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Billet de blog 2 mars 2022

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UKRAINE

Affaiblir l’agresseur Poutine et les autocrates du Golfe (et d’ailleurs) sans se tirer une balle (entendez une tête nucléaire) dans le pied. Un rappel à la réalité, suivi d'une exhortation à voter vrai.

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1) Opérer la bifurcation écologique.


Sur ce point j’aurai le triomphe facile. Mais je rappelle que mon Manifeste continental commençait par ces mots :

« L'humanité prend peu à peu conscience de la finitude du monde. Les Européens ne le gouvernent plus. Et c'est bien. Mais l'Europe, leur continent, n'est même pas capable, faute d'unité, de contribuer positivement au gouvernement du monde. Ce vide de puissance déséquilibre les relations entre les Etats-continents. Depuis la deuxième guerre mondiale, les Etats-Unis d'Amérique n'ont jamais pu résoudre seuls une crise internationale. La Russie n'en finit pas de se penser comme un empire. Seule la Chine est capable de contester le vieil équilibre. Et le nouveau peine à s'établir, en l'absence d'Europe.

La multiplication des phénomènes extrêmes – changement climatique, effondrement de la biodiversité, explosion des inégalités – est le signe manifeste de l'insoutenabilité du régime de croissance issu de la révolution industrielle européenne. Elle annonce l'épuisement de la Terre, sous les effets conjugués du productivisme, de l'extraction et de la consommation du carbone fossile et des métaux.

Les Etats-rentiers du pétrole et du gaz nourrissent des illusions de toute-puissance. Dans une Europe sans politique énergétique commune, la dépendance aux énergies fossiles a asservi les politiques énergétiques nationales aux autocrates du Moyen-Orient et de l'Eurasie. Dans le même temps, les Etats ont abandonné leur droit souverain de financer déficits et investissements longs par des avances de leurs banques centrales à leurs trésors. Des taux d'intérêt croissants ont afflué dans les banques privées (derniers prêteurs), et l'endettement public a bondi. La dette soi-disant "souveraine" a asservi les politiques économiques et sociales aux conditions et aux préférences de la finance de marché.

Cette double dépendance, énergétique et financière, des Etats désunis d'Europe condamne les politiques publiques, qu'elles visent l'investissement ou la redistribution, à une paupérisation certaine. Elles sont le prélude à l'extrême désespérance des campagnes et des territoires abandonnés par l'industrie, tandis que le numérique et les robots détruisent massivement les emplois salariés et que le précarité explose. »

Aujourd’hui, les médias de nos milliardaires s’avisent de notre addiction au gaz russe. Dont acte. Les lignes que vous venez de lire datent de 2015. Deux ans avant les précédentes présidentielles françaises, avant les gilets jaunes, avant le Covid. Elles suivaient le fil que je déroulais un peu seul depuis le tournant du siècle, dans l’indifférence de ma famille politique d’origine, les fédéralistes européens, qui continue de réclamer béatement et rituellement la fédération tout en ignorant les conditions anthropologiques et écologiques de son avènement, et sans se soucier du tracé de la route à parcourir, dans un monde et une société différents de ceux du dernier siècle. Le reproche est grave et j’en mesure la violence.

Les Européens, et j’entends tous les habitants de ce continent, ne devront plus consommer que ce qu’ils peuvent remplacer. C’est la condition non seulement pour contribuer à notre échelle au sauvetage de la planète et du vivant, mais aussi plus immédiatement pour nous libérer de la servilité ou de la complaisance à l’une quelconque des puissances à prétention impériale.

2) Fermer le casino.

Depuis un demi-siècle, le pouvoir se déplace de la puissance publique vers la finance privée. La cartes des autocraties coïncide plus ou moins avec celle de la rente carbone. L’économie réelle et les politiques publiques sont hégémonisées par la triade des gestionnaires d’actifs, comme BlackRock, des banques d’affaires, comme Goldman Sachs, et des cabinets de conseil, comme McKinsey. La richesse des oligarques du carbone transite par la City et Wall Street, qui fonctionnent comme des lessiveuses géantes, et le sport favori des ultra-riches est partout l’évasion fiscale. Leurs avoirs, plus ou moins mal acquis (entre 9 et 36 milliards de milliards de dollars), trouvent refuge dans des havres fiscaux, tolérés, voire protégés par le double jeu des gouvernants et dirigeants d’entreprises, même dans les démocraties représentatives, où la pratique des revolving doors, entre le public et le privé, se généralise.

