Le propos sur la violence et la dénonciation de ce qu’est devenue la Palestine
E. Macron donne un morceau de réponse à cette réflexion que nous avons entendue il y a peu : si nous attendons trop longtemps, il n’y aura plus rien à reconnaître. « Il reviendra aussi à l’État de Palestine », dit E. Macron, « de rendre espoir à sa population éprouvée par des années de violence, d’occupation, mais aussi de division et d’incurie ». Cela constitue une critique de la situation de la Palestine même avant les événements de 2023 et l’occupation israélienne de Gaza. Mais cette dénonciation par le président français a tendance, une fois de plus, à chercher à oublier et à faire oublier que ce qu’est devenue la Palestine d’aujourd’hui l’est devenu, au commencement, par des années d’occupation. C’est qu’au sortir de la première guerre mondiale, elle faisait partie de l’empire ottoman, vaincue par les pays que l’on a appelés alors « les Alliés ». C’est ainsi que cet empire fut dissous et, à l’exception du territoire qui est le sien de nos jours, ses différentes parties placées sous mandat français ou sous mandat britannique pour devenir le Liban et la Syrie que nous connaissons. La Palestine, quant à elle, ne s’est vue reconnaître aucune identité territoriale. Le propos d’E. Macron omet de rappeler que cette vacance ou cette faiblesse du pouvoir en Palestine tient à ces années d’occupation, par l’empire ottoman puis par la France et la Grande-Bretagne. Enfin, les mots d’E. Macron comportent une part de critique forte sur l’administration palestinienne dirigée par M. Abbas, qui a succédé à la tête de l’état à Y. Arafat qui l’avait bâti. Le propos sur les années de violence et d’occupation semble chercher ainsi à partager la responsabilité de cette insuffisance, dans la fameuse logique macronienne du « en même temps », entre les Palestiniens et les Israéliens. Surtout, dans son discours, E. Macron parle du futur état, des conditions dans lesquelles notre pays le reconnaîtra comme état, mais il ne parle pas de la nation palestinienne. Dans cette dénonciation de la Palestine contemporaine et de ses débuts, de ses errements, E. Macron n’emploie pas le mot « nation » pour illustrer le décalage immense entre le futur état et ce que fut la nation de Palestine, avec son identité, sa culture, son histoire, et les chocs de la rencontre violente entre cette histoire et le présent. En évoquant la « violence » et « l’incurie », il aurait dû, justement, évoquer la violence de ce silence de la culture et de la nation imposé au peuple palestinien par le colonisation d’Israël et la censure qu’il exerce sur elles.
Une grande absente du discours d’E. Macron : la solidarité
Alors qu’il le prononce dans une enceinte conçue pour exprimer une véritable solidarité entre des états et des nations qui, au fond, sont liés les uns aux autres, dépendent les uns des autres par des relations d’échanges mais aussi de parole, E. Macron n’a pas eu de grands mots pour la solidarité envers un peuple qui meurt. C’est ainsi qu’aujourd’hui, il n’a rien dit de l’obstacle mis par Israël à l’accomplissement de la mission de la « Flottille pour Gaza » qui n’est pas une expédition de guerre mais une action de solidarité à l’égard de ce peuple peut-être en train de disparaître. La solidarité a toujours été une puissance critique à l’égard des pouvoirs dont elle tente de réparer, justement, les manques. Le projet de la « Flottille », selon la militante suédoise G. Thurnberg engagée depuis longtemps contre la violence et contre la violence consiste à « briser le blocus de Gaza, créer un couloir humanitaire, et livrer de l’aide pour redonner un peu d’humanité à Gaza » (C. Coq-Chodorge, dans Mediapart, aujourd’hui). Israël entrave la solidarité sous le prétexte qu’elle serait un instrument pour le terrorisme, alors qu’elle ne cherche qu’à nouer des liens avec les femmes et les hommes victimes de violences pour les aider. Or, de la même manière qu’elle était absente de son discours de l’O.N.U., E. Macron n’exprime aucune solidarité devant la violence exercée contre la « Flottille » par l’armée israélienne pour l’empêcher de mettre en œuvre la solidarité. Le discours d’E. Macron à l’O.N.U. se limitait à un propos sur les politiques d’états et de pouvoirs, sans prendre de distance véritable à l’égard du fait institutionnel. En prononçant un discours ordinaire de chef d’État devant d’autres dirigeants, E. Macron n’énonçait aucune critique à l’égard de la violence des états - a fortiori des états colonisateurs.
