LE CONFINEMENT
Pour empêcher la propagation éventuelle du coronavirus, le pouvoir a décidé d’instaurer un confinement, c’est-à-dire d’interdire les déplacements considérés comme non essentiels, c’est-à-dire de chercher, une fois de plus, dans la répression une façon d’agir contre une maladie.
Qu’est-ce que le confinement ?
Confiner les habitants d’un pays, c’est une mesure qui consiste à les émécher de circuler, de se déplacer, de parcourir leur ville, leur région, l’espace dans lequel ils vivent. Il s’agit, bien sûr, dans la situation qui est la nôtre en ce moment, d’éviter la propagation du coronavirus en limitant les déplacements et, ainsi, les risques que le virus ne se déplace avec les habitants du pays. Mais, à partir de cette première lecture de la mesure prise par l’exécutif en ordonnant le confinement, sans doute importe-t-il de réfléchir à ce que signifie une mesure comme celle-là, aussi bien en termes de droit qu’en termes de réflexion sur le politique. En termes de droit, c’est grave. En effet, le confinement n’est, finalement, qu’un autre terme pour désigner ce que l’on a appelé, à d’autres époques et dans d’autres pays en même temps que dans le nôtre, la relégation. Confiner quelqu’un ou le reléguer, cela signifie lui interdire de quitter l’endroit où il habite, lui interdire de se déplacer dans d’autres lieux ou dans d’autres pays que celui de sa vie quotidienne. Il s’agit, finalement, somme toute, de le mettre en prison chez lui en l’assignant à résidence. Il s’agit de faire du lieu où il habite une sorte de prison qui lui est destinée. C’est à ce moment que, comme souvent, les prescriptions et les réglementations énoncées dans le domaine de la santé publique sont proches d’interdictions, c’est dans ces conditions que la politique de la santé s’articule pleinement à une politique répressive, comme on l’a vu dans beaucoup de domaines, à commencer par l’interdit ou la réglementation de la boisson. Par le confinement lié à la prévention de la propagation du coronavirus, l’exécutif met en œuvre une politique répressive qui donne toute sa signification à la politique qu’il mène depuis que le coronavirus est arrivé en France en provenance de Chine, dans les conditions liées à la mondialisation que nous avons évoquées il y a peu de temps. La signification politique d’une mesure comme le confinement est tout simplement celle d’une politique issue d’une conception de la prévention fondée sur une approche en termes de répression et sur une conception de la maladie fondée sur une approche en termes de normalité, de norme, c’est-à-dire de loi, au lieu de l’être sur une approche en termes de solidarité. En ce sens, l’instauration du confinement nous donne les moyens de pleinement lire la politique élaborée et mise en œuvre par l’exécutif et de lui donner toute sa signification.
La liberté d’aller et venir
C’est que le confinement s’oppose à la liberté d’aller et venir qui est, sans doute, une des libertés les plus fondamentales. N’oublions pas que la prison est, depuis toujours, un des modes de répression les plus fondamentaux, justement parce qu’elle s’attaque à une liberté fondamentale, celle de se déplacer. Pourquoi le déplacement constitue-t-il une liberté fondamentale, c’est-à-dire une des libertés qui fondent, au sens propre du terme, notre citoyenneté et notre identité politique ? D’abord, parce que, de la même façon que c’est dans la découverte et la maîtrise de la marche que nous devenons pleinement des êtres humains, c’est quand la liberté d’aller et venir nous est pleinement reconnue par ceux avec qui nous vivons que nous nous voyons reconnaître le même statut de citoyenneté qu’eux, que nous devenons, comme eux, des citoyens. Par ailleurs, si nous devenons des citoyens quand nous sommes en mesure de nous déplacer, c’est parce que le déplacement constitue notre pleine maîtrise de l’espace. Or, c’est l’espace qui fonde notre propre approche de notre identité – sans doute avant le temps, dont ne nous sommes pleinement conscient que quand nous savons ce qu’est la mort. Pouvoir se déplacer, être en mesure de parcourir l’espace dans lequel nous vivons, être libre de découvrir tous les lieux de cet espace, c’est, ainsi, se reconnaître soi-même porteur de la liberté et se faire reconnaître par les autres porteurs des mêmes droits qu’eux. Enfin, la liberté d’aller venir nous permet d’aller à la rencontre des autres. Si l’espace est ce qui fonde notre identité avant même le temps, c’est parce que c’est dans l’espace que nous découvrons l’autre et qu’en nous reconnaissant symboliquement semblable à lui, nous fondons notre identité, lors de l’événement fondateur défini par J. Lacan comme le stade du miroir. Mais la rencontre des autres au cours de nos déplacements dans l’espace social dans lequel nous vivons n’est pas autre chose que ce que l’on peut appeler la dimension pleinement politique de l’expérience psychique du miroir.
