       CHU de Saint-Etienne, Le Monde du 7 février 2013 :

"Tout d'abord, un enfant a besoin de pouvoir s'identifier aux composantes masculines et féminines de ses parents. De nombreux travaux montrent que père et mère offrent au bébé un style d'échanges différents et complémentaires. Schématiquement, les mères proposent un dialogue émotionnel.

Par la voix, le regard, la recherche d'une position confortable, elles font naître chez lui les sentiments originels de sécurité et régulent ses états de bien-être et de mal-être. Les pères sont dans un échange plus physique, plus stimulant (comme le fait de soulever le bébé dans les airs), demandent plus la réalisation de tâches, mettent plus au défi.

L'enfant a besoin de cette asymétrie parentale, et c'est un leurre de dire que, élevé par des adultes homosexuels, il va pouvoir s'identifier à la dimension masculine ou féminine qui lui manque à l'occasion de contacts avec des amis adultes d'un sexe différent de celui de ses parents".

 [2] Voir le dossier rassemblé début novembre pour Médiapart par Carine Fouteau et Marine Turchi au sujet des études consacrées aux enfants élevés par des couples homosexuels :

http://www.mediapart.fr/journal/france/011112/lhomoparentalite-dans-les-etudes-scientifiques-1-quoi-servent-ces-etudes
http://www.mediapart.fr/journal/france/011112/lhomoparentalite-dans-les-etudes-scientifiques-2-comment-vont-les-enfants
http://www.mediapart.fr/journal/france/051112/lhomoparentalite-dans-les-etudes-scientifiques-3-des-etudes-critiquees-pour-le
http://www.mediapart.fr/journal/france/011112/lhomoparentalite-dans-les-etudes-scientifiques-4-il-ny-pas-une-mais-des-homopa

- deviennent-ils plus souvent homosexuels que les autres ?
- souffrent-il de troubles du développement psychologique ou
    des performances scolaires ?
- sont-ils victimes d'agressions sexuelles au sein de leur famille ?
- sont-ils stigmatisés à cause de leur famille ?

[3] lire dans le Monde "Psys, taisons-nous !" de Sylvie Faure-Pragier, l'article de Benoît Schneider et Olivier Vecho ainsi que la pétition signée par plus de 1800 psychanalystes contestant l'exploitation de leur discipline à l'encontre du projet de loi.

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