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Billet de blog 30 mai 2012

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Les Français de l'étranger dans l'isoloir

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Les Français élisent leurs députés les 10 et 17 juin. Ceux qui résident à l'étranger voteront dans les bureaux consulaires le 3 juin et leur vote par internet s'est déroulé du 23 au 30 mai. La nouveauté de ce scrutin tient à ce que détachés s'ils le souhaitent de leur circonscription d'origine sur le territoire français, les expatriés éliront onze députés, un par zone de résidence. 

 1. USA, Canada          
 2. Amérique centrale et du sud 
 3. Îles britanniques et Scandinavie        
 4. Bénélux      
 5. Espagne Portugal, Monaco, Andorre 
 6. Suisse, Liechtenstein          
 7. Europe centrale et orientale  
 8. Europe du sud et Israël        
 9. Maghreb, Afrique de l'ouest  
10. Moyen-Orient, Afrique de l'est          
11. Asie, Océanie        

Cette réforme qui vise en réalité à fournir quelques sièges de plus à la droite au sein de l'Assemblée nationale a essuyé de nombreuses critiques. Les Français de l'étranger connaissent des problèmes spécifiques touchant par exemple à leur couverture sociale, aux équivalences de diplômes, à l'obtention de documents d'état-civil. Mais ils sont déjà représentés auprès des institutions politiques françaises par une Assemblée des Français de l'étranger et par neuf sénateurs, le Sénat ayant vocation à exprimer les particularismes. En revanche, malgré l'élection des députés dans des circonscriptions territoriales, l'Assemblée nationale s'inscrit dans l'indivisibilité de la République française. Le fait est qu'alors que les débats électoraux en France sont centrés sur la politique nationale, dans leurs onze circonscriptions, ils se polarisent sur la condition des expatriés. Par conséquent, l'institution de députés des Français de l'étranger affaiblira la représentation nationale.

Symbole des dérives provoquées par cette réforme, plusieurs candidats pro-israéliens dans la huitième circonscription proclament leur volonté de consacrer leur activité d'élus à aligner la politique extérieure française sur les buts de guerre israéliens[1]. À l'inverse, le gouvernement canadien a protesté contre l'élection d'un "député français d'Amérique du nord" dans laquelle il voit une source potentielle d'ingérence française dans cette région.

Les Français de l'étranger votent majoritairement à droite : huit de leurs circonscriptions ont penché en faveur de Nicolas Sarkozy au deuxième tour de l'élection présidentielle. Cette situation a toutefois profondément changé depuis trente ans. Tandis que le nombre d'inscrits passait de 130.000 en 1981 à 1.080.000, la participation chutait de 79% à 42% et la droite passait de 70% à 53% des exprimés.

Cette caractéristique moyenne masque une réalité multiforme. La presse[2] et les résultats électoraux laissent apparaître schématiquement trois catégories de Français de l'étranger dont la situation concrète se reflète dans le positionnement politique : l'expatrié classique, l'émigré revenu au pays, le Français installé en Israël.

l'expatrié classique, pour raisons professionnelles ou familiales

Il (ou elle) a créé son entreprise au Sénégal ou au Brésil, travaille dans un établissement allemand d'une multinationale, une entreprise londonienne ou une banque suisse, s'est marié(e) au Canada, travaille dans un cabinet d'avocats américain, fait de la coopération au Vietnam ou a été mis(e) à disposition des services de la Commission européenne.

