L’ardente obligation de l’adaptation au climat, c’est maintenant
Pendant de longues années, dans le combat écologique, la priorité absolue aura été d’alerter, de renseigner et de prouver le changement climatique. Très vite, les écologistes ont prôné des politiques de réduction des émissions de GES, ils ont pu, dans les interstices des politiques publiques, glisser quelques suggestions en termes d’économie d’énergie, de développement des énergies renouvelables et de lutte contre le gaspillage. Concentrés sur ces sujets, ils ne pouvaient que se méfier de celles et ceux qui s’intéressaient d’abord à l’adaptation de la société à ces changements. Ils étaient catalogués défaitistes. C‘était l’époque, pas si lointaine où l’on s’inquiétait des « générations futures ». Nous sommes la génération d’aujourd’hui, projetée dans un avenir qu’on n’attendait pas de sitôt
C’est maintenant que l’inaction climatique de nos dirigeants nous condamne à la double peine : d’un côté, maintenir la pression sociale pour tenter de rester dans la trajectoire du + 1.5°, mais de l’autre, réfléchir et inventer les solutions d’adaptation aux effets catastrophiques sur la santé publique du changement que nous subissons. Je laisse de côté la question des enjeux d’adaptabilité des pratiques agricoles. L’enjeu de l’adaptation est de taille et ne se fera pas sans des investissements nouveaux ou des réorientations de budget.
La survie et la résilience de la société tournent autour de deux éléments climatiques : l’eau et la chaleur ; et d’un élément territorial. Ce que les scientifiques supposaient, se réalise au fil des mois, caractérisé par un allongement des périodes météorologiques, prenant à défaut les mécanismes habituels de régulation. Les temps longs de sècheresse épuisent les nappes phréatiques et mettent les végétaux en stress hydrique ; les temps longs de pluie bousculent les capacités en absorption des sols et les capacités des cours d’eau à écouler les volumes excédentaires.
La chaleur en période hivernale entraîne la diminution des précipitations neigeuses en montagne, ce qui abaisse les réserves hydriques traditionnelles du printemps et d’été. A cela doit être ajouter la diminution générale du volume des glaciers, qui donne encore l’illusion de réserves estivales pour les quelques années où ils subsisteront encore. En période estivale, les temps longs de canicule potentialisent la sècheresse concomitante. Et enfin la localisation de ces phénomènes à l’échelle de quelques départements voire moins, tels que sècheresse persistante d’un côté et inondation de l’autre nous imposent de repenser la solidarité territoriale à l’aune de ces défis.
A tout cela s’invite la question de la gouvernance d’une politique d’adaptation qui est, pour une large part inexistante dans les enjeux régionaux et nationaux et pour une part accaparée par le lobby agro-industriel.
Les retenues d’eau saisonnières
Il y a un certain bon sens à considérer que, pour ne pas manquer d’eau l’été il faut la capturer quand il pleut. Si l’on peut, au passage, éviter les inondations qu’elles provoquent naturellement, ce sera un mieux vivre général. Mais la bonne question est « comment ? ». Certainement pas en pompant dans les nappes phréatiques (qui sont nos réserves naturelles) de l’eau potable naturelle pour la laisser se polluer et s’évaporer jusqu’à l’été, ce qui est la logique des méga bassines agricoles. Retenir l’eau qui coule est une logique bien différente. Il s’agit de la retenir dans les cours d’eau eux-mêmes et non pas de la pomper alors qu’elle et déjà en réserve. La démonstration est faite en ce mois de décembre 2023 où la Charente est en crue et inonde la ville de Sainte, où la Béronne également en crue menace Melle à 15 km de Sainte Soline et sa célèbre Méga-bassine « sans rivière »
Retenir l’eau sur les cours d’eau va à l’encontre de toutes les habitudes des gestionnaires historiques de l’eau qui, depuis que les ponts et chaussées existent, s’efforcent de faciliter les écoulements, en exportant la crue vers l’aval, telle une patate chaude.
