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Billet de blog 2 février 2023

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ÉCONOMIE POLITIQUE DE LA SANTÉ (2)

Nous poursuivons aujourd’hui l’article sur l’économie politique de la santé dont la première partie avait paru le 17 février 2022

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Qu’est-ce qu’une économie politique ?

L’économie politique est une économie qui a du sens, et qui n’est pas seulement pas seulement fonctionnelle : une économie politique est une économie qui ne se conçoit pas seulement en termes de dépenses et de profits, ni seulement en termes d’investissements, mais une économie qui se pense en termes de rapport aux pouvoirs et aux citoyens. Dans le domaine de la santé publique, il s’agit d’une économie qui se pense dans le temps long comme dans le temps court, qui permet de comprendre les logiques des acteurs de la santé. Surtout, une économie politique de la santé permet de penser la répartition des rôles entre les acteurs publics et les acteurs privés, et, en fin de compte, de mettre en œuvre une véritable critique du libéralisme dans le domaine de la santé.

La survenue de la pandémie du COVID-19 a fait apparaître deux symptômes d’une crise de la santé. Le premier est celui d’une insuffisance, d’une faiblesse, des acteurs de la santé et a fait apparaître leur difficulté à faire face à une pandémie. Le second symptôme dont on a fait l’expérience à cette occasion est celui d’une mondialisation de l’économie politique de la santé : on ne peut plus penser – si tant est, d’ailleurs, qu’on ait jamais pu le faire – la politique de la santé dans les limites d’un territoire. C’est à l’échelle du monde entier qu’il faut penser les politiques de santé publique, ne serait-ce, d’ailleurs, que parce que les pandémies apparaissent aujourd’hui en raison du développement des migrances et de l’internationalisation des échanges.

Par ailleurs, les politiques de santé sont confrontés, aujourd’hui, à une véritable hégémonie mondialisée des cultures médicales des pays industrialisés, y compris, aujourd’hui, en Chine et en Asie, dont les cultures médicales ont fait l’objet d’un véritable refoulement, alors qu’il s’agissait de cultures anciennes et éprouvées. Cette hégémonie des cultures médicales des pays industrialisés constitue un facteur majeur de l’économie politique de la santé aujourd’hui.

L’industrialisation de la santé se caractérise, aujourd’hui, par l’internationalisation des industrie du médicaments, qui se caractérise, elle-même, par de bas salaires et par de mauvaises conditions de travail, imposées aux salariés du médicalement par les entreprises dans lesquelles ils sont employées, qui veulent inonder les marchés de leurs produits dans le monde entier. C’est pourquoi il faut que l’industrie du médicament revienne en France et dans les autres pays, à la fois pour que la logistique retrouve des montants normaux et pour que les produits prescrits et utilisés s’inscrivent pleinement dans la culture médicale des pays qui les emploient.

L’économie des acteurs de la santé

C’est une autre dimension importante de l’économie politique : elle repose sur une véritable prise en considération des acteurs. Les acteurs de la santé interviennent de façon essentielle dans ce domaine, et ils ont, à cet égard, une responsabilité fondamentale, qui ne peut se traduire que par une considération dont ils font l’objet de la part de leurs patients. Les patients ne doivent pas être considérés comme des usagers des dispositifs et des institutions de la santé, mais comme des partenaires des acteurs.

C’est ainsi que les médecins ne doivent pas être rémunérés par des paiements à l’acte, car cela risque de les réduire à des fonctions de commerce et à la recherche de profits et de rendement. C’est aussi ainsi qu’il importe que les médecins pratiquent une médecine d’écoute, qu’ils interviennent dans des échanges de communication et de relation avec leurs patients, ce qui implique, notamment, une dénonciation des pratiques de télémédecine qui se réduisent, en fait, à de la médecine elle-même technologique et industrialisée, limitée à des mécanismes du soin et de la consultation.

