Suite au black-out survenu le 28 avril 2025 en Espagne et au Portugal, le gouvernement Espagnol publie enfin le 17 juin 2025, un rapport détaillé (en espagnol) de 182 pages sur le déroulement de la perte du réseau et sur les causes possibles (avec les données confidentielles raturées).
L’analyse du black-out du 28 avril 2028 présente 5 phases :
- Instabilité de la tension 400 kV la semaine précédente et le matin de l'événement entre 9h00 et 12h00,
- Oscillations de la fréquence réseau de 0,2 Hz à 0,6 Hz entre 12h00 et 12h30,
- Pertes de production dues à une augmentation de la tension entre 12:32:00 et 12:33:18
- Chute totale de tension péninsulaire entre 12:33:18 et 12:33:30, suite aux délestage des production à cause de la baisse de fréquence,
- Rétablissement de l'approvisionnement : à partir de 12h33:30 le 28 avril jusqu'à 7h00 le 29 avril pour 99,95 % de la demande, bien que tous les travaux techniques seront terminés à 14h36.
Le 28 avril, le contexte était « défavorable » puisque sur 38 GW de production électrique installé pilotable, 12,8 GW sont déclarés indisponibles par leur propriétaire (Iberdrola, Endesa et Naturgy), dont 7,4 GW de centrale à gaz et 3 GW de nucléaire (3 GW).