Ce déplacement du pouvoir s’inscrit dans une stratégie délibérée d’appauvrissement d’une majorité de citoyens au profit d’une minorité d’extracteurs de la richesse produite, où des gestionnaires de bonne foi côtoient malgré eux des voleurs et des mafieux, voire des criminels de guerre, anonymisés par des sociétés-écrans.

Le gel des avoirs de Poutine et des oligarques russes (la Russie est au cinquième rang mondial en nombre de milliardaires), nécessaire pour gagner la paix en Ukraine et la liberté des Ukrainiens, prendra tout son sens s’il est un premier pas vers le démantèlement de ces circuits frauduleux d’échelle planétaire. Stop à la guerre et, d’un même mouvement, stop à l’appauvrissement des peuples. La cohésion des sociétés humaines, condition historique et sociale d’une organisation démocratique du monde et de la survie de la démocratie en Europe, n’est pas au coin de la rue, faute d’un rapport de forces favorable à une visée émancipatrice. Il faut bien constater que le choix de la paupérisation des dominés s’appuie sur une hégémonie culturelle, celle de l’idéologie néo-libérale – la vraie fabrique de l’austérité et du chômage. Inverser ce rapport passe nécessairement par un long chemin vers l’égalité devant l’impôt.

Il incombe aux Etats d’Europe, ou à leur Union si elle en reçoit démocratiquement le mandat, de prendre l’initiative d’un Bretton-Woods de la fiscalité, pour négocier des règles multilatérales contraignantes, à l’échelle la plus large possible, établissant un régime commun de justice fiscale, fermant les havres fiscaux et mettant fin à la concurrence fiscale des Etats, en Europe et dans le monde (y compris le Delaware de Joe Biden). Pour mémoire : les traités européens ont « constitutionnalisé », sous couvert de « concurrence libre et non faussée », son exact contraire, la distorsion fiscale de la concurrence des entreprises, qui a contribué en Europe, avec la concurrence salariale et sociale, à désintégrer l’économie européenne.

En ciblant les milliardaires russes et leurs avoirs partout dans le monde, l’UE et ses partenaires commerciaux ont le pouvoir d’abolir l’une des causes de l’accaparement par une minorité des richesses produites par le travail d’une majorité de citoyens-contribuables et de rétablir les peuples dans leur souveraineté fiscale.

3) Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays (DUDH, art. 13). Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays (DUDH, art 14).

Ce texte universel vaut pour les Ukrainiens, comme pour tous ceux qui les ont précédés, et tous ceux qui les suivront. D’aucuns m’abomineront pour ce rappel. Mais ces principes ne souffrent pas d’exceptions, hormis la criminalité. Il va donc de soi que nous n’accueillerons pas M. Poutine. Il ne lui sera pas reconnu ce droit. Pour les autres, tous les autres, leur accueil est notre devoir, et nos Etats ne peuvent s’abriter derrière leur souveraineté pour priver quiconque de sa « liberté d’aller et de venir ». Le cas des Ukrainiens nous offre l’occasion (merci M. Poutine) de poser enfin sur des bases saines la question des migrations, de toutes natures, politiques, économiques, climatiques.

Il est vain de croire que l’Europe, qui a été un continent d’émigration depuis l’aube de la modernité, n’a pas vocation désormais à devenir un continent de migrations (internes) et d’immigration. Au nom de quoi prétendre interdire aux autres ce dont nous, Européens, ne nous sommes pas privés, pendant les quatre siècles et demi de colonisation.

Le débat français à ce sujet est intéressant. Un matérialiste y reconnaît les limites de l’idéalisme « humaniste » et du discours moralisant sur les « valeurs ». Jusqu’à ces jours derniers, j’avais considéré Jean-Louis Bourlanges (LREM, ex-UDF) comme un libéral modéré , comme un intellectuel de valeur et de talent, et même comme un allié à certains moments de ma vie de militant fédéraliste, comme dans les batailles pour l’élection directe du Parlement européen ou pour l’union monétaire (et même budgétaire et fiscale). Quel naufrage cette semaine ! Des migrants « de qualité », dont « nous pourrions tirer profit ». Non, M. Bourlanges, ce sera sans moi – je m’exclus de votre « nous ». Tel « le Bourgeois Gentilhomme », vous classez les humains selon leur « qualité », et vous mesurez celle-ci, comme « le bourgeois » au sens marxien, en termes de profit potentiel. Comme vous y allez ! Vous êtes une honte pour la République.

