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Billet de blog 3 février 2022

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POUR UNE PALESTINE LAÏQUE ET MULTICULTURELLE

Quand un problème politique est soulevé sans connaître de réelle avancée vers sa résolution depuis plus de soixante-dix ans, peut-être est-ce qu’il est mal posé depuis le début et sans doute faut-il en changer les termes. Il importe aujourd’hui de résoudre la question palestinienne et de sortir de cette sorte de piège géopolitique inextricable.

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Depuis quand se pose la question palestinienne contemporaine ?

Commençons par faire un peu d’histoire. C’est en 1917, vers la fin de la première guerre mondiale, que le secrétaire d’État britannique aux affaires étrangères Arthur Balfour publie sa « déclaration » devenue fameuse, selon laquelle le gouvernement britannique s’engage vers l’institution d’un « foyer national » juif en Palestine. Cette déclaration, qui va ouvrir la voie vers ce qui deviendra, en 1949, l’état d’Israël, a deux significations au moment où elle est publiée. D’une part, il s’agit d’entreprendre les négociations vers la fin de l’Empire ottoman, alors allié de l’Allemagne et de l’Autriche, et vers l’ensemble des institutions d’états qui prendront sa suite au Proche-Orient. D’autre part, il s’agit de contribuer à la reconnaissance de l’antisémitisme actif en Europe et de tenter d’assumer la responsabilité des puissances européennes à cet égard. C’est, d’ailleurs, bien pour cette raison que c’est à la fin de la deuxième guerre mondiale que sera institué l’état d’Israël, pour tenter de répondre à la culpabilité des puissances européennes dans leur aveuglement devant les crimes du nazisme.

Le problème, c’est que ces mesures seront proposées et décidés sans prendre l’avis des populations qui habitent alors en Palestine, et, en quelque sorte, elles leur feront porter le poids des incidences de cette libération de la culpabilité des pays européens. Ce sont les Palestiniens qui paieront le prix de la délégitimation de l’antisémitisme européen et qui continuent aujourd’hui à le payer. En effet, si les puissances européennes se sont orientées à partir de la « déclaration Balfour » vers la fondation de l’état d’Israël, cet état sera institué sur des territoires qui étaient alors habités par les Palestiniens, qui, eux, ne se verront pas reconnaître le droit à l’institution d’un état donnant une identité politique à leur nation. Tout s’est passé, somme toute, comme si les grandes puissances de l’époque avaient fait payer aux Palestiniens leur mauvaise conscience devant le nazisme et son antisémitisme.

C’est pourquoi à partir du moment où l’état d’Israël sera institué, les conflits se succèderont entre lui et les Palestiniens, soutenus par les pays arabes. Les guerres de 1948, de 1956 et de 1967, puis l’état de guerre qui ne cessera pas depuis 1967, vont mettre le Proche-Orient à feu et à sang, au sens propre de cette expression et vont s’inscrire, à leur manière, dans la succession des conflits liés à l’exigence de décolonisation des pays arabes, et liés, par ailleurs, aux conflits qui surgiront autour de l’énergie pétrolière et de sa place croissante dans les économies contemporaines.

C’est sur la base de ces conflits qui la question palestinienne va prendre une place constante dans la diplomatie contemporaine.

Le conflit des nationalismes

C’est, d’abord, le conflit des nationalismes qui va nourrir la violence du conflit palestinien. En effet, on peut parler de l’affrontement entre deux nationalismes. D’un côté, il s’agit du nationalisme israélien, qui se manifestera par la colonisation de la Palestine par Israël et par la revendication d’une étendue croissante pour le territoire israélien. La violence du nationalisme israélien va se trouver elle-même accentuée par le peuplement croissant d’Israël par des populations issues de tous les pays européens, notamment des pays de l’ancienne Europe de l’Est. Le nationalisme israélien va engager des conflits toujours croissants, en Israël même, entre la culture politique travailliste, qui entend être fidèle aux idéaux politiques qui ont fondé ce que l’on peut appeler la première culture politique israélienne sur des projets politiques issus de la social-démocratie, et la culture israélienne de droite, qui fut représentée par un premier ministre, B. Netanyahou, après l’avoir été par des personnages comme M. Begin, fondée sur un nationalisme expansionniste revendiquant une colonisation continue de territoires toujours plus étendue en Palestine, et dont la virulence a, sans doute, été accentuée par la venue en Israël de colons issus de cultures politiques de droite des pays d’Europe de l’Est. Mais n’oublions tout de même jamais que l’état d’Israël a été institué en 1949, pour tenter l’impossible : en finir avec les horreurs de l’idéologie nazie, mais, surtout, apaiser la mauvaise conscience des puissances qui n’avaient pas su déceler les horreurs d l’idéologie nazie ni les empêcher d’agir. Mais, en même temps, cet état a été fondé sur ce qu’il faut bien appeler la logique du ghetto. De l’autre côté, ce nationalisme israélien va s’opposer à un nationalisme palestinien de culture arabe, lui-même accentué, précisément, en exprimant une forme de réponse à l’expansionnisme sioniste. De la même manière que le sionisme s’est fondé sur la montée d’un extrémisme religieux violent, le radicalisme musulman a nourri une culture politique fondamentaliste dans les espaces politiques palestiniens.

On peut, d’ailleurs, observer, une fois de plus, que, comme dans tous les autres champs dans lesquels il s’exprime, dans le conflit palestinien, le conflit des nationalismes est lié à la fois à une accentuation des idéologies conservatrices de droite et à une tendance à des discriminations et à des rejets de l’autre. C’est ainsi que, dans des problématiques d’antagonismes et de réponses aux discriminations, le conflit palestinien a nourri aussi bien le conservatisme religieux sioniste que le conservatisme islamiste. En ce sens, ce qu’est devenu, aujourd’hui, le conflit palestinien s’inscrit en rupture avec les cultures politiques d’orientation travaillistes ou socialistes qui étaient liées à la naissance de l’état d’Israël et à la montée des cultures indépendantistes qui ont fondé des nationalismes arabes comme celui de Nasser en Egypte, sur des exigences anticolonialistes.

