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Billet de blog 30 janvier 2025

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changer notre rapport à l'eau, repenser notre gestion de l'eau

il ne sert plus à rien de pleurer à chaque inondation, de geindre à chaque incendie, de compatir avec les habitants privés d'eau. Mais tout d'abord il faut changer notre regard sur l'eau regarder ensemble le trop et le trop peu, pour inventer une gestion de l'eau adaptée au circonstances nouvelles sans perdre de temps.

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Les grands oubliés se vengent 

Les très graves inondations qui ont endeuillées l’Allemagne et la Belgique, qui ont sinistré les habitants de la Somme et les Rennais aujourd’hui, remettent dans la lumière crue du changement climatique, la place fondamentale des bassins versants dans la relation de l’humanité à la géographie.
Un des phénomènes nouveaux, liés à l’effet de serre était connu théoriquement, il est aujourd’hui en action. 
Pour faire simple : L’élévation de la température globale de l’atmosphère augmente ses capacités absorption de vapeur d’eau. Un refroidissement local de l’air va donc proportionnellement générer un volume accru de pluie. Répartie sur un territoire donné, la pluie va se concentrer par le ruissellement de l’eau vers le réseau hydraulique jusqu’à submerger les capacités d’écoulements habituels du réseau principal. 
Ce phénomène est renforcé par le déboisement, l’abandon des réseaux de fossés bocagés et autres principes d’un aménagement rural défaillant . 
Il ne faut surtout pas penser que nous somme dans l’exceptionnel. Au contraire, il faut bien se convaincre que nous assistons à l’avant-garde d’un phénomène qui va se multiplier, un peu partout dans le monde, dans n’importe quel coin de territoire, au gré des variations des températures locales.
Le pouvoir de l’eau reprend ses droits sur notre société et l’organisation de notre démocratie. En effet, ces catastrophes prouvent et nous le rappellent, que nous sommes tous solidaires dans notre dépendance au bassin versant et à l’eau qui s’y écoule. Qu’on le veuille ou non, nous sommes désormais condamnés à  prendre en compte sérieusement, cet état de fait et à reconnaître le bassin versant comme l’entité qui commande l’ensemble de notre adaptation au sol. Nos rapports sociétal, administratif et technique doivent d’urgence sortir de « l’utopie politique » pour redescendre humblement sur terre et adapter leurs réponses. Cela doit nous amener à repenser notre relation, en tant que société, à la géographie de l'eau dans le territoire et à modifier nos visions sociétale, administrative et technique de cette géographie.
 
La lutte contre les causes de l’effet de serre est un combat urgent et vital, mais l’inertie des gouvernements depuis deux décennies nous impose la punition par l’exemple, à laquelle nous devons répondre avec plus d'urgence encore. Nous devons, en plus, nous protéger des inondations en prévoyant le pire sur tout le territoire. Il est impensable, désormais, d’attendre la prochaine catastrophe pour gémir et pleurer nos morts par imprévoyance.
Mais revenons au bassin versant.
Les niveaux de crues à Bad Bodendorf, à Liège, dans la Somme ou à Rennes ont été tels, qu’il est illusoire de penser pouvoir adapter les villes à cette donnée climatique nouvelle. La ou les solutions ne sont pas dans la ville, ou marginalement. Il est indispensable de regarder l’amont du réseau hydraulique et comprendre que la crue ne nait pas d’une génération spontanée. La crue qui arrive en ville, est le produit de l'accumulation de dizaines, de centaines, de milliers d’augmentations de débit de l’ensemble des affluents du bassin versant. En parallèle et ailleurs, les sècheresses frappent les territoires mettant à mal les végétaux et les cultures. Les solutions sont à rechercher dans ce qui unit les deux phénomènes apparemment antinomiques
Deux évènements viennent de se percuter récemment, sans que l’opinion, la presse, les politiques n’en voient le rapport. Et pourtant, de ces évènements, il pourrait être tirer des leçons au sujet de notre rapport à l’eau. D’un côté nous avons eu les inondations en Haute marne,dans la Somme, à Rennes et de l’autre les manifestations de Sainte Coline et de la Rochelle contre les méga-bassines. C’est dans le croisement de ces deux évènements que se situe la compréhension de notre rapport à l’eau et partant, de la possibilité d’imaginer une politique publique globale pour l’adapter à la nouvelle donne climatique.


