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Billet de blog 2 janvier 2025

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LA DISPARITION DES VIOLENCES : VŒUX POUR 2025

Rêvons un peu : c’est le rôle des vœux que nous nous présentons en ce début d’année, mais en les formulant, on peut se rendre compte que, partout dans le monde, les crises que nous connaissons signifient que nous nous trouvons sans protection face à des violences et qu’il devient urgent de nous libérer de cette contrainte.

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Qu’est-ce que le domaine des vœux ?

Les vœux sont la formulation de notre imaginaire. En ce sens, le rituel des vœux du début d’année est important, car il est l’occasion pour nous de dire les utopies dont nous sommes porteurs, car, sans les utopies, notre engagement politique n’aurait pas de sens. C’est parce qu’il s’articule à de l’imaginaire que notre discours politique a une signification, pour nous-mêmes et pour ceux à qui il s’adresse. En disant nos vœux, nous disons ce qu’est l’idéal politique qui, en fondant notre imaginaire, fonde notre identité et notre place dans l’espace public. Sans imaginaire et sans vœux, nous ne serions plus des êtres politiques, des zôa politika, comme dit Aristote, mais nous ne serions plus que des machines.

Une géopolitique repensée

Aujourd’hui, la guerre est partout dans le monde. Cette universalité de la violence manifeste la disparition de la politique dans le monde entier, et cela laisse le champ libre aux rapports de force dans tous les pays. La guerre en Ukraine et à Gaza, au Yemen, au Liban et dans tous les pays du Proche-Orient montre que la politique a disparu de ces pays, qui ne sont plus que des théâtres d’opérations militaires, des espaces de mort et de sang perdu, des mondes sans mots et sans paroles. C’est, ainsi, toute une géopolitique qu’il est nécessaire de reconstruire, de repenser, de refonder. Au lieu de laisser le monde aller à notre perte sans raison, le premier vœu qu’il importe de formuler ici est celui du retour du politique dans l’ensemble du monde. Les pays doivent de nouveau exister les uns pour les autres, doivent se reconnaître dans une réciprocité fondant le retour du langage dans l’espace public de la mondialité. Cette omniprésence de la guerre n’est que l’aspect que revêtent entre nos pays la disparition du langage et la montée de la violence. En effet, la guerre et la disparition des mots nous empêchent de pleinement voir notre existence reconnue par les autres.

Un état fort contre les violences

Ainsi partout saisi par la guerre, le monde est devenu un monde de violence. Mais il faut aller plus loin : il y a une sorte d’association constante entre la montée des violences et l’affaiblissement de l’État. Ce qui définit l’État, selon le philosophe du politique Max Weber, c’est qu’il dispose du monopole de la violence légitime. Cela signifie bien que la disparition de l’État dans l’espace public ou son affaiblissement laisse le champ libre à la montée des violences sans légitimité reconnue par les peuples. Il est urgent d’en finir avec cet échec de l’État et avec cet affaiblissement de la puissance publique. Mais ne nous leurrons pas (ou ne nous laissons pas leurrer) : le libéralisme n’est pas autre chose que la montée dans tous les pays d’une économie politique de la violence. En laissant les dirigeants des entreprises se livrer sans régulation politique à la concurrence et à la liberté des marchés, le libéralisme laisse le champ libre à la violence. Le retour de la force de l’État est le seul moyen de lutter contre les violences, mais sans réduire la violence à la violence physique ou à celle du banditisme et des trafics illicites. Le libéralisme essaie de faire croire qu’il n’est pas porteur de violence, alors qu’il est l’acteur essentiel de la violence économique. Une économie politique de la violence consiste dans l’élaboration et la mise en œuvre d’une pensée de la violence dans son intégralité nous permettant de lui résister, y compris dans le domaine de l’argent et dans celui du travail. En soumettant à la loi les auteurs des violences y compris dans le domaine de l’économie, l’État peut se donner les moyens de nous protéger des violences et d’accomplir, ainsi, sa mission.

