« L’aide active à mourir »
On a parfois l’impression que l’exécutif ne connaît qu’une chose en politique : la mort. E. Macron semble ne consacrer toute l’énergie de sa fonction à proposer des lois sur la mort. On dirait que c’est le seul projet de son quinquennat, qu’après toutes les politiques réactionnaires qu’il a menées, il n’a pas d’idée politique en-dehors de la mort. Même pompeusement rebaptisée par le néologisme « fin de vie », pour éviter la violence du mot « mort », une loi sur ce sujet n’est jamais pas autre chose qu’une loi sur la mort. Il s’agit, dit-on, d’éviter ce qui constitue encore une infraction au Code pénal. Le droit pénal français continue à ne pas reconnaître la légalité de l’euthanasie, en l’interdisant au même titre que l’assistance au suicide. Nous voilà plongés, une fois de plus, dans la « république de l’ hypocrisie » à laquelle l’exécutif est tellement habitué. Ce projet (mais peut-on parler de « projet » à propos d’une telle idée ?) constitue une sorte d’aboutissement de la politique de la violence qui semble dominer le débat public et la vie politique de nos jours. Il s’agit de donner un cadre juridique à l’acte de tuer. En se parant d’une hypocrite intention d’atténuer les souffrances de la fin de vie, d’aider les malades à ne plus souffrir, un projet de loi sur « l’aide active à mourir » consiste à les priver de leurs dernières volontés de se battre, de faire face à leur maladie. Ce projet consiste à les priver du désir qu’ils pourraient avoir encore. Car ne nous trompons pas : une fois qu’un tel projet de loi sera lancé (si toutefois, bien sûr, il l’est), nous serons soumis à un tel matraquage idéologique, à un tel battage médiatique, que l’idée finira par s’imposer dans l’espace public, par devenir, idéologiquement, une norme à laquelle il faudra bien se soumettre. Un projet de loi sur l’aide à mourir, par ailleurs, est dirigé contre les soignants, médecins, infirmières et infirmiers, personnels de santé, qui, d’ailleurs, ne s’y trompent pas, car ils ont déjà fait connaître leur opposition. C’est une façon de leur dire qu’ils ne servent à rien, une manière de leur refuser toute légitimité, d’ignorer leur existence même, de considérer les hôpitaux comme des équipements inutiles, trop coûteux, d’ailleurs, et capables de transgresser les normes du capitalisme. Car il ne faut pas s’y tromper : une fois de plus, derrière les apparences de la modernité et de l’ouverture d’esprit contre les lois en vigueur, c’est bien du libéralisme qu’il s’agit. En se parant des artifices de la libération des normes et des lois, l’idée d’une « aide active à mourir » vise à développer des entreprises libérales qui vont se multiplier, proposant des « services de la mort ». Je vois d’ici les publicités dans les journaux, les affiches ou les publicités télévisées : « Choisissez bien votre mort », « Pour une mort plus douce, choisissez la marque X ou Y, facilités de paiement ».
Pourquoi le droit continue-t-il à interdire l’euthanasie ou l’assistance au suicide ?