Reprenons le débat à la source.
 Les précipitations empruntent trois chemins quand elles arrivent au sol : 
 le stockage de surface, la percolation ou le ruissellement. 
Le stockage de surface, se situe principalement sous forme de neige, en altitude, il est saisonnier et limité en complément du ruissèlement. 
La percolation lui permet de pénétrer en profondeur dans le sous-sol et de former des nappes souterraines.
 Le ruissellement lui permet d’alimenter les cours d’eau. 
La géologie et la géographie ont constitué depuis de millénaires un système hydraulique dont la société humaine s’est emparé. Le changement qui s’opère dans l’utilisation de ce système est double.
 D’une part, le changement climatique modifie profondément le régime des pluies. Elles deviennent beaucoup plus irrégulières avec de plus grandes durées de sècheresse et de plus grands  volumes de précipitations plus localisées. 
D’autre part, la baisse des précipitations neigeuses, liée au réchauffement diminue les réserves saisonnières (neige) et durables (glaciers) ce qui renforce les périodes d’étiages de  cours d'eau dépendant de ces stocks.
Enfin le régime des nappes phréatiques est soumis à des variations de volume inconnues jusqu’alors avec des temps de recharge plus espacés et moins prévisibles.
De ce fait, les réseaux hydrographiques tels que nous les avons aménagés, deviennent inadaptés à absorber ce nouveau régime en enchaînant des périodes de crue à des périodes d’étiage, des périodes de sècheresse à des période de sur-pluies.
Devant ce phénomène, il est bon de rappeler que l’eau est un bien collectif inaliénable et que la société doit y répondre collectivement pour le bien de tous. La solution ne peut pas être la distribution de bouteilles d’eau auprès des populations assoiffées, ni l'acquisition de barques pour aller et venir de chez soi.
Nous avons besoin d’un plan « eau » qui réussisse l’adaptation à ce nouveau régime, qui l’anticipe suffisamment pour ne pas mettre en souffrance des pans entiers de la société et qui supplante les intérêts particuliers, fussent-ils puissants.


Or, il traîne dans la gestion actuelle de l’eau, de très mauvaises habitudes, celle du temps d’une ressource abondante, stable et quasi infinie.
La première est celle de la gestion des crues. On a lu dans la presse, à propos des inondations de la Somme, par exemple, que la faute incomberait au manque « d’entretien » des cours d’eau. Cette idée vient d’une mauvaise tradition, qui est celle d’envoyer la crue chez le voisin de l’aval, qui l’enverra à son tour vers son voisin d’aval, faisant en sorte que l’eau arrive le plus vite possible à la mer. Ce qui s’appelle en bon français : « gaspiller », dès lors que la ressource devient précieuse. 
Il nous faut une révolution dans les us et coutumes liées aux crues et inverser la problématique. 


