Le retour du printemps
Même si, sur le calendrier officiel, le printemps revient le 21 mars, c’est le 1er mai qui marque vraiment son retour dans nos vies. Il nous faut le temps de nous habituer à ce changement de climat et, donc, de modes de vie, et puis ce retour du printemps donne une signification particulière à la date du 1er mai, qui n’a pas toujours été la fête des travailleurs, mais, d’abord, tout simplement, la fête du retour des beaux jours. Le 1er mai, on commence à se vêtir plus légèrement, à sentir l’air des arbres, à retrouver le lien avec une nature qui, à ce moment de l’année, devient bienveillante. Pour cela, la fête du 1er mai n’est pas une de ces fêtes devenues un peu guindées, qui ne sont plus des fêtes, mais de simples cérémonies. Le 1er mai est ce que l'on pourrait appeler une fête écologique, au cours de laquelle la politique reconnaît l'importance et la nécessité d'une rationalité écologique pour comprendre le monde. En fêtant le retour du printemps, les peuples se retrouvent et s’assemblent pour se parler et pour dire ce qu’ils veulent pour leur vie. Après le long hiver de froid, de rigueur et de menaces contre notre quotidien, nous retrouvons ensemble, le 1er mai, une saison dans laquelle nous pouvons réellement retrouver le sens de notre vie et les mots de notre existence. En fêtant le retour du printemps, nous fêtons le retour d’un calendrier qui est le nôtre, dans lequel notre temps n’est pas soumis aux rigueurs du climat et dans lequel nos résistances peuvent être pleinement politiques.
Le 1er mai est une fête
Le 1er mai, c’est une fête de la rue, un jour où l’on se retrouve pour échapper aux lois, aux consignes et aux normes : c’est le moment de cette coupure avec le temps ordinaire du travail et des contraintes, le jour où l’on échappe à la loi. En retrouvant le sens de la rue, nous donnons à cette fête le sens de pratiques sociales qui font de la rue, de nouveau, l’espace public, c’est-à-dire l’espace du peuple réuni. Peut-être même pourrait-on dire que c’est la seule fête qui en soit vraiment une. Le 1er mai, la fête se déplace dans la rue : on n’est pas dans les lieux où l’on travaille en se livrant à une fonction sociale et où l’on est soumis à l’autorité des employeurs, mais on est dans la rue, à la fois pour retrouver l’espace public et pour se rassembler avec les autres dans des manifestation et des défilés qui conjuguent le sens politique du rassemblement populaire et le sens culturel de la fête. Dans l’histoire, une fête du travail et des travailleurs a été instituée, en France, en 1793, au cours de la Révolution, dans le but de donner au peuple un jour de fête pour répondre aux fêtes des classes dirigeantes, mais c’est plus tard que le 1er mai est devenu une tête du travail, une fête des travailleurs.
La fête du travail
En 1889, l’Internationale socialiste, mouvement international rassemblant les syndicats et les organisations de travailleurs de tous les pays, décide de faire du 1er mai une fête internationale des travailleurs. Ceux-ci, de cette manière, s’approprient cette fête - ou plutôt considèrent qu’elle est à eux parce que c’est la fête du peuple, et ils la retrouvent, en considérant que la bourgeoisie et les dirigeants doivent la leur rendre. Il s’agit, ainsi, d’une triple fête. D’abord, la fête où les travailleurs se retrouvent, et, comme toutes les fêtes, le 1er mai est un jour où les peuples expriment leur identité en la disant, en la chantant et en la manifestant. Ensuite, c’est une fête où s’exprime une identité pleinement politique. Le 1er mai est une fête où les travailleurs prennent la parole, retrouvent la rue, manifestent leurs revendications et, de cette manière, retrouvent une parole qui leur est trop souvent confisquée. Enfin, c’est une fête des travailleurs dans tous les pays. Le 1er mai, l’Internationale, celle de la chanson que tout le monde connaît, se remet à vivre. Les frontières sont abolies, c’est dans tous les pays que l’internationale des travailleurs répond à la mondialisation des capitaux et de l’hégémonie du libéralisme et de l’aliénation.