Au lieu de chercher à transgresser cet interdit par tous les moyens, peut-être l’exécutif ferait-il bien de s’interroger sur les raisons pour lesquelles la loi proscrit l’assistance au suicide - à supposer, bien sûr, qu’il en soit capable. Si le droit interdit encore (pour combien de temps ?) L’euthanasie ou l’aide au suicide, c’est justement parce que la loi a toujours proscrit le meurtre : « Tu ne tueras point » est le premier des dix commandements du « Décalogue », fondement majeur de la loi du monothéisme. Mais pourquoi ? Il n’est pas interdit de marcher sur la tête, parce que cela nous est impossible. En revanche, s’il est interdit de tuer, c’est que le désir de tuer l’autre ou le désir de sa propre mort font partie des désirs aigus, acérés, puissants, dont nous sommes porteurs et qui contribuent à façonner notre personnalité. Il est interdit d’encourager au suicide parce qu’il serait si facile à l’autre de se laisser prendre par un tel désir, surtout s’il est orchestré par des publicitaires doués. Mais si la loi interdit de tuer l’autre, c’est en vertu de la vieille histoire du miroir qui fonde notre personnalité, notre existence même, qui lui donne du sens. Permettre « l’aide active à mourir », cette sorte de meurtre par procuration, ce serait accepter de mettre fin à notre identité même. Le suicide ou le meurtre est interdit car, en tuant l’autre ou en nous tuant nous-mêmes, nous dénions notre personnalité et, ainsi, nous dénions aussi celle de l’autre. Au-delà, c’est la société toute entière qui pourrait, ainsi, faire l’objet d’un tel déni, c’est l’existence même de la société à laquelle nous appartenons qui se trouve menacée. Il a toujours existé des meurtres légitimés, comme la guerre, ou, jusque’en 1981 en France, la peine de mort. Mais, en permettant à l’autre de faciliter, voire d’encourager, notre suicide, c’est le meurtre de soi que la loi légitimerait. La loi interdit l’assistance au suicide, tout simplement parce qu’elle a été, au contraire, instituée pour que la société assure la vie à toutes et à tous.
La monarchie et la république
Mais ce n’est pas tout. À ce débat sur la politique de la mort s’ajoute un autre débat - portant, lui, sur la nature de notre régime politique. En évoquant l’idée d’une loi sur la fin de vie, « Le Monde » du 27 juillet dernier écrit : « Ce 20 avril, à l’Elysée, Brigitte Macron reçoit à déjeuner. Parmi les convives, Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), a pris place à la table ». Mais au nom de quoi est-ce l’épouse du président qui reçoit à l’Elysée et qui engage des discussions autour d’un futur projet de loi ? À côté du débat sur la signification d’un projet de loi sur « l’aide active à mourir » et sur ses implications institutionnelles, mais aussi sociales et culturelles, une telle information soulève un autre débat, sur une sorte de mutation insidieuse du régime politique sous lequel nous vivons. Nous étions habitués à des tendances, à des discours, à des postures monarchiques du président de la République. Mais il me semble que, même sous d’autres présidences, une telle façon d’agir ne s’était pas manifestée. Maintenant, nous y sommes. Quand le président est pris par d’autres occupations, c’est sa femme qui fait le travail à se place. D’abord, merci pour les personnes invitées à un tel échange : cela en dit long sur l’estime que le président leur porte, puisque ce n’est même pas lui qui les reçoit et qui échange avec elles. Ensuite, et même surtout, c’est grave, car il n’y a que dans les monarchies (et encore) que la souveraine se voit reconnaître un rôle politique. C’est déjà tout juste si E. Macron a été élu président en 2022, à la faveur de la menace que représentait l’élection de Marine Le Pen, mais nous n’avons jamais élu Brigitte Macron, nous ne lui avons donné aucun mandat, ce n’est pas elle qui nous représente, alors qu’en démo-cratie, c’est le dèmos, le peuple, qui a le kratos, le pouvoir. Cette substitution de la femme du président au président est une atteinte de plus au régime politique démocratique qui est le nôtre, elle représente une tendance à la monarchie qui devient habituelle dans la gouvernance d’E. Macron. Mais, surtout, une telle dérive est dangereuse, car elle pourrait n’être que le commencement d’une évolution qui risquerait de s’imposer à nous. Nous sommes presque habitués à l’histoire du laitier, à l’histoire du coup de sonnette matinal qui n’est justement pas celui du laitier. Mais nous devons surtout ne pas nous y laisser prendre, nous devons rester vigilants, parce qu’une fois que l’habitude serait prise, il serait trop tard pour nous en libérer, pour échapper à la violence du pouvoir monarchique et de la perte de liberté. C’est ainsi que les modalités de l’échange sur la fin de vie qui mettent au premier plan celle qui se prend pour une reine et le projet de loi en gestation lui-même se retrouvent dans la même signification : celle du fantasme présidentiel de la toute-puissance.