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Billet de blog 1 septembre 2022

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LA SÉPARATION DES POUVOIRS

La séparation des pouvoirs est une condition majeure pour que soit institué un véritable état démocratique. Des propos d’O. Véran, cités par une dépêche de l’A.F.P. viennent nous le rappeler.

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Le pouvoir exécutif n’a pas à empiéter sur le pouvoir de juger

Quel est le point de départ de la réflexion que nous proposons aujourd’hui ? Comme tout le monde le sait, sans doute, le gouvernement avait l’intention d’expulser de France un prédicateur musulman, Hassan Iquioussen. Ce dernier avait fait appel devant le Conseil d’État pour tenter de faire annuler cette décision. La juridiction administrative la plus élevée de notre pays a fini par autoriser l’expulsion, mais il faut revenir à ce que l’on peut appeler l’environnement politique de la procédure. Rappelons que, tandis que la justice civile arbitre les conflits entre les personnes et la justice pénale sanctionne les manquements à la loi, la justice administrative arbitre les conflits entre les personnes et l’État. Or, selon l’Agence France-Presse, dimanche dernier, le 28 août (il se passe toujours de drôles de choses le dimanche, mais bon…), le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran a estimé, en public, qu’un refus du Conseil d’État « serait un très mauvais signal ». Je ne veux pas entrer ici dans le débat particulier concernant l’expulsion de H. Iquioussen, mais je souhaite seulement m’interroger sur la légitimité du discours du porte-parole du gouvernement et sur sa signification politique. C’est que nous en sommes là maintenant, dans notre pays : alors que le pouvoir exécutif n’a pas à commenter une décision de justice, il le fait à présent avant même que la décision ne soit prise : sans doute entend-il, ainsi, peser sur la décision du Conseil d’État, et, de cette manière, le pouvoir exécutif prend la liberté de chercher à affirmer sa supériorité sur le pouvoir de juger en cherchant à faire pression sur lui pour qu’il prenne une décision conforme à ce qu’il attend, lui. Le pouvoir exécutif macronien cherche à manifester sa toute-puissance : nous sommes revenus à une sorte d’absolutisme, l’un des trois pouvoirs cherchant à peser sur un autre. Plus même, sans doute : la conception macronienne du pouvoir politique est la toute-puissance : rien ne peut s’opposer à une décision de l’exécutif. Il ne s’agit plus de la recherche du pouvoir, mais de celle d’une véritable hégémonie.

Pourquoi faut-il que les pouvoirs soient séparés ?

Pour ne pas chercher plus loin dans l’histoire de la pensée politique, rappelons que c’est au XVIIIème siècle, un peu avant la Révolution, que Montesquieu publie, en 1748, L’Esprit des lois, un ouvrage fondamental de réflexion critique sur le politique. C’est dans ce livre qu’il propose, très clairement, un fondement essentiel d’une politique rationnelle : la séparation des pouvoirs. Le pouvoir législatif, celui de faire les lois, le pouvoir exécutif, celui de les mettre en œuvre, et le pouvoir judiciaire, celui de juger les atteintes aux lois, doivent être séparés l’un de l’autre : ils ne doivent pas interférer l’un sur l’autre. Montesquieu explique cela, formule sur cette observation une véritable théorie, après des siècles de monarchie absolue en France. C’est dire qu’il ne s’agit pas d’une théorie abstraite, mais bien de l’élaboration d’une théorie fondée sur de l’expérience, sur l’observation rationnelle de la façon dont vit la démocratie, dont se met en œuvre la vie politique. Après ces siècles de monarchie absolue, Montesquieu élabore une proposition majeure destinée à éviter que notre pays – mais aussi les autres – ne retombe dans un système de monarchie absolue qui a montré sa faiblesse et son autoritarisme. Les trois pouvoirs qui fondent le politique doivent être séparés parce que, justement, l’un doit pouvoir contrôler l’autre, doit pouvoir limiter son emprise, afin qu’aucun pouvoir ne transgresse les limites qui lui sont imposées dans une démocratie. Les pouvoirs doivent être séparés parce que la concentration des pouvoirs en un seul acteur (en général, il s’agit de l’exécutif quand cela arrive) mène à une véritable hégémonie, qui est incompatible avec la démocratie. En effet, pour pouvoir être libre, le démos, le peuple, doit pourvoir recourir à un des pouvoirs quand il se trouve devant un abus de pouvoir de la part d’un autre. Les pouvoirs doivent être séparés pour qu’aucun d’eux n’écrase la société d’une toute-puissance incontrôlable. Au-delà, la concentration hégémonique des pouvoirs entraine la fin du débat public et, avec elle, empêche que se mette en œuvre une réflexion sur la politique, et, par conséquent, entraîne une sorte de sclérose des institutions.