Il est souvent socialement favorisé et le débat politique français lui paraît étroitement hexagonal, alors qu'ayant franchi les océans et bousculé l'obstacle linguistique, il se considère émancipé de toute frilosité culturelle et sociale. Il vote à droite lorsqu'à l'instar des conservateurs américains, il tire de son vécu la conviction que la solidarité sociale pèse sur lui de façon illégitime. Cette image de la grande majorité des Français résidant à l'étranger est bien sûr schématique. Sensible à une problématique sociale proche de celle de la France, nos compatriotes installés en Europe du nord et de l'est ont basculé à gauche contrairement aux Français installés en Suisse ou en Belgique. Les Français du Canada ont fait le même choix à l'inverse de leurs voisins des États-Unis.

le travailleur immigré, naturalisé français et retourné dans son pays d'origine

Généralement installé au Maghreb, en Afrique de l'ouest ou en Turquie, il vote à gauche par conscience de classe, renforcée ces dernières années par le déferlement du poncif raciste dans le discours politique officiel. La stigmatisation de la Turquie à propos du génocide des Arméniens et l'islamophobie ne sont sans doute pas pour rien dans les 72% de voix turques et 87% de voix algériennes qui se sont portées sur François Hollande.

le Français émigré en Israël ayant conservé la double nationalité

Il a émigré en Israël sans intention de revenir. Il est toutefois sensible à la politique française à l'égard des expatriés, car la situation sociale qu'il trouve en Israël lui fait généralement l'effet d'une douche froide et qu'il se trouve souvent déclassé. Fortement radicalisé ces dernières années, le discours nationaliste israélien en fait une masse de manœuvre de "la cause sioniste". Plusieurs candidats de la huitième circonscription affichent avec morgue leur volonté de se consacrer au lobbying pro-israélien. Les sites israéliens francophones[3] montrent un Juif français hanté par la mauvaise opinion ambiante à l'égard de la spoliation des Palestiniens, qu'influencé par la propagande communautaire, il assimile à un déferlement d'antisémitisme. À cet égard, l'installation en Israël est affichée comme une "montée" vers la Terre promise et une fuite devant les graves dangers encourus par ceux qui restent en France. Datée du 30 mai, la phrase suivante est extraite d'un appel de Jacques Kupfer, co-président du Likoud mondial, à voter pour un candidat spécialisé dans le harcèlement judiciaire de la presse française, visant à interdire toute critique de la politique israélienne :

Au moment où se précipitent les événements mettant en danger la communauté juive de France, menaçant les institutions républicaines qui faisaient encore barrage à l’islam déchainé, au moment où les fluctuations économiques peuvent engendrer en Europe de nouveaux troubles, il est évident que l’homme de la situation est Philippe Karsenty.

Le score record de 93% obtenu par Nicolas Sarkozy en Israël à la suite de l'appel du Président du CRIF en sa faveur, reflète cette "piednoirisation" de la société israélienne.

On observe une forte abstention chez les expatriés, sans doute causée par le désintérêt et aussi la distance à parcourir jusqu'aux rares bureaux de vote : 40% de participation avec des écarts considérables. À cet égard, le vote par internet censé résoudre ces difficultés pratiques, a semble-t-il buté sur des obstacles techniques.

Un tour des différentes circonscriptions montre tout d'abord le grand nombre des candidats. La plus pauvre à cet égard est la huitième circonscription avec 10 candidats. Sept circonscriptions sont briguées par 15 candidats et plus, dont trois culminent à 20 et 21 candidats.

En dehors des partis français classiques, de nombreux candidats se présentent sans étiquette ou indépendants, au nom de formations propres aux expatriés comme le Rassemblement des français de l'étranger, le Collectif Vision France Expat ou la Ligue internationale des Français de l'étranger. Dirigé par Jacques Cheminade qui vise à émanciper la vie sociale du poids de la grande finance et à relancer l'économie par le lancement de grands travaux d'infrastructure, Solidarité et progrès présente un candidat dans toutes les circonscriptions. Né en Suède en 2006 et présent dans quatre circonscriptions des Français de l'étranger, le Parti pirate annonce une centaine de candidats aux élections législatives. Il se veut international, attaché à la transparence et à la libre-circulation des données et des biens culturels et opposé au fichage et au vote électronique.


[1] Lire les deux précédents billets de blog sur ce sujet :
      L'état d'Israël disposera-t-il d'un siège de député français et
      Nicolas Sarkozy élu en Israël
[2] Le Petit Journal, un site en ligne consacré aux expatriés
[3] Guysen, JSSNews, Hamodia, CRIF

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