Oui, n'en déplaise aux européistes tièdes,, il faut accueillir dignement tous les réfugiés. A moins de considérer qu’être délogé de son domicile par les forces armées du gouvernement local ou par de terroristes (Syrie, Afghanistan, etc.) ne serait pas une persécution à la différence de l’exode devant les troupes d’un envahisseur (Ukraine).

Je donne crédit au candidat de l’Union populaire, Jean-Luc Mélenchon, qui propose une conférence des frontières et qui fait profession de paix et d’accueil, de ne pas « sacraliser » les frontières comme les souverainistes et autres nationalistes qui répandent sur les plateaux leurs vomissures racistes et xénophobes. Son universalisme républicain le met à l’abri de ce délire et de cette ignominie. Comme le disait un vieux slogan : « nous sommes tous des étrangers presque partout » et je présume que Mélenchon en convient. Cet aphorisme est si vrai qu’une frontière, même naturelle, rapproche plus qu’elle ne sépare. Les historiens le savent bien. C’est justement parce que beaucoup de Russes contestent le droit de Poutine de franchir la frontière pour envahir l’Ukraine qu’ils se sentent proches des Ukrainiens, pas pour des raisons « culturelles » (c’est le monde des essences nationales) mais pour des raisons simplement humaines (c’est le monde des individus réels concrets).

4) Balayez devant notre porte. Sans pousser la poussière sous le tapis.

Le candidat Macron de 2017, reprenant un « élément de langage » de Jospin, disait vouloir que la République soit « exemplaire ». Il disait vouloir « moraliser la vie publique ». Les Français ont vu depuis que c’était un mensonge. Sa morale est celle du renard libre dans le poulailler libre. Et sa République est un butin sur lequel lui et ses amis se servent. Les « affaires » se succèdent éhontément. Des témoignages s’accumulent sur le cynisme et la corruption de cet homme, qui gouverne isolé, avec une majorité parlementaire à sa botte, entouré d’un conseil de défense, sans égards pour l’opposition, dans le mépris de son peuple, etc. Non, cher lecteur, entendez bien : je ne suis pas revenu à Poutine, c’est de Macron dont je parle.

Il prétendait faire l’Europe en l’abreuvant de discours enflammés, qui laissent nos partenaires allemands pantois, mais Poutine vient de souder les Européens, contre lui. Contre son invasion d’un voisin où il se croit chez lui. « Events, events, my boy ! » disait McMillan. Je crois Macron capable de revendiquer la paternité de cette soudure inopinée. Un mensonge de plus. Au point où l’on en est, rien ne m’étonne. Ce qui m’inquiète, c’est la cécité de trop de mes concitoyens, non seulement français, mais européens, sur l’urgence de l’indépendance énergétique et de la décarbonation, sur la confiscation du fruit de leur travail, en particulier de la seule richesse des pauvres, que sont les services publics, et sur l’exigence éthique de l’accueil. Et je crains qu’en cas de victoire électorale du président sortant, nous reprenions pour cinq ans de dévastation sociale par conformité maladive de la « démocratie » au « marché ».

Ça suffit. L’alternance s’impose : une rupture avec le régime de croissance et la logique confiscatoire des actionnaires et, dans la République, la fin du pouvoir personnel et de la concentration de la presse. Planifier l’écologie, réguler la finance, accueillir les migrants, réparer la République française (et imaginer la République d’Europe) : Macron ne remplit aucune des cases. Électeurs de gauche ! Méfiez-vous, ne vous laisser pas abuser par le climat de guerre et la posture du chef de guerre. Pour gagner, Macron n’hésitera pas à vider les programmes de gauche de leurs différences (comme il l’a fait des programmes de droite : c’est à quoi sert le « en-même-temps » et le « ni-de- droite-ni-de-gauche), en confisquant des éléments de langage, dans un exercice de communication auquel il nous a habitués. Mais ce sera encore un « mensonge ». Alors, cochez mes cases, et « votez vrai » !

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