L’absence de contre-pouvoirs est une menace pour la démocratie et pour la liberté

La concentration des pouvoirs est une menace pour la démocratie car la liberté repose sur la limitation des pouvoirs, et les institutions doivent garantir qu’aucun pouvoir ne transgresse les limites qui lui dont imposées par la loi. Les contre-pouvoirs sont, à la fois, une limitation des pouvoirs les uns par les autres et des recours pour les citoyens afin que leur soit garantie leur liberté. Encore une fois, nous ne cherchons pas, ici, à commenter l’affaire Iquioussen. Nous cherchons seulement la signification du propos du porte-parole du gouvernement. En faisant ce commentaire, O. Véran empiète sur la limitation des pouvoirs, il cherche à dénier l’importance des contre-pouvoirs dans une démocratie. Finalement, il s’agit d’une manifestation de plus de l’obsession de l’exécutif depuis qu’E. Macron est président : ce que l’on peut appeler la tentation de l’absolutisme. Un ministre n’a pas à juger une décision de justice, et, par-dessus le marché, avant même que celle-ci ne soit prise. En prenant cette initiative - est-on, d’ailleurs, sûr que cette initiative n’ait pas été suscitée par le chef de l’État ? – le porte-parole du gouvernement donne à l’exécutif la voix de son maître, il manifeste un excès de pouvoir qui constitue une véritable menace pour la démocratie. La justice administrative, en particulier, le Conseil d’État, a été imaginée pour que les citoyens se voient protégés des excès de pouvoir, pour veiller au strict respect de la séparation des pouvoirs. Et voilà que, par un tel propos, un ministre viole ce principe intangible de la démocratie. Peut-être est-il là, le « très mauvais signal ». Il est temps que la politique de notre pays redevienne une politique démocratique, il est temps d’en finir avec la conception hégémonique du pouvoir à laquelle nous risquons de nous habituer durant le deuxième quinquennat d'E. Macron.

Le retour de la démocratie

Les élections législatives ont montré que nous étions enfin revenus à l’heure du réveil. Je ne suis pas dans la même logique que l’exécutif : je ne commente pas une décision de justice. Les propos d’O. Véran sont une menace pour nos libertés. Mais peut-être les choses ne seront-elles, désormais, plus si simples pour l’exécutif. À l’Assemblée nationale, depuis les dernières élections législatives, il ne dispose plus de la majorité absolue qui lui était soumise et qui lui laissait faire ce qu’il voulait, qui le laissait, finalement, régner. Ce retour de la démocratie, qui repose sur une exigence renouvelée du partage des pouvoirs a la signification d’un retour de la démocratie, dans notre pays. La politique et les citoyennes et citoyens vont, enfin, pouvoir respirer de nouveau, retrouver la liberté de la parole et du débat. Mais à condition que les lieux de la politique redeviennent ce qu’ils ont toujours été : les lieux de la confrontation, de la parole, les lieux dans lesquels les mots retrouvent leur puissance. Peut-être le retour de la liberté de la juridiction administrative est-il un signe du retour de la confrontation des pouvoirs ente eux et de leur limitation, du retour de la liberté du débat. N’oublions pas que nos identités politiques reposent sur la confrontation à l’autre. Encore faut-il que nous y soyons tous décidés. Encore faut-il que nous ayons l’intention de redevenir ce que nous ne devons jamais cessé d’être : des citoyennes et des citoyens.

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