Une politique de l’écologie climatique

Nous nous rendons compte à Mayotte que le climat aussi peut être une source de violence. La violence climatique nécessite une refonte de la politique du climat - voire l’élaboration et la mise en œuvre d’une telle politique. Dans le monde entier, les pouvoirs et les dirigeants mettent en œuvre des politiques fondées sur le déni des exigences du climat. Le climat n’est pas associé à de la violence, car les pays, systématiquement, refoulent soigneusement le fait que l’hyperactivité des agricultures, des industries et des usages de toutes les formes d’énergie conduit au dérèglement climatique que connaît notre monde. Mais Mayotte nous rappelle aussi que l’État n’a pas accompli les devoirs et les politiques qui auraient pu protéger les populations contre ces dérèglements et cette violence. Il nous faut refonder une politique du climat dans une écologie climatique, qui signifie, elle aussi, le retour du politique dans un domaine d’où le libéralisme l’avait tenu éloigné - comme si les acteurs politiques et les pouvoirs ne pouvaient rien au climat. Cette écologie climatique revêt trois formes dont nous formulons le vœu qu’elles s’appliquent dans le monde - ou, au moins, qu’elles commencent à s’appliquer. La première est une rationalisation des usages de l’énergie et, ainsi, le retour à une modération des climats. La seconde est la mise en œuvre de politiques recherchant l’égalité entre les deux parties du monde dont la séparation est justement rendue manifeste par l’inégalité : les pays du Nord et ceux du Sud. La troisième est une écologie de l’alimentation et de l’agriculture reposant sur la disparition de l’emprise des grands groupes et le retour à une agriculture qui ne soit plus industrielle sans préoccupation environnementale mais qui mette en œuvre une articulation entre l’économie d’usage et l’écologie agricole et en finisse avec les mouvements délirants de marchandises agricoles dans le monde.  

Le retour à l’égalité et au sens

Les inégalités atteignent un tel degré que le retour à une politique de l’égalité devient une urgence. Sans doute pourrait-on même définir la politique comme l’ensemble des débats, des choix et des décisions fondant la mise en œuvre d’une politique de l’égalité. Mais, au fond, qu’est-ce que l’égalité ? L’égalité n’est pas autre chose que le déplacement du « stade du miroir » dans le champ politique : cela consiste à fonder notre identité sur la reconnaissance de celle de l’autre. Au lieu d’ignorer l’identité de l’autre dans la dimension politique de notre regard sur lui, nous devons nous rappeler que c’est par notre rapport à lui que nous fondons notre identité. C’est par là que nous pouvons retrouver le sens au lieu d’errer comme des somnambules sans but et sans projet. Finalement, c’est cela, la violence : la perte du sens. Sans signification de nos actes et de nos choix, nous nous livrons à des violences dont ne pouvons pas nous protéger. En effet, nous devons nous rappeler que c’est la relation à l’autre qui nous fait retrouver le langage, le sens et l’identité. En effet, dans les paroles et dans les discours, dans les actes et dans les politiques, la disparition des significations conduit à l’occupation du monde par la violence. Faire revenir le sens et faire disparaître la violence sont comme les deux faces du retour du politique. C’est en fondant sur les mots notre relation à l’autre que nous en chassons la violence et que nous ne courons plus de risques. C’est pourquoi, dans le même temps, le retour du politique signifie le retour aux mots. Nous devons retrouver le sens des paroles et renouer les fils de la communication et d’échanges qui ne se réduisent pas au commerce et à concurrence. Sans doute est-ce là le vœu essentiel que je formule pour nous au moment où nous entrons dans une année nouvelle. Faisons revenir le sens que nous avons perdu dans la violence du libéralisme et des rapports de force. Le retour du sens est aussi le retour au souci de l’autre et au regard sur lui. Cessons de contempler notre nombril et ouvrons nos yeux et nos pensées sur l’autre avec qui nous vivons dans le monde qui est le nôtre à tous.

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