Le conflit palestinien : une histoire en même temps ancienne et contemporaine

C’est déjà dans la Bible qu’apparaît une mention du conflit palestinien : il s’agit du conflit entre le peuple juif et ceux que l’on appelle, en français, les « Philistins ». Cela signifie qu’au-delà des formes qu’il revêt aujourd’hui, ce conflit est, en quelque sorte, enraciné dans l’identité et dans la culture des deux peuples, un peu comme tout mythe fait partie de la culture d’une nation. C’est ce qui rend ce conflit si difficile à résoudre – si tant est que les peuples impliqués aient réellement le projet de le résoudre. En ce sens, la seule issue qui pourrait permettre d’y mettre fin serait une forme de sublimation politique et institutionnelle, par l’institution d’un état fondé sur le partage d’un idéal politique commun à plusieurs peuples, échappant aux autorités et aux logiques religieuses, dans la construction d’un état véritablement laïc.

De nos jours, le conflit palestinien a changé de signification, devant la montée des nationalismes et des radicalismes religieux. En effet, au sionisme expansionniste d’Israël qui multiplie les colonisations répond le radicalisme islamiste de mouvements comme le Hamas, le conflit venant s’inscrire, aujourd’hui, à l’échelle géopolitique planétaire, dans les expressions de la confrontation entre les grandes puissances, notamment les États-Unis, dont le président démocrate nouvellement élu continue de soutenir Israël dans la colonisation des pays palestiniens et dans son refus de permettre que la Cour pénale internationale mette en œuvre une enquête sur d’éventuels méfaits de l’armée israélienne (voir Le Monde du 5 mars dernier). À cet égard, un article de C. Ayad et L. Imbert montrait récemment comment l’extrême droite israélienne avait changé le sionisme de signification : à un engagement opposé à la religion et orienté vers un projet socialiste des débuts, a succédé, sous la pression de la droite, un sionisme devenu expansionniste, autoritaire et ségrégationniste, marqué notamment par le rejet du communisme. C. Ayad et L. Imbert citent ainsi, en particulier, un rabbin s’exprimant à propos des colons israéliens de la Palestine : « La crainte de la gauche israélienne et des Palestiniens les a faits basculer depuis vingt ans à 95 % à droite ».

Qu’en est-il du projet d’état palestinien aujourd’hui ?

Mais, si l’exigence nationaliste a pu nourrir un discours de gauche au sein du mouvement palestinien comme elle a pu le faire dans les premiers mouvements travaillistes en Israël, sans doute est-il temps, aujourd’hui, d’en finir avec cette orientation nationaliste fondée sur une forme de repli sur soi et d’ignorance ou de méconnaissance de l’autre. Par ailleurs, une autre raison pour laquelle il est temps pour le discours de gauche d’en finir avec les discours nationalistes est qu’il importe de retrouver ce qui fonde les identités de gauche : la laïcité et l’indépendance à l’égard des discours religieux, le rejet des orientations religieuses fondamentalistes.

C’est le sens de la construction d’une orientation politique en rupture avec celles qui l’ont précédée dans l’histoire contemporaine : la recherche d’un état laïc que l’on peut considérer comme un état multiculturel, car il serait fondé sur la construction d’institutions partagées entre des citoyens de culture juive, des citoyens de culture arabe et d’autres citoyens, eux-mêmes porteurs d’autres identités. Comme l’écrit A. Frachon, dans Le Monde du 25 septembre dernier, il importe que la culture politique palestinienne entre dans « une nouvelle ère », fondée, notamment, comme l’écrit le rapport annuel 2021 de l’Institut Français des Relations Internationales (I.F.R.I .), cité par A. Frachon. Il est temps, pour la question palestinienne de « dépasser l’idée d’un État-nation ». Ce qu’il est temps d’imaginer, c’est un état palestinien qui ne repose plus sur le choc des nationalismes et des discriminations, mais qui, au contraire, se fonde sur le projet d’un état multiculturel fondé sur une identité nationale laïque. Jamais, sans doute, la différence entre état et nation n’aura eu autant de sens que dans le cas de la Palestine. Une fois de plus, soyons attentifs aux mots. Tandis que le mot nation est issu de la même étymologie que naître (une nation est pays où vivent des habitants issus de la même naissance), le mot état est issu, lui de la même étymologie que le mot institution. Un état, c’est une identité fondée sur un projet politique.

Le projet palestinien, aujourd’hui, doit se libérer de l’emprise des idéologies nationalistes fondées sur la naissance et sur la discrimination, pour se tourner vers la construction d’un état nouveau, fondé, lui, sur l’ouverture à l’autre, sur la reconnaissance des mêmes droits, mais aussi des mêmes devoirs, pour tous ceux qui habitent dans ce pays et qui sont citoyens de cet état, quelle que soit leur origine et quelle que soit leur naissance. Un tel état réunirait dans la même identité politique israéliens et palestiniens, des citoyens de culture juive, des citoyens de culture arabe et des citoyens porteurs d’une culture qui ne serait ni l’une ni l’autre, qui serait une autre culture. Ce nouvel état réunirait dans le même projet national ce qui est aujourd’hui l’état d’Israël et ce qui n’est pas encore l’état palestinien. C’est à la fois la seule façon d’en finir avec les guerres et la seule issue économique et politique pour la Palestine. 

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