Réprimer la migrance et la pauvreté
La chasse aux pauvres s’inscrit, d’abord, dans une politique plus générale de répression. Les soi-disantes politiques de solidarité se construisent sur une logique de stigmatisation : pour aider, disent les pouvoirs, il faut commencer par repérer, par désigner - donc par stigmatiser. Mais, fondamentalement, ces politiques de stigmatisation font partie de l’arsenal de politiques de surveillance et de répression qui visent à construire un état homogène, net, propre, sans bavures. Les polices sont là comme les instruments institutionnels de ces politiques de répression. D’ailleurs, comme toujours, le lexique n’est pas neutre : parler de sécurité sociale implique que les personnes censées bénéficier de politiques de solidarité dans le domaine de la santé ou dans celui de la protection sociale sont aussi des éléments porteurs d’insécurité pour la société qui doit garantir sa propre sécurité (sécurité sociale). Les migrants et les pauvres sont ceux qui n’entrent pas dans les cadres sociaux de la normalité, ceux qui « ne sont pas comme tout le monde », et c’est pourquoi il faut les réprimer pour qu’ils entrent dans le moule de ce que le candidat trumpiste à la vice-présidence des États-Unis nomme le « bon sens ». Le « bon sens « désigne, depuis toujours ce que la société impose sans chercher à le justifier, en se prévalant d’une unanimité sans critique. Réprimer la migrance et la pauvreté consiste, avant tout, à en faire des fautes. Il s’agit de remplacer les politiques de solidarité par des politiques de conformité à l’ordre établi. Finalement, nous nous trouvons face à une politique sociale fondée sur la contrôle, la surveillance et la répression au lieu de l’être sur la solidarité et la recherche de l’égalité.
Rendre les pauvres invisibles : une vieille histoire
Ce qui est en question aujourd’hui, c’est la politique élaborée dans le cadre de l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Il faut trouver tous les moyens pour éviter que les visiteurs des Jeux, sportifs, touristes, ne se trouvent face à la pauvreté dans le beau pays qu’est la France. Il importe de tout mettre en œuvre pour que l’illusion subsiste d’un pays dans lequel règne l’égalité. C’est pourquoi l’objectif des politiques mises en œuvre dans le cadre de l’organisation des Jeux est de chasser les pauvres et les migrants. Des décisions d’expulsion sont prises et mises en œuvre dans une urgence comparable à celle qui vise à la prévention du terrorisme. D’ailleurs, comme chacun sait, dans les politiques libérales comme la politique macronienne, la différence est très faible entre la pauvreté, l’anormalité et le terrorisme. Des ensembles d’habitations (nommés « bidonvilles » depuis toujours) sont évacués et détruits à coups de pelleteuse. En invoquant des nécessités d’hygiène et de santé, des logements sont détruits. Cela signifie, en passant, que l’État savait très bien que des femmes et des hommes vivaient dans ces lieux ne répondant pas à des exigences minimales d’hygiène et de santé, mais ne s’en souciait pas. On nous dit que ces mesures prises dans les banlieues défavorisées de Paris n’ont rien à voir avec les Jeux olympiques, mais, tout de même, les dates semblent bien coïncider entre ces mesures de répression et le calendrier de l’organisation des Jeux. Cela s’inscrit dans une longue histoire. En effet, les états et les sociétés ont toujours voulu rendre les pauvres invisibles, et, d’abord, parce qu’ils leur rappellent leur échec ou les excès des inégalités. C’est bien ainsi qu’existaient, dès le Moyen Âge, des « cours des miracles », et que, partout, tout au long de l’histoire, des quartiers comme les « ghettos », ainsi nommés en référence à celui de Venise, ont été prévus dans les villes pour, littéralement, enfermer les pauvres.