Une autre grande absente du discours d’E. Macron : l’histoire
Dans son propos, E. Macron ne parle pas de l’histoire longue, alors que l’on ne peut pas parler du conflit palestinien ni de la guerre de Gaza sans les situer dans l’histoire longue, qui permet de comprendre comment on peut avoir le sentiment que l’occupation fait presque partie de l’identité palestinienne tant elle a été conquise et occupée par des populations venues d’ailleurs. La Palestine fut un grand pays, un État, avec son peuple, ses institutions et sa culture, mais ce qui l’a, peu à peu, détruite, ce furent les années, et même les siècles, de colonisation qu’elle a connus. Située au seuil entre l’Asie et le nord-est de l’Afrique, elle fut, en quelque sorte, fondée par les Cananéens au troisième millénaire avant Jésus-Christ, puis habitée sous l’influence des Mésopotamiens et des Égyptiens. C’est au douzième siècle avant J.-C. qu’elle fut habitée par les Philistins qui lui donnèrent son nom puis par les Hébreux venus d’Égypte. Une grande partie de l’Ancien Testament consiste dans le récit de la première guerre de Palestine : le conflit entre les Philistins et les Hébreux. On ne peut pas imaginer un projet ni un futur pour la Palestine sans les situer dans cette histoire, que l’on ne peut éviter de parler sans un discours sur la reconnaissance. On ne peut pleinement reconnaître un pays, lui donner une identité, sans évoquer son histoire, car l’existence même de l’histoire est la condition nécessaire à une nation pour exister et à un état pour être reconnu dans le monde. C’est son histoire qui donne sa signification à l’identité de ce pays. En limitant son propos à l’aspect diplomatique et institutionnel de la reconnaissance, E. Macron manque peut-être l’essentiel, ce qui ne rend pas seulement possible la reconnaissance de ce pays par les acteurs institutionnels, mais aussi par toutes et tous ceux qui y vivent et par toutes et tous ceux qui entretiennent des relations avec lui.
L’O.N.U. joue-t-elle son rôle ?
C’est à l’O.N.U. que ce discours a été prononcé. Était-ce le bon lieu pour cela ? L’O.N.U. remplit-elle sa mission dans la guerre de Gaza ? Lors de sa fondation, en 1945, l’O.N.U. se voulait l’espace public du monde. Après la violence et le silence de la guerre, les pays qui l’ont instituée voulaient en faire un lieu d’échanges, de paroles, de débats, de négociations aussi, pour éviter que ne se reproduisent des conflits comme la guerre de 1939-1945 ou comme la guerre de 1914-1919, après l’échec de ce qui fut son aïeule, la Société des Nations. Mais l’O.N.U. a été, dès le commencement, affaiblie par les revendications et les confrontations entre les grandes puissances, par la menace nucléaire qui leur a donné un pouvoir qu’aucun pays n’avait imaginé avant Hiroshima et Nagasaki, par le retard de la décolonisation et par l’élaboration de nouvelles formes de colonisation qui ont empêché les pays de bénéficier de la protection de l’organisation. En Palestine, en particulier, l’O.N.U. n’a pas pu - ou pas su - jouer le rôle qui aurait dû être le sien. Dans ces conditions, si E. Macron (comme d’autres dirigeants) a prononcé son discours dans les lieux de l’O.N.U., sans doute était-ce une façon de croire, ou de faire croire, que l’O.N.U. est encore un espace public international de débat et de parole. « La paix », dit E. Macron à la fin de son discours, « est beaucoup plus exigeante, beaucoup plus difficile que toutes les guerres ». C’est à cette exigence que devrait faire face une conception de la géopolitique qui aille au-delà du projet de l’O.N.U. et un projet pour l’organisation qui soit plus fort et plus exigeant. Mais, si, comme le dit E. Macron pour conclure, « le temps est venu », les pays sont-ils capables de penser cette géopolitique et de la construire ? Sont-ils capables de concevoir un monde libéré des conceptions hégémoniques qui conduisent à la confrontation violente entre les pays ? E. Macron semble, dans son discours, ne pas se poser la question. C’est encore un autre grand silence de son discours, et, ainsi, une de ses grandes limites.
Reconnaissance diplomatique et reconnaissance intérieure
En prenant son initiative sur le reconnaissance de la Palestine, et en prononçant son discours à l’O.N.U., E. Macron se forgeait un rôle de « star » sur la scène internationale, ce qui lui donnait un peu de répit dans l’espace public de son pays. Cela a toujours été une pratique des chefs d’États. Faute d’être reconnus par les peuples sur lesquels ils croient avoir le pouvoir, ils vont se donner un rôle sur une autre scène, celle de l’espace public international. Sans doute était-ce le but poursuivi par E. Macron, qui a cru pouvoir faire oublier, le temps d’un discours, qu’il a, par exemple, été incapable d’élaborer une politique acceptable et un gouvernement viable pour son pays, qui est le nôtre. C’est une autre grande limite du discours du président à New York : on ne construit pas un état à New York pour un pays dont la capitale est à Paris, on n’imagine pas une politique pour la France en cherchant à en imaginer une pour Gaza et pour la Palestine. Ce manque constituait une autre faiblesse du discours qu’il a tenu le 22 septembre. D’ailleurs, cela affaiblissait singulièrement la portée de sa voix, crédibilité de sa parole, la signification de ses mots.