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De plus les groupes de production, censés réguler la tension, n'ont pas pu absorber toute la puissance réactive nécessaire. En effet certains des groupes de production éolien et photovoltaïque appartenant aux distributeurs d’énergie Iberdrola, Endesa ou Naturgy , étaient indisponible et n'ont pas pu participer à absorber toute la puissance réactive nécessaire.
Ainsi le facteur principal du black-out, selon le rapport, était que le système ne disposait pas d'une capacité de régulation dynamique suffisante pour maintenir la tension stable.
Le gestionnaire de réseau REE a constaté des anomalies de perte de groupes de production qui s’étaient déconnectés bien que la tension n’est pas atteint le seuil supérieur de tension de déconnexion prévu dans l’arrêté TED/749/2020 qui définit les exigences techniques de raccordement au réseau nécessaires à la mise en œuvre des Grid Code européen 2016/631.
En effet les Grid Code définissent les critères de déconnexion pour les tension, fréquence et puissance, ainsi que les critères d’aide au maintient du réseau en cas de défaut :
- Régulation de tension : les groupes de production éolien et photovoltaïque doivent maintenir la tension au point de raccordement au réseau dans les limites spécifiées, en fournissant ou absorbant de la puissance réactive (bancs de condensateurs et réacteur shunt pour le photovoltaïque),
- Contrôle fréquence : les groupes de production doivent rester connectés au réseau dans la plage de fréquence définit,
- Contrôle puissance : les groupes de production doivent rester connectés au réseau selon le diagramme P/Q définit, et ajuster leur puissance active Q sur ordre du gestionnaire de réseau,
- Stabilité de réseau : pendant les creux de tension les groupes de production doivent rester connectés au réseau et participer à le soutenir en apportant du réactif Q pendant et après la perturbation.
Déroulement des faits
Événement 1 : 12h 32 mn 57s
Perte du groupe de production (Grenade) de 355 MW de puissance active et de 165 MVar de puissance réactive absorbés, due au déclenchement sur max de tension à 430 kV.
La perte de production entraîne une baisse de la fréquence du réseau, qui se rétablit après une période transitoire d'environ 3 secondes. La réduction de la production dans la péninsule Ibérique réduit le flux d'exportation vers la France d'environ 450 MW.
Événement 2 : 12h 33 mn 16s
Environ 19 secondes après l'événement 1, un autre événement similaire se produit, se traduisant par une baisse de fréquence et une augmentation du solde des importations avec la France.
Événement 3 : 12h 33 mn 17s
Environ 20,5 secondes après l'événement 1 (1,3 s après l'événement 2), une autre perte de production significative se produit, se traduisant par une nouvelle baisse de fréquence et une augmentation des importations en provenance de France.
Cette troisième perte de production se produit au poste (Séville), en position d'évacuation renouvelable de 550 MW.
12 h 33 mn 18s : Déconnexion de la centrale photovoltaïque connectée à Cáceres, sur max de tension à 240,9 kV.
12h 33 mn 18s et 20 ms: Déconnexion des centrales photovoltaïques, connectées au poste de Badajoz, alors qu'elles produisaient respectivement 1 000 MW au total, sur max de tension à 240,9 kV.
Après cette nouvelle perte de puissance en un peu plus de 20 secondes, les variables du système ont continué à évoluer vers des valeurs insoutenables, avec des tensions en hausse et des fréquences en baisse, laissant place à un effondrement du réseau.
Selon le Grid Code espagnol TED/749/2020, les seuils de tension de déconnexion des centrales photovoltaïque et éolienne sont les suivants.
Sur un réseau 400 kV :
- entre 0,90 pu-1,0875 pu : illimité,
- entre 0,85 pu – 0,90 pu : 60 mn,
- entre 1,0875 pu-1,10 pu : 60 mn.
Sur un réseau 110 kV à 300 kV :
- entre 0,90 pu – 1,118 pu : illimité,
- entre 0,85 pu – 0,90 pu : 60 mn,
- entre 1,118 pu – 1,15 pu : 60 mn.
Donc pour un réseau 400 kV, le seuil haut de tension étant de 440 kV, il n’est pas normal qu’il y ait eu déclenchement instantané à 430 kV.
Donc pour un réseau 200 kV, le seuil haut de tension étant de 230 kV, il est donc normal qu’il y ait eu déclenchement instantané à 240,9 kV.
Il y a ici une incohérence de la part du gestionnaire de réseau REE.
Selon le Grid Code espagnol TED/749/2020, les seuils de fréquence de déconnexion des centrales photovoltaïque et éolienne sont les suivants :
- entre 48,5 Hz et 51 Hz : illimité,
- de 47,5 Hz et 48,5 Hz : 30 mn
- de 51 Hz et 51,5 Hz : 30 mn.
Apparement dans le rapport, il est fait référence à 6 seuils de sous-fréquence :
- 49,5 Hz, uniquement pour la déconnexion des stations de pompage,
- 49,0 Hz, premier seuil de déconnexion,
- 48,8 Hz, deuxième seuil de déconnexion,
- 48,6 Hz, troisième seuil de déconnexion,
- 48,4 Hz, quatrième seuil de déconnexion
- 48,2 Hz, cinquième seuil de déconnexion,
- 48,0 Hz, sixième seuil de déconnexion,
Il y a ici une incohérence de la part du gestionnaire de réseau REE.
Premières constatations sur le black-out en Espagne
Le 30 avril 2025, le Grand Continent publiait :
Selon REE (Red Eléctrica de España) , gestionnaire du réseau électrique espagnol, 15 GW de production d’électricité ont « soudainement » disparu du système vers 12h33 le 28 avril 2025, représentant 60 % de la production du pays au moment de la panne. C’est à la suite de cette chute de production que le système s’est effondré, créant d’importantes perturbations affectant le trafic, les aéroports et les infrastructures stratégiques, dont les centrales nucléaires qui ont cessé de produire de l’électricité.

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Selon Eduardo Prieto, directeur des opérations de REE, deux incidents successifs pourraient avoir causé la panne survenue lundi.
En seulement cinq secondes à 12h33, 60 % de la production d’électricité a disparu, vraisemblablement à cause de déconnexions de centrales électriques. Le premier incident, localisé dans le sud-ouest du pays — « très probablement dans une centrale photovoltaïque » — a pu être maîtrisé.
Mais une seconde et demie plus tard, un second événement a entraîné une grave déstabilisation du système : de fortes oscillations ont provoqué, en l’espace de trois secondes et demie, la déconnexion des interconnexions avec les pays voisins, l’isolement du réseau électrique péninsulaire par rapport au système européen, ainsi que la perte de volumes importants de production renouvelable . Selon Prieto, « le système n’a pas été capable de survivre à cette perturbation extrême ».
Aurora Energy Research note que la fréquence du réseau électrique espagnol a soudainement chuté à 12h33, passant de 50 hertz à 49 hertz, une baisse massive qui oblige les centrales électriques à se déconnecter automatiquement pour des raisons de sécurité.

