Dès le 13 mars, j'ai commencé à faire une revue de presse à propos de la centrale de Fukushima. Je la mettais sur Facebook, où la plupart de mes amis sont d'anciens élèves.
Je ne faisais l'impasse ni sur les tremblements de terre, ni sur le Tsunami et bien sûr je m'inquiétais des conséquences funestes de ces cataclysmes. Mais il me semblait qu'il n'y avait pas grand chose à ajouter à ce que chacun pouvait lire à ce propos, parce que la relation de ce qui était arrivé n'était pas racontée avec le langage de la Science. Par contre, à propos des centrales nucléaires, je me disais que j'avais un petit rôle à jouer avec mes amis. J'avais un très très mauvais souvenir de nos combats contre les experts scientifiques qui avaient souvent l'audace d'en appeler à une forme de démocratie participative, même si le "concept" n'était pas encore utilisé, en écrasant les citoyens de leur supériorité d'hommes (et même de femmes) de sciences. En quelques phrases, voici ce que je me proposais.
J'oserais me coltiner publiquement des termes scientifiques et ainsi j'autoriserais "mes amis" à mettre en question une technologie en examinant ses conséquences concrètes. Cela m'a obligé à étudier de près ce qui touchait à l'énergie en général et au nucléaire en particulier. J'ai dû faire un gros effort d'autant plus que sans être particulièrement clairvoyant, ce que j'avais appris le 12 mars me suffisait pour imaginer la gravité de la situation dans le domaine nucléaire...
Je n'avais pas pensé que parmi mes lecteurs se trouvait Frédéric Mariotti. Frédéric est un ancien élève du lycée autogéré de Paris qui vit à Tokyo. Son épouse Encarnita, enceinte de quatre mois était rentrée en France quelques temps, incitée à la prudence par les propos du gouvernement français, puis elle est retournée auprès de Frédéric au Japon.
Après que Frédéric soit intervenu dans nos échanges, critiquant les propos tenus par Dominique Leglu sur un blog dédié à la catastrophe de Fukushima je me suis posé la question : est-ce que j'allais continuer à évoquer cette catastrophe, qui venait s'ajouter à un trop grand désastre ? Fallait-il ajouter à l'angoisse de ceux qui vivent là-bas ?
Pendant deux jours au moins, je me suis demandé ce que je devais faire. Et puis j'ai préféré continuer à donner "nos" informations, et j'ai décidé de m'adresser directement à Frédéric.
J'ai découvert que Frédéric, très courageux, participait avec d'autres à un projet d'aide intitulé Tsunami Sendai Project. Vous pouvez suivre leur activité sur le blog de Yorie Akiba (japonais / anglais) : http://yorie.jetsets.jp/ ainsi que sur la page facebook du projet (français) : http://www.facebook.com/pages/SENDAI-PROJECT-fr/204900239528764
Je vous livre notre dernière conversation...
Aujourd'hui, mardi 12 avril, il est 17:11 à Villejuif et 0:11 à Tokyo et nous conversons Frédéric à Tokyo, et moi-même à Villejuif. C'est moi qui commence.
- Je travaillais pour présenter ton texte « Impardonnable »... Mais dis-moi ? Comment allez-vous ?
- Ah pardon, je piquais du nez, j'ai pas vu que tu avais écris sur le chat!
- Quelle heure est-il ? minuit ? Je ne voulais pas te réveiller !!!
- Non non, tu ne m'a pas réveillé! ça va, beaucoup de répliques fortes en ce moment, tous les jours ça bouge, juste assez pour arrêter les transport quelques minutes,
- J'ai entendu : « 6,1 sur l'échelle de Richter ». Et Encarnita, comment va-t-elle ?
- Ça rappelle qu'on est toujours pas vraiment à l'abri. Encar ça va, on lutte contre le stress et les analyses foireuses du genre : « plus ça va plus ça descend sur Tokyo ! Après tout la faille fait 500 km, c'est normal que ça bouge un peu partout.
- Anne-Marie, à côté de moi, regarde "RAS – les travailleurs du nucléaire" : elle est en vacances ! Analyses foireuses ? Journalistes ou appareils de mesures ?
- Non, juste les « on dit », et les peurs des gens, Encarnita, des amis, tout le monde... Et puis pour remettre dans le contexte, à Tokyo, tout le monde a peur du grand séisme qui part de la faille sud, et qui n'est toujours pas arrivé. Et forcément le rapprochement est vite fait (ce qui se passe est considéré en fait comme "annonciateur"). Ce matin et à 2h de l'après midi ça a fait 2 gros tremblements de terre de 6 et quelques dans le coin. Tous les jours je me dis que les japonais ont fait des miracles concernant la résistance des bâtiments!
- Très certainement ! Dommage que les mêmes n'aient pas eu en charge les centrales nucléaires !
- si seulement ...
- Depuis hier, on nous dit que c'est classé niveau 7, par qui ?
- Par l'agence nucléaire japonaise, je ne suis pas sûr que ce soit encore "approuvé" au niveau international
- Je vous souhaite... que ça se calme ! Il faut une union mondiale pour noyer la centrale sous le béton ?
- Non, je pense pas. Noyer quatre bâtiments sous le béton ne paraît pas encore envisageable, à cause des piscines de combustible notamment.
- C'est vrai, les piscines. Je n'ai pas d'idée à ce propos ! Et votre Sendai Project ? J'allais faire de la pub sur Mediapart, maintenant !
- Et bien, nous avons 2 camionnettes maintenant, je suis un heureux conducteur, nous partons vendredi après-midi, et nous allons dans 2 préfectures. Retour dimanche dans la nuit. Nous recueillons les demandes et nous ferons les achats vendredi matin en fonction des besoins précis des camps avec lesquels nous avons des contacts.
- Donc de l'argent via Paypal, ça peut vous aider ???
- Oui ÇA NOUS AIDE! Car nous pouvons manœuvrer au plus juste.
- Je vois. Bravo, vous êtes courageux ! La planète a besoin de gens comme vous.
- Merci ! Même si je ne me sens pas particulièrement courageux, je n'ai rien perdu, je suis vivant, chez nous ça tremble, mais rien de comparable à ce que vivent encore ceux du nord et qui en plus n'ont plus de chez eux.
- Je vais te laisser. Je vais t'envoyer mes ébauches sur l'histoire du lycée, si tu veux.
- Oui je veux bien! ça m'intéresse au plus haut point!
- À bientôt !
- À bientôt ! et bonnes vacances à Anne-Marie!
- Elle est concentrée. Elle doit faire un cours sur la radio-activité à la rentrée, cours prévu bien avant !!!
- Oh ! C'est toujours un plaisir la rentrée au LAP, non ?
- Bon voyage alors !
- Merci. À bientôt! Je vais me coucher ! (0:58 à Tokyo)
- Dors bien !