Premièrement : la meilleure crue est celle qu’on a su éviter.
L’évitement des crues est possible si on est en capacité de limiter le débit des ruisseaux d’amont du bassin versant à leur régime normal. Cette limitation du débit peut être obtenue par un dispositif écrêteur.  Le principe en est simple. Le lit du ruisseau est respecté. Une barre est installée au-dessus à fleur d’eau en régime normal. Les berges sont calibrées et bétonnées pour éviter tout affouillement. Si le débit augmente, l’eau en surplus ne s’écoule pas, elle s’accumule derrière la barre, le temps qu’il faut et ne sera relarguée, peu à peu, que lorsque le débit sera revenu en dessous de la normale. Le stockage temporaire peut être réalisé sur place ou déplacé pour une plus longue durée vers une réserve sous forme de retenue collinaire, elle-même pouvant relarguer l’eau en aval du ruisseau. Ce faisant, la multiplication par milliers de ces petits barrages écrêteurs évitent la formation de la crue de la rivière en aval des ruisseaux avec ses conséquences tant pour les villes que pour l’agriculture.
 En outre, l’eau,  ainsi retenue, se situe en amont du bassin versant, ce qui veut dire qu’elle peut être acheminée gravitairement, par canalisation ou canal, plus bas, dans le territoire. Il faut souligner cette évidence : à savoir que de l’altitude où l’eau est stockée dépend proportionnellement la distance sur laquelle elle peut être transportée. Précisons que le terme « gravitairement » signifie un transport de l’eau gratuit, éventuellement producteur d’énergie.
Compte tenu des aléas imprévisibles des précipitations dans leur localisation et leurs quantités, c’est le territoire entier, bassin versant par bassin versant qu’il faut prévoir de réguler de cette façon. C’est le contraire d’une politique de grands barrages, il s’agit d’un maillage fin; ruisseau par ruisseau, complémentaire de l’entretien et d’un coût d’investissement unitaire très faible (de l'ordre de 10 000€).
 
Précisons pour les écologistes que dans ce type de barrage régulateur, l’eau s’écoule à la base, au niveau du lit du cours d’eau, ce qui n’entrave en aucun cas la vie aquatique et ne nécessite aucun aménagement spécifique pour la faune. De plus il n’y a pas d’envasement du lit ni de phénomène d’eutrophisation de l’eau. 
Retenir l’eau sur les cours d’eau va à l’encontre de toutes les habitudes des gestionnaires historiques de l’eau qui, depuis que les ponts et chaussées existent, s’efforcent de faciliter les écoulements, en exportant la crue vers l’aval, telle une patate chaude. Repenser et agir sur des programmes de travaux publics capables de maîtriser le pire, où qu’il advienne, c’est toute une révision de la politique d’aménagement du territoire.

Pour un plan national de retenue d’eau saisonnière :
Retenir l’eau saisonnière sur les cours d’eau n’est pas synonyme de barrage tels que nous les concevions pour utiliser l’énergie des chutes d’eaux. L’enjeu est de ne retenir que l’eau excédentaire par rapport au débit nominal du cours d’eau, pendant les périodes de sur-pluies et de la stocker. Cet enjeu ne doit pas nous faire revenir en arrière sur la préservation de la faune aquatique et la libre circulation des poissons. Il s’agit là d’une politique d’aménagement des bassins versants qui doit penser à la retenue la moins impactante possible, la plus démultipliée possible, le plus en amont possible. En clair il ne s’agit pas de concevoir des méga ouvrages mais au contraire une multitude de petits barrages écrêteurs sur les ruisseaux qui alimentent la rivière avec un étang de réserve pouvant réalimenter le ruisseau en cas d’étiage sévère. Le volume nécessaire de l’étang de stockage se calcule à partir des relevés de débits pondéré des prévisions d’accroissement des volumes de pluies. C’est, naturellement aux agences de l’eau à travers les comités de bassins de porter la maitrise d’ouvrage de telles installations.


L’effet d’un tel plan national serait :
De récupérer l’eau de ruissellement excédentaire en stockage saisonnier en substitution partielle du stockage des neiges de haute montagne toujours en régression
De transporter l’eau à faible coût au titre de la solidarité entre régions pluvieuses et régions sèches en interconnectant les différents réseaux.
De limiter l’impact sur l’environnement par des travaux, nombreux, certes, mais d’envergure très limitée, avec un besoin de compensation très faible.et suffisamment pensés pour s’adapter le plus finement possible à la topographie locale .
Avec un tel plan, l’Etat, par l’intermédiaire des départements et des agences de l’eau, pourrait assurer en quelques années, la fin des crues ravageuses et leurs millions d’euros de dégâts. En même temps, il serait en mesure de faire jouer la solidarité nationale envers l’accès à l’eau en mettant à proximité des zones en sècheresse les volumes qui leur sont nécessaires.


