Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

361 Billets

1 Éditions

Billet de blog 2 mars 2023

Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

LA CONVENTION CITOYENNE SUR LA FIN DE VIE

Le président a organisé une « convention citoyenne sur la fin de vie ». Une telle initiative soulève des quantités de questions qu’il nous faut aborder.

Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une « convention citoyenne », qu’est-ce que c’est ?

Que le président souhaite organiser une consultation sur la question majeure du regard de la société sur notre approche de la mot qui vient est plutôt une bonne chose. Mais que signifie l’idée d’une « convention » ? Une convention, c’est une rencontre : des femmes et des hommes qui vont à la rencontre les uns des autres pour parler, pour échanger. Pour que leurs mots donnent du sens à cette figure difficile, que nous attendons tous avec plus ou moins d’angoisse, mais dont nous savons qu’elle concernera tout le monde. Une convention citoyenne pourrait, ainsi, être un lieu propice à des échanges, à des récits d’expériences, à des questionnements. Mais cela n’a pas de sens si une telle « convention » est décidée d’en haut : cela ne peut avoir une signification – y compris une signification politique – que si ce sont des citoyens ordinaires, « des gens », qui prennent une telle initiative et qui la rendent publique, après coup, peut-être même pour en susciter d’autres du même ordre. Mais n’oublions pas ce que veut dire le mot « citoyen » : le citoyen, ce n’est pas le porteur de pouvoir, c’est celui qui, habitant un pays, reconnaît l’autre comme semblable à lui, lui reconnaît les mêmes pouvoirs que les siens, et qui, avec lui, construit une société politique et un état. C’était bien cela, le caractère révolutionnaire de la Convention de 1792.

Des participants désignés par tirage au sort

Si le président organise une convention, cela devient un acte politique. Dans ces conditions, l’idée d’un tirage au sort pour désigner ses membres semble de nature à refouler cette dimension politique, à l’effacer. Un tirage au sort ôte du sens à cette convention car les personnes qui y participent n’avaient pas nécessairement l’intention d’en faire partie, n’avaient peut-être même pas d’idée sur la question et ne souhaitaient peut-être pas échanger avec d’autres. De plus, un tirage au sort sur les listes électorales, comme c’est ce qui se pratique dans ce genre d’expériences, oublie des personnes qui, elles, pourraient être questionnées sans y figurer, comme les étrangers séjournant en France. Enfin, le tirage au sort a quelque chose d’un jeu : on tire au sort pour savoir qui partira le premier, on ne tire pas au sort celle ou celui qui élaborera une politique sur le fin de vie. Mais, surtout, le recours au tirage au sort manifeste une sorte de désintérêt de la part des pouvoirs. Dans un domaine aussi grave, on a besoin de susciter la participation de personnes engagées, pas de personnes qui se trouvent là par hasard.

La figure de la « fin de vie »

Le fin de vie est devenue une figure sociale majeure, en particulier depuis que la médecine propose des soins de nature à donner à ce moment de la transition entre la vie et la mort une véritable durée, qui fait de lui un véritable moment de l’existence, le moment d’une attente – pour tous : la personne concernée et tout son entourage. Mais parler de « fin de vie » est sans doute une manière d’édulcorer le véritable mot : l’approche d la mort. La fin de vie désigne une véritable période de notre existence, mais il n’en demeure pas moins que cette période désigne une période dont le moment majeur est le dernier. Ce que l’on appelle la « fin de vie », c’est ce temps, qui peut être aujourd’hui très long, depuis que l’on dispose de techniques et d’instruments permettant d’attendre longtemps la mort, au cours duquel la personne concernée est censée attendre. Mais attend-elle vraiment ? Est-elle consciente de se trouver dans cette attente ? Assommée par les traitements et les protocoles de soins de toutes natures qui l’accompagnent, la personne en fin de vie ne se rend pas toujours compte de ce qui se passe pour elle, dans bien des cas, elle est déjà morte quand on la soumet à ces traitements, elle n’est déjà plus là. Ces soins que l’on appelle les « soins palliatifs » ne sont, bien souvent, qu’une réduction de l’angoisse de celles et de ceux qui, eux, restent là et sont en train de perdre l’une ou l’un des leurs, en se donnant la bonne conscience « d’avoir essayé ».