L’appropriation de l’espace public par les pouvoirs
La chasse aux pauvres fait partie des stratégies conçues par les pouvoirs pour s’approprier l’espace public, et, ainsi, pour faire en sorte qu’il soit le moins « public » possible, qu’il ne soit pas, justement, restitué au peuple. Par les politiques d’ordre, d’harmonisation et de police, les pouvoirs ont toujours cherché à rendre l’espace de la rue aussi peu public que possible. L’espace public a toujours vu les libertés singulières et collectives restreintes par les pouvoirs institutionnels. Les pouvoirs ont toujours cherché à accroître leur emprise sur l’espace public et à y limiter les libertés en faisant autant que possible disparaître de lui celles et ceux qui ne sont pas conformes à la loi. À cet égard, la confiscation de l’espace public par les pouvoirs au nom des Jeux olympiques s’inscrit dans une vieille histoire. En réalité, il s’agit d’une triple histoire. D’abord, la chasse aux pauvres a toujours remplacé les politiques de solidarité par des politiques répressives, mettant en œuvre, comme dans bien d’autres domaines, la violence d’État, cette violence dont Max Weber nous dit qu’elle est la seule violence légitime, ce qui ne veut pas dire qu’elle est juste. Par ailleurs, la confiscation de l’espace public par des intérêts particuliers a toujours manifesté une confusion entre l’intérêt général, celui de la population, et des intérêts particuliers, ceux des acteurs privés. À cet égard, la confiscation de l’espace public par l’État au nom des Jeux olympiques n’est qu’une façon de donner un peu plus d’espace public aux acteurs particuliers de la société civile, qu’il s’agisse des acteurs de la politique foncière, de ceux de la politique sportive, ou des publicitaires. Enfin, le sport a toujours été une des formes prises par les « politiques du corps », qu’il s’agisse d’eugénisme, de discriminations raciales ou de l’imposition de normes d’activité physique.
Depuis le début, les Jeux olympiques ne sont pas du sport
C’est ainsi que, depuis le début, les Jeux olympiques ont toujours été une fête des élites se donnant le déguisement de la solidarité pour se faire accepter. Dans l’Antiquité, les Grecs les avaient institués à Olympie pour réunir, grâce à cette fête, les élites sociales de la nation et pour promouvoir une morale de l’effort. Ce qui se jouait à Olympie dans l’Antiquité grecque, c’était, en réalité la soumission des corps et des activités physiques à la fois à des normes culturelles, exprimées par la référence aux divinités, et à des normes d’activité physique mettant en évidence les élites du corps et préparant, de façon plus ou moins cachée, les soumission aux politiques de la guerre. Mais, dans l’Antiquité grecque, les Jeux consistaient dans des événements organisés de façon à rendre l’espace public conforme à la norme.
Depuis leur redécouverte, en 1894, par Pierre de Coubertin, les sociétés contemporaines ont fait des Jeux olympiques une cérémonie se disant expurgée de toute signification politique afin de mondialiser la surveillance et les exigences de l’éthique contemporaine. C’est ainsi que les Jeux olympiques ne sont pas une fête sportive. Il ne s’agit pas d’une fête, car il s’agit d’activités de rivalité et de concurrence. Il ne s’agit pas de sport, car il s’agit de domination. Mais, surtout, les Jeux olympiques consistent dans une exaltation des idéaux politiques de la force et de la violence, de la norme et de la conformité aux exigences sociales et politiques imposées par les pouvoirs. Enfin, les pauvres sont chassés des Jeux olympiques à la fois pour les raisons que nous avons dites - l’uniformisation des espaces de vie conformes aux exigences de la loi - et parce que les Jeux ne sont pas pour eux. Une véritable politique sportive rendant le sport au politique consisterait à équiper l’ensemble des espaces de vie de notre pays en aménagements et en installations permettant à tous de faire du sport s’ils en ont le désir. Au lieu de réduire le sport à de la compétition, au lieu de faire la chasse aux pauvres, une véritable politique du sport ferait des pratiques du sport un instrument de la recherche de l’égalité et de la solidarité.
Au moment de mettre cette chronique en ligne, j’ai vu un article d’E. Plenel parlant des mêmes sujets : « « Ah ! ça ira ! » aux JO : la France de l’égalité et du monde ». Lisez-le donc.