Et les méga- bassines, me direz-vous ?

Elles cochent toutes les mauvaises cases
Elles se remplissent par prélèvement de l’eau déjà stockée à l'abris du sous-sol pour la remettre en surface. (Coût énergétique : de 10000 à 15000 kwh d’électricité pour 500000 m3)
Les cours d’eau aux alentours subissent toujours les mêmes risques de crues et les eaux en excédent partent toujours à la mer. Aucune inversion de la logique actuelle de la gestion de l’eau, juste une appropriation d'un bien commun . l'enjeu c'est de maîtriser l'eau qui coule, et de préserver l'eau stockée.

Notre distingo Ville /Campagne dans notre conception sociétale doit s’estomper, principalement, là où les concentrations urbaines s’étalent au bord des fleuves ou rivières principales, derrière le pouvoir de l’eau et ceux qui le gèrent.
C’est donc, aussi, une révision urgente des rapports de pouvoirs politiques au sein de l’organisation de notre démocratie. Aujourd’hui, les seules frontières administratives valables, ce sont les lignes de crêtes qui délimitent les bassins versants. les cheffes de file de l’aménagement du territoires doivent être les agences de l’eau avec des compétences et des pouvoirs accrus. Il faut aussi redécouper les aires de compétences des scot (schémas de cohérence territoriales) pour qu’ils se moulent au relief du territoire. 
A ces conditions d’adaptation rapide, notre société pourra faire face aux pluies qui nous attendent. 
On ne combat pas des crues de cette échelle par de simples mesures administratives ou quelques aménagements techniques aussi gigantesques soient-ils. Je me rappelle, qu’à a fin des années 90, on débattait d’un barrage à Chambonchard sur le Cher pour protéger Tours des risques d’inondation. Projet technocratique heureusement avorté. Mais la question de la relation interne au bassin versant, elle, était déjà posée.
Dans la conception actuelle « en silo » de l’aménagement du territoire, la crue est comme la patate chaude, que chaque lieu de pouvoir se refile en douce. « Plus vite çà coule, mieux on se porte et tant pis pour l’aval, ». Cette logique va devenir mortifère si elle perdure. Ne comptez pas sur l’agriculture des vallées pour accepter le noyage des terres par de gigantesques bassins d’orage, ne comptez pas sur les sites naturels pour absorber de grands barrages. De toute façon chaque affluant peut-être potentiellement porteur de la crue dévastatrice, les grands ouvrages nous feraient jouer à une sorte de roulette russe hydraulique.  Il va falloir remonter vers l’amont et repenser la gestion des crues à partir de lui, c’est à dire l’exact contraire de la gestion actuelle.
De fait, ce sont les villes qui sont les goulots d’étranglements et ce sont elles qui peuvent définir le débit maximal non destructeur qu’elles peuvent supporter. A partir de ces données, on peut mathématiquement en déduire d’aval en amont, le débit maximal de chaque affluent et de chaque ruisseau. Dès lors, on peut installer à faible coût des dizaines de milliers de petits barrages écrêteurs sur les ruisseaux de l’amont calculés sur les capacités d’écoulement de l’aval.  Les solutions concrètes nécessitent de connaître le terrain, de s’adapter à lui. C’est sur le maillage territorial des pme du BTP que peuvent s’appuyer les agences de bassin. Elles dépendent, aussi, de la solidarité humaine pour penser l’utilisation de l’eau stockée dans l’inter-dépendance territoriale pour palier des sécheresses voisines.
En tout état de cause, sans un organisme démocratique, délimité par la géographie du bassin versant, aucune politique cohérente de gestion des crues potentielles ne pourra voir le jour. Et pourtant c’est urgentissime.

Bernard crozel
Architecte urbaniste
Ancien collaborateur de la DATAR

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