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Billet de blog 6 décembre 2021

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RÉPUBLIQUE ET CONSTITUANTE

Un fédéraliste européen explique pourquoi il votera Mélenchon.

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J'écris ce billet le 6 décembre 2021, à quelques mois de l'élection présidentielle en France. Hier, le 5, Jean-Luc Mélenchon réunissait le « parlement de l'union populaire ». Le succès de l'opération valide sa stratégie nationale de rupture avec le capitalisme financiarisé.

Plusieurs milliers de Français ont vécu hier autour des Insoumis un moment de liesse, d'expression un peu brouillonne mais bon enfant, et il n’y aura pas en France avant longtemps d’autre dynamique unitaire sans eux à partir de la gauche, pas d’élan populaire non plus. Et la visée universaliste était indiscutable, quand fut rappelé in fine que « la France » n'a pas d'existence hors la République.

Façon de dire que la nation n'est pas une essence, mais sans l'assumer jusqu'au bout, tant est fréquente dans le discours de Jean-Luc Mélenchon, la référence à la « patrie », qui est quand même la « terre des pères » (et pas des mères) et qui renvoie à un lignage et - les maîtres mots sont de traîtres mots - à une origine naturelle.

Mais façon de dire aussi que les Français, nous citoyens de la République, n'avons rien en propre qui nous soit reconnu jusqu'aux antipodes hormis notre triple visée libertaire, égalitaire et fraternitaire, qui convient à tout « le monde de l’homme », si les dominés veulent rompre leurs chaînes et les humains rendre leur dû à la nature.

Je n'attends pas de Jean-Luc Mélenchon, né hors d'Europe dans la France coloniale, qu'il entre par le coeur dans la question européenne. Qu'il ait mal à la France peut se comprendre. Qu'il ait du mal à comprendre la visée d'une Europe inventée sur tout le continent, dans les prisons, les camps ou les maquis, aussi. Mais un universaliste réaliste, qu'il est, a déjà montré qu’il sait entrer dans cette question par la raison, notamment à l’occasion, il y a quelques années, d’une rare échappée sur « le peuple européen ». Dès lors, il peut aussi combattre en lui la tentation de généralisations essentialistes du genre « Les Allemands ne sont pas des partenaires fiables », comme on le lui entend dire parfois.

Non, sur les délocalisations de France en Allemagne ou l'appropriation de savoir-faire français par des entreprises allemandes, les citoyens allemands n'ont pas été plus consultés que les Français. Jean-Luc Mélenchon n'a donc pas le droit d'identifier tous les Allemands à leurs gouvernements conservateurs ou aux dirigeants mercantilistes de leur économie, tout en disant: « ma » France n'est pas celle de Macron, encore moins celle de Pécresse, et surtout pas celle de Zemmour. Ce serait croire que tous les Allemands sont des clones de Schröder ou de Schäuble. Comment peut-il attendre de nos partenaires européens de la compréhension pour sa France à lui, s'il soupçonne l'Allemagne d'être un bloc monolithique, unie dans la déloyauté ?

Dans l'Europe des Etats, et l'ancien parlementaire européen devrait l'avoir compris, il faut savoir tendre des perches, et saisir celles qui vous sont tendues, et maintenant avec une fixe idée en tête : parcourir la seule voie qu'il vaille la peine d'ouvrir, celle de la Constituante, qui fut celle des fédéralistes européens dès après la guerre, et qui est à nouveau celle que propose l’accord de coalition en vue de la formation du prochain gouvernement fédéral allemand. Au gouvernement, l'union populaire devrait prendre ses futurs interlocuteurs au mot.

Né à l'Europe, dans mon cas, en pleine guerre froide, quand les chars soviétiques écrasaient la révolte à Budapest, et qu'à la recherche naïve d'une issue, je demandai à mon père ce qu'il fallait faire, je m'attirai cette réponse spontanée: les Etats-Unis d'Europe! Un propos qui ne m'a jamais quitté.

Alors personnalisons l’adresse : Jean-Luc Mélenchon, tu étais comme moi "mitterrandiste", comme on disait dans notre parti commun, tu as donc sans doute en mémoire cette phrase de la Lettre aux Français: "Les Etats-Unis d'Europe, j'y crois - et je les veux". Moi aussi! Mais les temps ont changé. C'était avant. Avant la financiarisation débridée, accélérée par la libéralisation des mouvements de capitaux, non seulement intra-zone euro, ce qui eût été conséquent, mais aussi extra-zone euro, ce qui inféodait la zone euro à Wall Street.

Alors, Jean-Luc Mélenchon, si la France n'existe pas sans la République, et j'en suis d'accord, alors l'Europe non plus. Je ne sonne pas ici l'heure d'une France républicaine élargie, vieille lune de notre haute administration - et ce que je compte d'amis en Europe parmi les fédéralistes le savent bien. Je voudrais sonner avec toi l'heure de l'exportation d'une idée française: celle de République fédérative, que nous devons à Montesquieu. Mise au goût du jour, en Allemagne, par Ulrike Guerot, en France, par Céline Spector. Pour moi, ce serait ce que les théoriciens du gouvernement des communs décrivent comme "un gouvernement polycentrique et multiscalaire": communs des communes, communs des régions (ton idée originale des bassins versants, propre à désessentialiser la "région" des régionalistes et à désamorcer les micro-nationalismes), communs des pays membres de l'UE (dont plusieurs sont des Républiques alors que d'autres pourraient aspirer à le devenir) et communs du continent (comme l'euro en devenir), dimension nécessaire de la grande négociation nécessaire entre les puissances-continents, passage obligé vers la réponse commune aux questions écologique, sanitaire, alimentaire, sociale et démocratique, et, au bout du compte, vers la République universelle, entendue comme mondialité démocratique.

La saveur utopique du propos ne signe pas une échappée dans le rêve, mais le tracé du chemin qui pourrait, concrètement, commencer de France avec l'Avenir en commun, se poursuivre en Europe avec la désobéissance et le bras de fer nécessaires pour renverser la logique d'une UE au service des intérêts privés du monde entier. C'est la logique de l'opting out conçue comme un levier pour renverser un ordre technocratique au bénéfice d'un ordre démocratique continental face au risque de la marchandisation et de la surveillance généralisées et, pour une transformation concrète de la société européenne face aux défis pandémique et climatique.

Si nous voulons en Europe une République fédérative, pour contenir d'abord, et refouler ensuite, la déferlante néo-libérale et la tentation autoritaire, alors il faut non seulement re-constituer la République dans notre pays, ce que j'attends depuis mon rejet du "pouvoir personnel" et depuis "Le Coup d'Etat permanent", ce livre qui a été décisif dans mon engagement dans le PS de Mitterrand, mais il faut aussi constituer l'Europe, avec ceux qui le voudront, en République fédérative.

Spinelli et Rossi, dans leur Manifeste de 1941, écrit dans l'île de Ventotene, où le fascisme les avaient rélégués, n'attendaient pas la paix, ni d’ailleurs la liberté, d'un traité entre des Etats, mais d'un mouvement de la société européenne, renversant les féodalités économiques qui avaient fait le lit du fascisme en plongeant la société dans la crise économique et sociale. Notre temps est-il si différent? C'est ce texte qui a toujours inspiré mon action. Et qui inspire mon adhésion à la perspective que tes amis et toi ouvrez avec l'union populaire.

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