Une fête de force et de résistance
Ainsi, la fête des travailleurs est une fête quinone à voir et à entendre la force du peuple des travailleurs. Le peuple manifeste sa force à la fois en interrompant ses activités au cours d’une journée fériée. On se rend compte, de cette manière, comme les jours de grève, que, quand les travailleurs interrompent l’activité de l’économie, cela se voit : comme toujours, c’est le manque qui oblige à apprécier les rapports de force. Quand le travail manque, on mesure sa force et sa nécessité dans l’économie et dans la vie sociale. En même temps, le 1er mai, les travailleurs expriment leur détermination à résister à l’hégémonie et à la puissance des dirigeants en leur répondant par l’expression de leur propre puissance. Le 1er mai est ainsi une fête de résistance, par laquelle le travail entend bien montrer qu’il résiste aux pouvoirs en manifestant un contre-pouvoir. Mais c’est une résistance qui se voit dans l’espace public : en occupant la rue, les défilés du 1er mai montrent qu’elle est l’espace du peuple des villes et des campagnes. Ce jour-là, la force des militants et des citoyens se déploie dans l’espace de la rue et fait entendre des revendications, des slogans, mais aussi des chansons et des musiques dans lesquelles les peuples se reconnaissent, en se donnant une langue et des mots, mais aussi une esthétique particulière, faite des drapeaux, de banderoles, de pancartes sur lesquels on peut lire les mots des manifestants et des défilés comme une poétique un peu particulière. La force et la résistance mettent en scène la poésie de la colère et de la résistance des peuples contre les pouvoirs institués. La poésie des mots et des airs du 1er mai nous fait retrouver les paroles que nous pourrions oublier ou dont nous pourrions être privés par les pouvoirs.
Le 1er mai 2025
Mais nous sommes en 2025. La fête du 1er mai revêt, cette année, une signification particulière dans notre pays, comme, sans doute, dans tous les pays (songeons à Trump pour ne citer qu’un exemple). Nous connaissons, cette année, une régression sociale et politique particulière. Les droits du travail sont bafoués comme jamais et l’hégémonie des forces des dirigeants se manifeste avec une violence extrême. Les dirigeants se comportent comme s’ils croyaient avoir tous les droits. C’est pourquoi le 1er mai manifeste une résistance à cette hégémonie des pouvoirs et de leur puissance. À leur violence qui se manifeste dans tous les pays, répond, cette année, une internationale de la résistance dans l’expression d’un rapport de forces particulièrement violent. C’est que la violence du libéralisme ne se manifeste pas seulement dans la puissance des entreprises et de leurs dirigeants : en France et dans de nombreux autres pays, elle trouve des alliés dans les forces des états qui, en quelque sorte, mettent à leur service des institutions et des pouvoirs, à commencer par la police. Les violences des policiers n’ont sans doute jamais été aussi violentes que de nos jours, et le 1er mai manifeste aussi une opposition contre les forces et les violences que les états déploient contre les peuples. Le 1er mai de cette année est aussi un jour de résistance et de protestation contre les guerres qui, notamment en Ukraine et en Palestine, sont menées par les pouvoirs des états contre les peuples qu’ils croient soumettre. Dans la ville où j’habite, beaucoup de drapeaux palestiniens étaient dans le défilé : la fête du 1er mai est ainsi une fête contre les hégémonies, les dictatures et les guerres. Le 1er mai de cette année est dirigé aussi particulièrement contre le libéralisme d’E. Macron et de F. Bayrou, contre les dictatures de V. Poutine et de D. Trump, contre les régimes totalitaires qui ont envahi le monde, comme ceux des pouvoirs religieux. C’est pourquoi on se rend compte que le 1er mai ne saurait se réduire à une fête des travailleurs pour leurs conditions de travail, mais est bien la manifestation des peuples dans tous les domaines : le 1er mai, ce sont les peuples qui mènent le monde ou qui manifestent le désir de retrouver leur pouvoir sur lui.