Retenir l’eau saisonnière sur les cours d’eau n’est pas synonyme de barrage tels que nous les concevions pour utiliser l’énergie des chutes d’eaux. L’enjeu est de ne retenir que l’eau excédentaire par rapport au débit nominal du cours d’eau, pendant les périodes de sur-pluies et de la stocker. Cet enjeu ne doit pas nous faire revenir en arrière sur la préservation de la faune aquatique et la libre circulation des poissons. Il s’agit là d’une politique d’aménagement des bassins versants qui doit penser à la retenue la moins impactante possible, la plus démultipliée possible, le plus en amont possible. En clair il ne s’agit pas de concevoir des méga ouvrages mais au contraire une multitude de petits barrages régulateurs sur les ruisseaux qui alimentent la rivière avec un étang de réserve pouvant réalimenter le ruisseau en cas d’étiage sévère. Ce système évite l’accumulation d’eau en amont des étroitures sur le cours de la rivière, responsables des inondations dévastatrices. Le barrage régulateur à l’inverse de la chaussée traditionnelle, est une digue percée à la base laissant le libre passage à la faune et à l’écoulement des alluvions. La dimension de l’ouverture est calculée pour ne laisser passer qu’un débit maximum d’eau. Si le débit du ruisseau dépasse celui autorisé par l’ouverture, le niveau d’eau monte et atteint le niveau d’un canal de « trop plein » qui la dirige vers un étang de stockage. L’étang de stockage dispose d’un canal d’évacuation vers l’aval du ruisseau dont le départ est contrôlé par une simple vanne. C’est le seul élément mécanique du dispositif, le reste étant totalement passif. Le volume nécessaire de l’étang de stockage se calcule à partir des relevés de débits pondéré des prévisions d’accroissement des volumes de pluies. C’est, naturellement aux agences de l’eau à travers les comités de bassins de porter la maitrise d’ouvrage de telles installations
La nécessaire interconnexion des réseaux
Historiquement, l’abondance répartie de l’eau sous notre climat tempéré a conduit à ne pas se préoccuper de la solidarité nationale vis-à-vis d’elle. Or, il est manifeste que le changement climatique peut déclencher des sècheresses sur des durées suffisamment longues pour épuiser toutes les réserves locales. C’est ce qui se passe réellement cet automne 2023 dans les Pyrénées orientales. On peut imaginer que ce phénomène se déplace et menace à tour de rôle d’autres départements. Il faut donc penser à réaliser les interconnexions entre réseaux d’eau, nécessaire pour abreuver les territoires asséchés. On ne peut pas considérer que des norias de camions citernes soient une solution pérenne. Il faudrait qu’aujourd’hui l’eau excédentaire de Gironde puisse migrer vers les Pyrénées orientales. Ce qui a été pensé comme retenues d’eau de secours pour les centrales nucléaires doit être poursuivi pour le service des populations. Ce que les Romains ont su faire, l’Etat français doit être capable de le faire à l’échelle de son territoire.
Les pics de chaleur et les îlots de fraicheur
Les pics de chaleur vont conduire à une surconsommation d’eau, notamment en ville, et pas seulement d’eau potable. Dans le cadre de politique de verdissement, les villes développent le concept d’ilots de fraicheur en tablant sur l’évapo-transpiration des arbres pour abaisser la température du sol et de l’air ambiant. Ce concept est tout à fait valable sous réserve que les arbres, souvent de forts sujets transplantés, récemment ne se retrouvent pas en stress hydrique à la première canicule et n’y survivent pas. Ce n’est pas une vue de l’esprit : un arbre adulte a besoin de 25 à 30 m3d’eau par mois ; les 200 000 arbres des rues et squares parisiens consomment autour de 6 M de m3 au mois d’août, en rajouter 100 000 c’est 3M de m3 de plus. Pour Paris, on peut se rassurer en pensant que çà représente en tout 7 h et demi du débit de la seine pour 1 mois d’arrosage et que ses services disposent d’un réseau d’eau non potable pour cela. Mais les villes qui ne disposent pas d’un tel réseau doivent se poser rapidement la question d’en réaliser un et de vérifier les volumes disponibles suivant le niveau d’étiage de leur rivière locale. Sans cette préoccupation les îlots de fraîcheurs risquent de se transformer rapidement en stère de bois à brûler.
bernard crozel
décembre 2023