Deux événements viennent de se percuter ces jours ci, sans que l’opinion, la presse, les politiques n’en voient le rapport. Et pourtant, de ces évènements, il pourrait être tirer des leçons au sujet de notre rapport à l’eau. D’un côté nous avons eu les inondations en Haute marne et de l’autre la manifestation de la Rochelle contre les méga-bassines. C’est dans le croisement de ces deux évènements que se situe la compréhension de notre rapport à l’eau et partant d’imaginer une politique publique globale pour l’adapter à la nouvelle donne climatique.
Reprenons le débat à la source.
Les précipitations empruntent trois chemins quand elles arrivent au sol :
le stockage de surface, la percolation ou le ruissellement.
Le stockage de surface, se situe principalement sous forme de neige, en altitude, il est saisonnier et limité en complément du ruissèlement.
La percolation lui permet de pénétrer en profondeur dans le sous-sol et de former des napes souterraines.
Le ruissellement, lui, permet d’alimenter les cours d’eau.
La géologie et la géographie ont constitué depuis de millénaires un système hydraulique dont la société humaine s’est emparé. Le changement qui s’opère dans l’utilisation de ce système est double.
D’une part, le changement climatique modifie profondément le régime des précipitations. Elles deviennent beaucoup plus irrégulières avec de plus grandes durées de sècheresse et de plus grands volumes plus localisés.
D’autre part, la baisse des précipitations neigeuses, liée au réchauffement diminue les réserves saisonnières (neige) et durables (glaciers) ce qui renforce les périodes d’étiages
Enfin le régime des nappes phréatiques est soumis à des variations de volume inconnues jusqu’alors avec des temps de recharge plus espacés et moins prévisibles.
De ce fait, les réseaux hydrographiques deviennent inadaptés à absorber ce nouveau régime en enchaînant des périodes de crue à des périodes d’étiage, des périodes de sècheresse à des période de sur pluies.
Devant ce phénomène, il est bon de rappeler que l’eau est un bien collectif inaliénable et que la société doit y répondre collectivement pour le bien de tous.
Nous avons besoin d’un plan « eau » qui réussisse l’adaptation à ce nouveau régime, qui l’anticipe suffisamment pour ne pas mettre en souffrance des pans entiers de la société et qui supplante les intérêts particuliers, fussent-ils puissants.
Or, il traîne dans la gestion actuelle de l’eau, de très mauvaises habitudes, celle du temps d’une ressource abondante, stable et quasi infinie.
La première est celle de la gestion des crues. On a lu dans la presse, à propos des inondations de la Somme, par exemple, que la faute incomberait au manque « d’entretien » des cours d’eau. Cette idée vient d’une mauvaise tradition, celle d’envoyer la crue chez le voisin de l’aval, qui l’enverra à son tour vers son voisin d’aval, faisant en sorte que l’eau arrive le plus vite possible à la mer. Ce qui s’appelle en bon français : « gaspiller ». A moins de penser que dessaler de l’eau de mer soit la meilleure des solutions.
Il nous faut une révolution dans les us et coutumes liées aux crues et inverser la problématique.
Premièrement : la meilleure crue est celle qu’on a su éviter.
L’évitement des crues est possible si on est en capacité de limiter le débit des ruisseaux d’amont du bassin versant à leur régime normal. Le principe du barrage régulateur est simple. Si le débit augmente, l’eau en surplus est retenue le temps qu’il faut et ne sera relarguer que lorsque le débit sera en dessous de la normale. Le stockage temporaire peut être sur place ou déplacé vers une réserve sous forme de retenue collinaire. Ce faisant, la multiplication de ces petits barrages régulateurs évitent la crue de la rivière en aval avec ses conséquences tant pour les villes que pour l’agriculture. En outre l’eau retenue est en amont du bassin versant, ce qui veut dire qu’elle peut être acheminée gravitairement, par canalisation ou canal. Il faut souligner l’évidence suivante, à savoir que de l’ altitude où l’eau est stockée dépend proportionnellement la distance sur laquelle elle peut être transportée. Précisons que le terme « gravitairement » signifie un transport de l’eau gratuit, éventuellement producteur d’énergie.
Compte tenu des aléas imprévisibles des précipitations dans leur localisation et leurs quantités, c’est le territoire entier, bassin versant par bassin versant qu’il faut prévoir de réguler. C’est le contraire d’une politique de grands barrages, il s’agit d’un maillage fin ruisseau par ruisseau, complémentaire de l’entretien et d’investissement unitaire faible.
Précisons pour les écologistes que dans ce type de barrage régulateur, l’eau s’écoule à la base, dans le lit du cours d’eau, ce qui n’entrave en aucun cas la vie aquatique et ne nécessite aucun aménagement spécifique pour cela. De plus il n’y a pas d’envasement du lit ni de phénomène d’eutrophisation de l’eau.
L’effet d’un tel plan national est :
De récupérer l’eau de ruissellement excédentaire en stockage saisonnier en substitution partielle du stockage des neiges de haute montagne toujours en régression
De la transporter à faible coût au titre des la solidarité entre régions pluvieuses et régions sèches
De limiter l’impact sur l’environnement par des travaux, nombreux, certes, mais d’envergure très limitée et suffisamment souples pour s’adapter le plus finement possible à la topographie locale et avec un besoin de compensation très faible.
Avec un tel plan, l’état, par l’intermédiaire des départements et des agences de l’eau, pourrait assurer en quelques années, la fin des crues ravageuses et leurs millions d’euros de dégâts. En même temps, il serait en mesure de faire jouer la solidarité nationale envers l’accès à l’eau en mettant à proximité des zones en sècheresse les volumes qui leur sont nécessaires.
Et les méga-bassines, me direz-vous ?
Elles cochent toutes les mauvaises cases :
On pompe de l’eau stockée à l’abris du sous-sol pour la remettre en surface. Coût énergétique : de 10000 à 15000 kwh d’électricité pour 500000 m3.
Les pompeurs deviennent maîtres de l’utilisation de l’eau au détriment de tous les possesseurs de puit de la zone. Si la nape a trop été soustirée ce sont des centaines de puits à sec dans les périodes de sècheresse. C’est le contraire de la solidarité locale ou nationale
Les cours d’eau aux alentours subissent toujours les mêmes risque de crues et les eaux en excédent partent à la mer.
Par conséquent, les soulèvements de la terre ont parfaitement raison de s’opposer à cet accaparement privé de l’eau souterraine pour les intérêts d’une agriculture artificielle minoritaire. Mais il faut en plus, se battre pour inverser la logique actuelle irriguant la gestion de l’eau, pour qu’elle apprenne enfin à retenir l’eau au lieu de l’évacuer.
Bernard Crozel