La mort et la politique

La politique a forcément un regard sur la mort. Comme la naissance, l’adolescence, le mariage et tous les temps de la vie, la mort fait l’objet d’un regard de la société. Donc elle est politique. Elle est politique car elle concerne le peuple, car elle fait l’objet de lois, de règlements, de normes, qui expriment le regard de la société sur ce qui nous concerne tous. D’autant plus que nous vivons un temps de guerre. La guerre en Ukraine, même si elle est loin, est venue nous rappeler que la mort est toujours là, quelque part. Ce sont aussi toutes les violences auxquelles il nous est donné d’assister qui viennent, elles aussi, nous rappeler que la mort fait partie de notre vie. C’est pourquoi le débat public doit donner une signification politique à la mort. Nous ne pouvons pas nous réfugier dans une sorte d’indifférence à l’égard de la mort en prétextant que cela ne nous regarde pas, mais nous devons, au contraire, faire face à elle. Sans doute même la citoyenneté et la dimension politique de la mort sont-elles des instruments nous aidant à affronter la mort, car elles construisent la solidarité qui nous donne la force de faire face à ce que nous attendons tous avec plus ou moins de timidité.

Une manifestation de plus du « tout-régenter » macronien

Mais nous ne parlons pas de la fin de vie en général : nous parlons d’une initiative du président. Elle manifeste, une fois de plus son projet de régner sur tout – y compris sur notre approche de la mort. Comme il se croit le souverain d’une monarchie absolue, E. Macron pense qu’il peut manifester son pouvoir dans tous les domaines – y compris dans celui de l’intimité. Il se figure que la solidarité se construit d’en haut – voire s’impose d’en haut. Comme sa politique est pleinement une politique libérale, elle n’a rien à voir avec la solidarité, car le libéralisme et la solidarité sont deux systèmes de valeurs, deux logiques, absolument étrangers l’un à l’autre. Sans ces conditions, le macronisme, cet ensemble de normes et de règles qui sont bien incapables de constituer un système politique, ne peut rien avoir à dire sur la fin de vie sinon des règles, des normes, une sorte de conformisme. C’est pourquoi il est si difficile de comprendre le but poursuivi par le président dans son intervention dans le débat sur la fin de vie – dans cette irruption forcée dans un domaine qui ne peut être le sien, sinon pour étendre un peu plus son pouvoir, pour réduire encore les espaces et les domaines de liberté qui restent au peuple dans notre pays. Car c’est cela que signifie l’initiative de la « convention » : il s’agit de fixer un ensemble de normes – au demeurant soumises au pouvoir politique – destinées à faire de la fin de la vie un domaine de plus dans lequel l’omnipotence poursuivie par le président pourrait de manifester. En s’emparant d’une place pour imposer son point de vue, le président ne cherche pas à contribuer à une réflexion commune sur ce temps qui nous concerne tous, car ce n’est pas d’une réflexion commune que nous avons besoin dans ce domaine, mais d’une écoute, d’une aide à la décision, mais il cherche, en réalité, à manifester un pouvoir. À cet égard, d’ailleurs, le « tout-régenter » macronien a quelque chose à voir avec une religion. Finissons, ainsi, ces quelques réflexions sur un questionnement des religions.

Les religions, les idéaux et la fin de vie

Une religion est politique, car elle construit des normes nous aidant à faire face aux différentes époques de la vie, mais elle le fait, elle, au nom d’un imaginaire. Le philosophe Kant, au dix-huitième siècle, désignait cet imaginaire indépendant de l’espace et du temps par un terme important : la « transcendance ». Qu’elle soit figurée par une divinité, comme dans les religions, ou par un idéal, comme dans les projets et les engagements politiques, la transcendance figure ces repères qui nous permettent de situer notre vie, de lui donner un sens – y compris, donc, de comprendre la mort. C’est de ces repères que nous avons besoin pour tenter de nous retrouver dans le labyrinthe de la mort et de la fin de vie, pas d’un tract politique ni d’un ordre du pouvoir.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.