Qu’est-ce qu’un parti politique ? Une organisation dont la finalité est de permettre à quelques-uns de leurs membres d’accéder au pouvoir. Oui, mais pourquoi ? En principe pour mettre en œuvre une conception de la société et son organisation. En principe aussi, chacun devrait pouvoir percevoir ce qu’est cette conception, quelle y sera sa place, quelles en seront les conséquences pour sa propre vie, quels intérêts seront satisfaits… de telle façon qu’il puisse déterminer soit son adhésion pour le soutenir, soit son refus pour le combattre… et voter.
Prenons l’exemple du parti communiste d’origine. Sa conception sociétale était claire et cohérente, chacun pouvait voir quelle allait être sa nouvelle position sociale dans ce qui était proposé, ce qu’il allait y gagner ou y perdre et il était compréhensible que les nantis, les propriétaires, les privilégiés, ceux qui aspiraient à l’être la refusent et la combattent. Chacun pouvait voir quel était son intérêt ou ce qu’il allait perdre si une majorité faisait adopter ce que ce parti politique défendait. On pouvait le critiquer, le contester, je suppose même qu’à l’origine on débattait à l’intérieur même du parti de ce qui allait être proposé et défendu.
Pour que des choix puissent se faire il faudrait donc d’une part qu’il y ait des conceptions sociétales différentes mais cohérentes proposées, d’autre part comment et dans quelle transition ces conceptions se mettraient en place. C’est à peu près l’histoire du passage de la monarchie à une des républiques qui étaient en concurrence (jacobine, girondine,…)
Sans cela il ne s’agit que d’accéder à un pouvoir pour le pouvoir lui-même et sa conquête ne se fait qu’à coups de slogans, de promesses, d’invectives à destination des concurrents,… Les vagues propositions ne sont qu’un peu plus de ceci, un peu moins de cela… dont chacun sait, parce qu’il l’a constaté, que cela ne changera rien à sa propre situation. La seule détermination possible est celle par rapport aux « chefs » que l’on va se donner en espérant qu’ils seront un peu moins mauvais que les précédents comme autrefois on espérait avoir un bon monarque.
Or, depuis bien longtemps, aucun parti politique ne propose une quelconque vision de la société qu’il mettrait en place s’il accédait au pouvoir… sauf le FN ! Certes, chez lui c’est simpliste et trompeur, mais c’est cohérent. Peu importe que cette cohérence s’établisse sur des arguments fallacieux, il y a bien longtemps aussi que la population n’est plus conviée à réfléchir, à discuter des propositions politiques qui la concernent et ce à tous les niveaux, ce sont des poignées qui décident pour elle. Le FN a beau jeu de se gausser de l’UMPS, ça marche parce que c’est vrai. En face de son apparente cohérence et même s’il se garde bien d’en préciser les conséquences, il n’y en a pas d’autres sauf le statut quo qui va de mal en pis.
Si je prends le domaine que je connais le mieux, l’école, le FN en a une vision très claire, sans aucune ambiguïté, cohérente avec sa vision de la société et on peut affirmer que tous les enseignants qui votent pour le FN le font en toute connaissance de cause et en accord avec cette vision à moins qu’ils soient totalement idiots ou illettrés. Quelle vision de l’école et de sa finalité proposent les autres partis politiques ???
Bien sûr il y a un Front de gauche, un reste de PC, une extrême gauche… mais où est leur vision claire, cohérente, compréhensibleet diffusée lisiblement de la société vers laquelle ils veulent aller, dans laquelle chacun pourrait se situer et qu’on pourrait au moins critiquer, tout au moins opposer ? Certes ils dénoncent avec force et justesse l’organisation de la société actuelle, on a pu penser, ils ont pu penser que l’évidence de leurs dénonciations allait suffire à entraîner des électeurs à leurs côtés, en particulier les électeurs qui souffrent le plus de l’état actuel. Mais ils se sont évertués à combattre les perspectives du FN au lieu de définir et de proposer une autre perspective au moins aussi claire à opposer. Il est probable qu’une bonne partie de la population admet la justesse de leurs dénonciations, mais il est certain qu’elle ne voit pas ce que ces partis proposent et quel intérêt elle aurait d’y adhérer… et de voter pour eux. Jean-Luc Mélanchon s’est lourdement fourvoyé en consacrant son énergie et son talent certain à vouloir combattre le FN alors que c’était l’élaboration d’une autre alternative à expliquer et promouvoir qui seule pouvait permettre à des électeurs de faire un autre choix. Bien sûr que tout le monde veut protéger le climat, les arbres ou les petits oiseaux, manger sainement, etc. cela ne suffit pas pour voter écologiste quand on ne voit pas quelle société et quelle autre organisation sociale le permettront, quels changements dans nos postions sociales respectives cela induira.
Quand on écoute attentivement ce que disent des électeurs du FN, ce ne sont pas les idées de celui-ci qui les attirent, beaucoup se doutent même, voire savent qu’elles sont dangereuses, mais c’est la seule cohérence politique, certes simpliste, qui leur semble proposée, tout le reste est illisible. Lorsque l’on saisit ce qu’est cette idéologie et ses conséquences sur nos vies, il n’y a rien en face qui permette l’alternative et c’est le détournement de la vie politique et l’abstention… et le champ libre à l’idéologie FN et à son accession au pouvoir pour la réaliser. Il faut arriver à comprendre que, sauf à nier toute intelligence aux citoyens, on ne peut les condamner à ne voter que pour empêcher telle ou telle idéologie de triompher sans d’autres propositions que celle du statut quo.
En somme les partis politiques ont tué le débat politique et idéologique au profit du débat politicien, aussi bien en leur propre sein qu’entre eux, et c’est le FN ouvertement idéologique qui en bénéficie puisqu’il reste seul visible sur ce terrain.