
Le Comandante Chàvez, nouvelle icone des gauchos de quasi toutes obédiences, de plus en plus éblouis par les succés du populisme, n'a pas raté sa sortie en passant l'arme à gauche pile soixante ans après le Petit Père des peuples. Et l'on observe le même phénomène de déïfication de la nouvelle idole, les mêmes spectacles de lamentation collective, qu'à la mort d'icelui, les mêmes déférentes pitreries de respect obligé, ou pire sincères, de la part de certains politiques de gauche comme de droite.
Gare à celui qui ricane un peu du nouveau culte en train de se mettre en place ! S'il ose un peu douter des qualités et surtout des résultats du défunt, il a droit aux pires assimilations. Forcément c'est un salaud à la solde de l'impérialisme, un suppôt de la réaction, un admirateur de Pinochet, de Franco, de Hitler, de Kissinger, de Bush... J'en passe, et des meilleures ! L'âme pieuse des thuriféraires du caudillo sud-américain est autant bouleversée jusqu'en son tréfond que le fut celle de Poutine, nouveau sauveur de la Russie, lorsqu'il vit épouvanté, la manifestation sacrilège et profanatoire des Pussy Riots dans la Cathédrale du Christ Sauveur de Moscou ! C'est dire !
D'aucuns penseront que je force un peu le trait en établissant un lien entre l"homme que nous aimons le plus", comme le disait si bien Maurice Thorez à l'époque glorieuse du culte de la personnalité, et le Comandante Chàvez. Mais je me garde bien d'assimiler l'un à l'autre. Même s'ils ont quand même quelques points communs.
Chàvez avait indéniablement une humanité que Josip Djougatchvili avait perdu depuis belle lurette lorsqu'il commença son ascension politique. Le premier était simple "coronel", quand le second était maréchal et généralissime. Et on imagine mal le Géorgien se signant avant un discours aux Nations Unies, même s'il fut formé dans sa jeunesse pieuse au Séminaire. Mais tous les deux avaient une revanche à prendre sur la société : Staline était donc un Géorgien, autrement dit un vulgaire "cul noir" pour le Russe moyen, et Hugo Chàvez était à moitié indien dans une société, où, depuis Simon Bolivar, la clarté du teint est un passeport utile, sinon indispensable, pour accéder aux sommets. Tous les deux en tous cas, durent à une propagande intense, omniprésente et obsessionnelle l'image que finit par se forger d'eux une opinion crédule. Josip, en retrait et piètre orateur fit exécuter le travail par d'autres, frénétiques lêche-culs forcés, terrorisés ou conquis, telles des victimes du syndrome de Stockholm. Chavez, à l'inverse, sut mouiller la chemise, un peu à la manière d'un Doriot : de la sueur et du bagoût anti-gringos de tous les instants. A coté de lui, les rodomontades de notre gesticulateur précoce, Nicolas Sarkozy étaient, il faut bien le dire, de la gnognotte, tant au niveau de la testostérone en ligne qu'à celui du temps imparti pour les lancer. Imaginez Sarko revenant toutes les semaines à "Vivement Dimanche", se débarrassant de Drucker, organisant son propre spectacle, se passant même d'invités pour prouver au bon peuple ébaubi qu'en dehors de Sarko, il n'est point de salut ! Vous n'aurez là qu'une idée limitée de la mainmise opérée par Chàvez sur les médias. L'étonnant donc est qu'en France, les meilleurs contempteurs de Sarko sont les plus enragés thuriféraires du Comandante ! Vérité en deça des Pyrénnées, mensonge au delà, alors, vous pensez bien , de l'autre coté de l'Atlantique...
Car c'est là que je veux en venir ! Comment peut-on, soixante après la mort de Staline, tomber dans les mêmes outrances larmoyantes que celles qui accompagnèrent son décés, les mêmes scènes d'hysterie collective? Comment peut-on se trouver à contempler le même spectacle offert par des gogos pour lesquels les rodomontades contre l'impérialisme américain sont un brevet suffisant de vertu, d'héroïsme, de démocratie et de clairvoyance ? Comment peut-on vitupérer ici, en France, le clentélisme à Marseille, en Corse ou ailleurs et le parer de mille vertus à Caracas ? Comment peut-on critiquer sans nuance un article dans Médiapart qui, par l'abord naturaliste des conséquences sur le tissu urbain de la politique de Chàvez, montre d'une manière crue la différence énorme entre les discours du Comandante et les réalités ? Certes, on peut comprendre l'émoi des humbles croyants éplorés, car ces quelques feuillets mettent un bon coup de pied au culte du défunt à peine froid, mais il ne faut pas pas exagérer : on pourrait s'attendre à plus de maturité !
Comment ne pas constater que l'indignation et la stupeur de certains lecteurs sont quasi à la hauteur de celles qui bouleversèrent les Staliniens lorsque Nikita Khrouchtchev lut son rapport au XXème congrés le 24 févier 1956 ? "Nous ne devons pas fournir de munitions à l'ennemi ", c'est le reproche minimal qui est fait par certains croyants abasourdis, qui ont peiné à lire jusqu'au bout ce qu'ils qualifient de torchon, et qui menacent de se désabonner d'un journal qui, selon eux, rejoindrait le Figaro dans l'abjection.
Bien entendu, tout cela est farcesque. Chàvez n'est pas Staline, mais pourquoi l'embaumer, comme lui, au propre comme au figuré ? Au propre, il rejoint Lénine, Mao, Dimitrov, Kim Il Sung, Kim Jong Il, précédents fâcheux. Puisqu'une lectrice indignée et fort enthousiaste de la virilité du Comandante rend hommage au contenu de son pantalon : "il était couillu ce Chàvez" (sic dixit La Dame du bois-joli), pourquoi ne pas se contenter, au lieu de l'embaumer tout entier, de se contenter d'embaumer ses "cojones" ? Outre que ça reviendrait beaucoup moins cher de s'en tenir là, tout en soulignant la qualité essentielle du personnage, en ce jour de la célébration de la journée internationale de la femme, ne serait-ce pas là un bel hommage ?