Les infirmières et les infirmiers sont les acteurs essentiels de véritables équipes soignantes. C’est pourquoi leur rôle et leur statut doivent être reconsidérés. Ils ne sont pas les auxiliaires des médecins, ils ne sont pas les techniciens de la santé, mais ils participent à l’écoute des patients, et ils sont souvent plus disponibles et mieux à l’écoute des patients que les médecins. Pour cette raison, sans doute convient-il de repenser les équipes soignantes et le statut de celles et de ceux qui y interviennent.

L’hôpital est un espace du soin, et c’est pourquoi il est lui-même un acteur de lassante en lui donnant une institution. C’est l’hôpital qui situe la santé dans la vie sociale et urbaine : ils ne se tient plus pas à l’écart des villes comme avant, il n se réduit pas à être un refuge de pauvres, mais il articule pleinement le savoir et la pratique en associant la recherche et l’enseignement universitaires dans le domaine de la médecine et une pratique généreuse et disponible du soin, à l’écoute des patients et ouvert aux transformations et aux évolutions de la médecine et du soin. L’hôpital est, enfin, un espace de parole : n’oublions pas que les mots contribuent au soin autant que les pratiques strictement médicales.

Comme les médicaments, les acteurs de la santé ne doivent pas perdre leur identité dans l’industrialisation du soin. Leurs regards et leur écoute des patients risquent par finir par se perdre dans l’industrie et les acteurs de la santé risquent de perdre leur identité et leur savoir en devenant de simples techniciens sans culture. C’est leur culture qui définit l’identité des acteurs de la santé, ce n’est pas leurs prouesses techniques et instrumentales.

Dire le mal

Dans le soin, nommer la maladie, lui reconnaître une identité, est le moment essentiel, car il s’agit, en quelque sorte, du moment inaugural. C’est pourquoi, on peut, d’emblée, distinguer trois sorts de maladies, selon le nom qu’elle porte. Les premières sont les maladies courantes, anciennes, que l’on désigne par des mots appartenant à ce que l’on peut appeler le vocabulaire populaire de la santé. C’est ainsi que l’on parle de la grippe, terme qui n’a pas une très grande précision scientifique, mais qui représente des états observés par tout un chacun et qui s’inscrit dans une tradition ancienne de lexique ordinaire de la santé.

Les seconds types de maladies sont celles que l’on désigne par des termes qui désignent des états de santé observés et définis par leurs causes ou par leurs symptômes. Nous ne sommes plus dans le lexique populaire, mais dans le lexique savant, dans le lexique dont l’usage se limite aux acteurs de la santé. Des maladies comme les trachéites, comme les rhino-pharyngites, sont des maladies qui ont, en quelque sorte, fait l’objet d’une appropriation par les savants. Dans ces conditions, il arrive souvent que l’on assiste à une sorte de concurrence entre la culture médicale et la culture populaire.

Et puis il y a des maladies en quelque sorte sans nom, désignées par les abréviations, par les sigles qui permettent de les nommer, comme le SRAS, le SIDA ou le COVID-19, lui-même nommé par un simple numéro. Sans doute peut-on remarquer que l’absence de nom, la réduction de la désignation du mal à un simple sigle, constitue, en fait, une sorte d’aveu de faiblesse. Ne pas dire le mal est une manière de s’avouer vaincu par lui : en refusant de lui donner un nom, on refuse de faire de lui un acteur de la santé, on est dans le déni. N’oublions pas que, dans le domaine de l’économie politique de la santé, le nom du mal est un élément essentiel, à la fois parce qu’il sert à l’identifier et à faire, ainsi, de lui un acteur du processus médical, à la reconnaître, et parce qu’il s’inscrit dans le processus complexe fondé sur une sorte de dialectique entre nommer et soigner. Nommer le mal lui donne une identité. L’économie politique de la santé se distingue, justement, de l’économie ordinaire de la médecine et du soin par le fait qu’en reconnaissant l’identité de ses acteurs, elle est en mesure de donner du sens à son travail. C’est la première étape du processus qui parvient à dominer le mal, à libérer les femmes et les hommes de son emprise. C’est pour cela que l’économie de la médecine et du soin est une économie politique : elle engage un combat, elle fait de sa relation au mal une conflictualité.

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