Le confinement empêche la rencontre de l’autre
C’est bien ainsi que le confinement n’est pas seulement une atteinte à notre liberté, mais est aussi une atteinte à notre propre identité. En effet, en nous empêchant d’aller à la rencontre de l’autre, tout en empêchant l’autre d’aller, de la même façon, à notre rencontre, le confinement empêche l’institution et l’expression de notre identité. Nous nous trouvons ainsi devant une des premières significations profondes de la politique engagée et mise en œuvre par l’exécutif : il ne s’agit de rien de moins que d’une politique qui menace notre identité. Nous empêcher d’aller à la rencontre de l’autre, c’est nous empêcher d’exprimer et de manifester l’identité dont nous sommes porteurs, mais, fondamentalement, c’est mettre en danger cette identité même, d la même façon que le libéralisme s’est toujours attaqué aux identités politiques en engageant une approche de l’économie étrangère au politique – ou limitant le politique à la répression mise par les états au service des acteurs du marché. Si l’on réfléchit bien, empêcher la rencontre de l’autre, c’est empêcher l’institution du démos, du peuple, c’est, ainsi, empêcher la démocratie en empêchant l’institution du démos, du peuple comme acteur politique, en empêchant le démos de s’exprimer et de parvenir à diriger le pays, à exercer pleinement le pouvoir, le kratos.
Du confinement à l’enfermement
De cette manière, le confinement, en empêchant le démos de s’exprimer et de se manifester comme identité collective, empêche ceux qui font partie du démos de se reconnaître comme citoyens et, ainsi, les enferme. Il ne s’agit pas seulement d’empêcher les déplacements, mais il s’agit bien d’enfermer les habitants chez eux – ce qui est censé une manière de leur faire accepter cette politique répressive. Mais ne nous leurrons pas : c’est bien la liberté qui est l’enjeu de la politique mise en œuvre par l’exécutif et de ce qui peut la dénoncer. Nous nous trouvons ainsi devant l’expression la plus radicale de la politique de répression mise en œuvre par l’exécutif : en confinant les habitants de notre pays, l’exécutif les prive de la maîtrise de l’espace dans lequel ils vivent, et, ainsi, il les privent de la liberté qui fonde leur identité politique. C’est même de leur citoyenneté qu’il les prive, car on ne peut être pleinement citoyen que quand on peut retrouver l’autre et se réunir avec lui. C’est bien pourquoi les latins donnaient aussi à ce mot, civis, qui désignait le citoyen, le sens de notre mot « concitoyen ». Il s’agissait bien de faire reposer le sens du mot civis et de la conception de la citoyenneté qu’il exprime sur la rencontre de l’autre, désormais empêchée par le confinement. C’est bien dans ces conditions que la mesure du confinement n’est pas une simple mesure de politique quotidienne, mais met en danger ce qui fonde la démocratie – ce qui fonde le politique. En nous enfermant par le confinement, l’exécutif menace l’avenir même de la vie politique de notre pays, de la citoyenneté qui la fonde, de la culture et de l’identité dont nous sommes porteurs. C’est en ce sens qu’il s’agit d’une interpellation urgente et que nous devons faire preuve de vigilance, car nul ne sait encore de quoi demain pourra être fait, dans de telles conditions.
Signification politique du confinement
Terminons par une réflexion sur la signification du confinement, tant sur le plan politique que sur le plan de notre lien social. En nous empêchant d’aller à la rencontre de l’autre, le confinement fait porter la responsabilité de la pandémie et de son déploiement dans le monde sur la vie sociale, sur les expressions de notre sociabilité. Le confinement rend la société même responsable de la pandémie, ignorant, ainsi, la responsabilité des stratégies économiques mises en œuvre par les pouvoirs au nom de la mondialisation, qui sont, elles, venues détruire la véritable mondialité du lien social.