Face à la candidature de la Palestine à l'ONU et son admission à l'UNESCO, les officines de lobbying israélien ont fiévreusement développé une thématique arguant que les Palestiniens qui n'ont jamais présenté de revendication nationaliste avant les années soixante, ne sont pas un peuple et n'ont donc pas vocation à bâtir un état. On va jusqu'à prétendre que les Palestiniens n'existaient pas avant l'arrivée des Juifs. Le CRIF fait grand cas d'un livre publié en octobre "Comment le Peuple palestinien fut inventé"[1] dont son commentateur a sélectionné une phrase qu'il juge emblématique,
Les Palestiniens sont des Arabes, souvent musulmans et venus, pour la plupart récemment, en «Palestine», souvent dans le sillage des pionniers juifs générateurs de travail pour des populations oisives dans leur pays d’origine.
un bel échantillon de poncifs racistes : les Arabes oisifs (n'hésitons pas : paresseux !) accourant pour disputer les miettes du dynamisme économique des Juifs. Un passage du quatrième de couverture :
L'invention du peuple palestinien eut, et a toujours, un dessein très clair : la volonté politico-existentielle de détruire l'État d'Israël.
et voilà les Palestiniens n'existant que pour nier Le Peuple juif et son droit à l'État juif. On mesure le délire paranoïaque de cette prose. La négation des Palestiniens et des droits élémentaires que toute population humaine est en droit d'exiger – accès à l'espace, au travail, à la culture, aux droits politiques, - devient pour ces auteurs, constitutive de l'essence même du Peuple juif.
Faut-il être nationaliste pour exister ?
En dépit du caractère récent des revendications nationalistes palestiniennes, ces évidences n'avaient pas aveuglé les Israéliens au moment de signer les accords d'Oslo. Elles contredisent les recensements de population de l'époque ottomane et les travaux des historiens qui attestent du fait que la Palestine était l'une des provinces les plus dynamiques de l'Empire ottoman. Sujets du mandat britannique, puis pour ce qui concerne la Cisjordanie, du Royaume de Jordanie jusqu'en 1994, cultivant leur terre, exerçant leur artisanat ou leur commerce, les Palestiniens n'ont jamais développé de revendication nationaliste, au contraire des Israéliens qui accusent d'antisémitisme tous ceux qui ne reconnaissent pas la légitimité de la leur. Sont-ils pour autant des sous-hommes tout juste bons à croupir dans des réserves ou à dégager le terrain pour laisser la place aux maîtres revenus après deux mille ans d'exil ? Depuis 1967, l'État israélien occupe la Cisjordanie, multiplie expropriations et exactions des colons officiellement illégaux mais protégés par l'armée israélienne. Cette politique qui vise à achever le nettoyage ethnique en délogeant les habitants, en ruinant leur économie (captation des eaux, destruction des plantations, entraves à la circulation, freinage des relations commerciales et financières) et en les diabolisant devant le monde entier lorsqu'ils se révoltent, s'apparente de toute évidence à la politique d'Apartheid en Afrique du sud.
Les Palestiniens ne sont pas seuls sur Terre à revendiquer leur indépendance. Ils sont toutefois la seule population occupée par un état qui leur dénie toute citoyenneté pour des raisons raciales. Occupés, mais rejetés par l'État du Peuple juif sous prétexte qu'ils ne sont pas juifs, ils sont privés de tout accès à la souveraineté, ce qui les a logiquement conduit à développer leur propre projet étatique. Mais comme le gouvernement israélien a entrepris depuis les accords d'Oslo, de réduire le territoire cisjordanien à l'état d'archipel d'enclaves, il refuse une indépendance qui le mettrait dans l'illégalité devant la Communauté internationale. Adossé au soutien inconditionnel des États-Unis, il exclut toute autre négociation que bilatérale. Toutefois, l'expérience montre que compte-tenu du rapport des forces, les négociations bilatérales sont un leurre qui bute sur le refus des Israéliens de négocier sur la base des frontières d'avant 1967 et sur celui des Palestiniens d'agréer les frontières étriquées résultant de la colonisation.
Un état ou deux états
La solution avec deux états était prévue par les accords d'Oslo, torpillés par le développement de la colonisation juive en Cisjordanie. Une autre solution serait un état israélo-palestinien. Celle-là se heurte évidemment aux haines accumulées depuis des dizaines d'années et aux différences de niveau de développement. Elle serait aussi compliquée par les influences diverses qui se manifestent, pays de la région influents du fait de l'aide prodiguée aux palestiniens, puissants lobbys notamment aux États-Unis, liés aux groupes extrémistes israéliens et aux puissantes sectes évangélistes pour lesquelles le retour des Juifs en Terre sainte est une étape nécessaire avant le retour du Christ. Enfin, elle va à l'encontre des idées d'état racialement pur qui fleurissent en Israël. Pour toutes ces raisons, aucune solution de paix ne peut faire l'économie d'un encadrement international durable.
Il est révélateur qu'au moment ou le Président de l'Autorité palestinienne présente la candidature de la Palestine à l'ONU, le gouvernement israélien et ses relais à l'étranger exigent subitement que les nations proclament solennellement le caractère "juif" de l'État d'Israël. Une étrange revendication qu'aucun état n'avait jamais présentée. Aucun rapport en effet avec les dénominations "états arabes", "pays latins" ou les qualificatifs dont certains états affublent leur nom officiel : "république démocratique" ou "république islamique" mais dont aucun n'a jamais exigé la reconnaissance universelle de leur caractère islamique, démocratique, populaire ou autre.
[1] http://www.crif.org/?page=articles_display/detail&aid=26902&returnto=articles_display/list&artyd=8