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Ce dernier graphique montre une production de toutes les filières (renouvelable, fossile, nucléaire et autres) de 35 GW, alors que le précédent graphique ne de donne que 28,5 GW !.
L’Espagne est équipée de sept réacteurs nucléaires, dont trois étaient en fonctionnement au moment de l’incident. En raison de la perte d’alimentation électrique externe, ils se sont arrêtés automatiquement.
Les générateurs diesel de sauvegarde ont alors démarré afin d’alimenter les systèmes nécessaires au refroidissement des réacteurs, y compris pour les réacteurs à l’arrêt.
Les réacteurs ont pu récupérer leur alimentation électrique à partir de lundi à 16h30, permettant d’entamer leur redémarrage, une opération qui prendra plusieurs jours.
La part du nucléaire dans le mix électrique espagnol, n’est que de 20 %, contre environ 70 % en France. Cela rend le besoin de retour rapide des réacteurs sur le réseau moins vital en Espagne qu’en France.
Selon les données de RTE, les échanges avec l’Espagne (en violet) le 28 avril 2025 à 12h15 la France importait 1000 MW, puis après l’incident la France a réalisé une remise en service progressive et par paliers des infrastructures d’interconnexion 400 kV en exportant :
- 400 MW de 12h30 à 13h15,
- 950 MW de 13h30 à 14h15,
- 1200 MW de 14h30 à 15h00,
- 1500 MW de 15h15 à 17h45,
- 2000 MW de 18h à 20h00, pour soutenir l’Espagne.

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Pendant le black-out, les prix de marché Spot sur l’ensemble des pays européen étaient négatif. `Cette situation arrive lorsqu’il y a trop de production active, par rapport à la consommation, et que certains pays préfèrent vendre à perte, que d’arrêter leur production. Mais lorsque tous les pays sont en excédent de production, la situation devient difficile, et la tension augmente.

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Le 17 juin 2025, Politica Energica publie : « Le gouvernement accuse REE et les compagnies d’électricité de ne pas avoir réussi à contrôler la surtension qui a conduit à la panne d’électricité. »
Le 18 juin 2025, dans sa conférence de presse, la ministre de la Transition écologique Sara Aagesen, annonce que le black-out du 28 avril 2025 était due à un problème « multifactoriel » impliquant des surtensions, des fluctuations et des fermetures de centrales.
Elle a également annoncé qu'elle approuverait un décret la semaine prochaine pour mieux superviser le système afin d'éviter qu'un incident similaire ne se reproduise, et qu’elle excluait la possibilité d’une cyberattaque.
Quels sont les problèmes « multifactoriel » avancés ?
Le premier facteur était que le système ne disposait pas d'une capacité de régulation dynamique suffisante pour maintenir la tension stable. Les groupes électrogènes, censés réguler la tension, dont certains appartiennent à des privés, étaient indisponible, n'ont pas pu absorber toute la puissance réactive nécessaire. Suite aux fluctuations, le gestionnaire de réseau REE (Red Eléctrica de España) a programmé un groupes supplémentaire dans la zone pour le contrôle de la tension, mais il n'a pas pu se connecter à temps avant que le système ne s'effondre, nécessitant 1 heure et 30 minutes pour le démarrer.
Le deuxième facteur était que l’oscillation atypique de 0,6 Hz à 12h03, puis 12h19, dans un parc éolien, n’ont pas pu être réglé par le protocole de REE.
Le troisième facteur était du à la déconnexion inappropriée de certaine production qui a contribué à une augmentation des tensions propageant des conditions de surtension et contribuant à déclencher une « réaction en chaîne » en déconnectant à son tour la nouvelle production en raison d'une surtension.