A voir et à écouter les maires de toutes sensibilités politiques, confrontés aux émeutes récentes, on sent un désarroi palpable, sensible presque charnel, tant l’incompréhension du phénomène qui les accable est grande. Pour tenter de le comprendre il faut se décentrer, renoncer à solliciter les paradigmes acquis dans l’exercice rationnel du pouvoir politique démocratique. Quand on interroge des jeunes participants aux émeutes, ils vont citer l’histoire de Nahel, est-ce- pour autant la raison réelle raisonnable ou est-ce un discours logique justifiant des actes irrépressibles. J’opterai pour la seconde hypothèse. Je remarque que les jeunes sortis de leurs exactions, semblent « en forme », ni repentants, ni accablés, ni malades. L’excitation retombée, il semble leur rester en mémoire des moments merveilleux d’assouvissement de pulsions sorties du plus profond d’eux-même. Je ne parle pas ici des quelques professionnels du cassage de flic qui se sont inclus dans ces évènements, mais des jeunes, voire de très jeunes impliqués. On avait remarqué l’incapacité du discours des grands, des parents, des responsables à calmer le jeu, comme si les lobes orbito-frontaux de l’écoute et de la raison étaient déconnectés. Comme si la mise en mouvement déclenchait une sorte de somnambulisme, d’auto-hypnose. Deux auteurs me reviennent en mémoire Charcot d’un côté et Laborie d’un autre pour aller rechercher un sens à ces actes et une explication quant aux mécanismes irrationnels mis en cause. Je reviens ici sur l’expérience d’hypnose de Charcot sur les femmes dites « hystériques ». Charcot disait à la femme lors de son sommeil hypnotique, que, une fois réveillées elle devrait aller ouvrir le parapluie plié dans le porte parapluie à l’autre bout de la pièce. Puis Charcot réveillait la femme, et la femme ; immuablement allait d’un pas décidé ouvrir le parapluie. A cet instant Charcot demandait à la femme la raison de son geste. La réponse était toujours rationnelle « je voulais savoir s’il était sec », je voulais vérifier si c’était bien le mien » etc. Personne ne lui répondait « je ne sais pas pourquoi ». Là se situe le discours logique, là se situe l’impasse d’une explication rationnelle aux gestes de ces jeunes révoltés. J’en viens maintenant à Henri Laborit pour essayer de comprendre comment ont pu se créer les mécanismes d’auto-hypnose individuelle à une échelle collective. Je ne crois pas aux explications économiques ni urbanistiques en tant que telles. Elles sont sans doute en bruit de fond permanent, mais sans plus. En revanche je crois beaucoup plus à l’accumulation des frustrations transformée en inhibition permanente, dûe aux relations sociales vécues. La soumission à une dominance sociale infondée se traduisant par l’incapacité à « avoir » face à l’injonction à consommer, le mépris et l’abus de pouvoir des policiers, la honte face à la galère permanente des parents, la honte de la déconsidération sociale et pour la majorité d’entre eux, l’absence de modèle représentatif capable de générer un « nous » social plus vaste que le leur, en face des trafiquants de l’économie parallèle, en face des religieux intégristes. La « nouvelle grille » de Laborit (qui ne devrait plus être nouvelle, vu son âge) nous explique que l’être humain face à l’épreuve n’a que trois choix : le combat, l’inhibition, la fuite. Mais l’inhibition à ses limites, elle est destructrice à long terme de l’équilibre physique en mental. Il suffit d’un déclic pour donner l’autorisation de passer de l’inhibition au combat. Ce schéma explicatif colle très bien à ce qu’on peut percevoir des comportements de ces jeunes. Il faudrait l’étudier vraiment, au-delà d’une intuition. Il reste que d’un point de vue sociétal, c’est le désert de la conscience politique qui amène ces jeunes dans un combat absurde, libératoire individuellement mais sans débouché politique et nuisible collectivement. C’est que dans ce combat, les représentants de l’autorité politique sont assimilés au grand tout de cette dominance insupportable. En cela ils restent au-delà du « nous » dans le « eux », malgré leur bonne volonté, malgré leur politique. Sortir de la situation sociale et politique suppose d’offrir à ces jeunes un élargissement de leur « nous » dans lequel ils pourraient imaginer fuir vers un monde réel plus vivable, par le combat politique au plein sens du terme celui de résoudre. Dans le cadre des communes telles qu’elles sont (et la commune demeure le premier espace politique de la population, le berceau de toute citoyenneté), jamais les territoires des quartiers échapperont à être sous la dominance de « eux », sous la « dictature de la majorité » comme faisait remarquer Tocqueville (car sociologiquement, ils sont une minorité territoriale). La spécificité sociale complexe des quartiers impose qu’elle soit traité politiquement « de l’intérieur », que la dominance politique soit issue de ses rangs que les jeune considèrent que leur « nous » peut s’intégrer à un grand « nous » représentatif à leur yeux. A cette condition et sur le long terme, la rage de leur combat trouvera un exutoire canalisé, rationnel et émancipateur. Et certains finirons Maire ou conseiller municipal.
Billet de blog 4 juillet 2023
Le eux et le nous, au sujet de la représentativité
A voir et à écouter les maires de toutes sensibilités politiques, confrontés aux émeutes récentes, on sent un désarroi palpable, sensible presque charnel, tant l’incompréhension du phénomène qui les accable est grande
Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.