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Billet de blog 3 octobre 2024

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QUELLE « POLITIQUE GÉNÉRALE » ?

Mardi, le 1er octobre, le nouveau premier ministre a présenté à l’Assemblée nationale la déclaration de politique générale de son gouvernement. C’est un moment important de la vie du gouvernement, une déclaration inaugurale, qu’il dirige. Plutôt que de la citer en entier, j’ai préféré en retenir quelques points importants pour les examiner et les interpréter.

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Qu’est-ce qu’une « déclaration de politique générale » ?

La « déclaration de politique générale » présentée par le premier ministre au moment où il prend ses fonctions est une sorte de manifeste dans lequel il expose pour les députés les points importants de la politique qu’il entend mener. Ce discours est destiné à faire comprendre les choix du gouvernement, les objectifs qu’il se donne, les méthodes qu’il compte employer. En même temps, cette déclaration permet de comprendre l’identité politique du gouvernement, les orientations qu’il revendique. Dans le cas du gouvernement de M. Barnier, compte tenu des tensions et des contradictions qui se sont déjà manifestées parmi ses ministres, mais aussi entre lui et les ministres, il s’agit aussi de préciser ses choix pour la politique qu’il va engager. Un dialogue peut s’instaurer entre le gouvernement et les députés pour que l’exécutif n’ait pas le sentiment de disposer d’un pouvoir absolu, mais, en même temps, pour que les députés comprennent clairement dans quelle direction le gouvernement nous emmène. Les premiers débats ont lieu, ce qui permet, par ailleurs, aux députés de se situer clairement par rapport aux choix politiques du gouvernement. La déclaration de politique générale de M. Barnier peut, selon ses propres mots, se résumer ainsi : « Faire beaucoup avec peu ». On est en pleine fiction imaginaire.

Le compromis

Curieusement, M. Barnier explique que « le compromis n’est pas un gros mot ». Mais, en même temps, dans son discours, il parle de répression, de police, d’une politique dite de sécurité. Cela tend à expliquer que le compromis n’est concevable, à ses yeux, qu’avec l’extrême droite. Sans doute est-ce le sens de sa référence constante au « dialogue », au « respect », à la « confiance ». Au-delà, si le compromis n’est pas, dit-il, un « gros mot », cela peut se comprendre de trois façons. D’abord, il s’agit, comme les mots l’indiquent, de recourir à une politique de négociations, d’accords entre les acteurs politiques : une politique de compromis, c’est une politique pilotée à vue, se situant, au fil des choix et des projets, dans des négociations avec les partis. Une telle politique n’est pas une politique de long terme, il s’agit d’une politique au jour le jour, sans prévision d’ensemble. Mais on peut aussi comprendre ce mot comme une indication sur un refus de consentir aux revendications des acteurs politiques, notamment dans le domaine du travail. Sans doute le compromis n’est-il pas un « gros mot » à condition qu’il soit soumis aux conditions imposées par le pouvoir. Enfin, M. Barnier sait bien qu’il ne dispose pas de la majorité à l’Assemblée et qu’il est donc bien obligé d’envisager des « compromis » avec les autres partis que le sien. Au fond, il s’agit de faire de faire reposer le pouvoir exécutif sur des petites négociations entre les partis ou entre les pouvoirs. La politique devient, comme toute la vie sociale, dominée par la logique du marché.

L’obsession de la droite pour la sécurité

La grande figure de la sécurité mise en avant par le premier ministre est la visibilité de la police dans l’espace public. Il faut, dit-il, que les forces de l’ordre « soient plus visibles et présentes sur la voie publique ». Autrement dit, comme toujours dans les discours de la droite, la question de la sécurité se réduit à de la surveillance. C’est, d’ailleurs, sous cet angle que le discours de M. Barnier présente la place qu’il donne à la justice. Dans le discours du premier ministre, la justice est, finalement, soumise à la police. Les mots sur la sécurité ne sont que des mots portant sur l’ordre (« l’ordre, l’ordre, l’ordre » disait le ministre de l’intérieur). Comme toujours à droite, la sécurité ne concerne pas le fait de vivre sans risque dans la société, de pouvoir ne pas y être menacé, y compris socialement, mais seulement la répression : la question de la sécurité ne vient dans le discours des pouvoirs que pour légitimer l’usage de la force, que Max Weber appelait, venant de l’État, la « violence légitime », et non pour penser la sécurité sociale, la sécurité de l’emploi ou la sécurité environnementale. Ces domaines-là de la sécurité n’intéressent pas le pouvoir - et c’est, d’ailleurs, pourquoi la question de la politique écologique ou de la politique de l’environnement n’a pas été abordée, ou si peu, dans ce discours.

Une politique du travail

La question du travail est reconnue par le premier ministre comme une question importante, mais moins dans sa dimension sociale que dans sa dimension productive. C’est d’ailleurs pourquoi il présente la politique de l’agriculture sous l’angle de la surveillance, une fois de plus (une alimentation « traçable », dit-il, ce qui permet de la contrôler), et sous celui de la production, sans évoquer réellement le problème des conditions de travail des agriculteurs ni celui de leurs rémunérations. M. Barnier s’est engagé à mettre en œuvre une politique de revalorisation du SMIC, mais aussi des négociations visant à faire disparaître les inégalités et les salaires inférieurs au SMIC dans certaines professions. Le retour à l’emploi, pour celles et ceux qui l’ont perdu ou ne parviennent pas à en trouver, se fera « grâce à l’action de France Travail, qui accompagnera désormais », dit le premier ministre, « tous les allocataires du R.S.A. ». France Travail les « accompagnera » ou les surveillera ?

La question de la « santé mentale »

Le fait que la « santé mentale », pour reprendre le nom qu’il lui donne, soit devenue, pour le premier ministre, une « grande cause nationale de l’année 2025 » peut se comprendre de deux manières. D’abord, elle est conçue - ce n’est pas une surprise venant d’un tel gouvernement - seulement sous l’angle des « troubles du neuro-développement et du comportement cognitif ». Cela signifie, au fond, qu’il ne s’agit, une fois de plus, pas de comprendre les significations de la maladie mentale en termes psychiques ou en termes sociaux, mais de chercher à remettre les personnes dans le droit chemin de la cognition et du développement. C’est leur comportement qui est étudié et non ce qui permettrait de comprendre leur malaise. Ensuite, il s’agit, au fond, ne nous trompons pas, de faire de la « santé mentale » une occasion de plus de surveiller les habitantes et les habitants de notre pays. Il ne s’agit pas de leur permettre de retrouver des idées, du désir, des sentiments qu’ils ont pu perdre, mais, en surveillant leurs « troubles », de les remettre dans le droit du chemin, de faire d’eux, de nouveau, des personnes soumises à l’ordre psychique qui leur est imposé. En un sens, il n’est pas inutile, pour bien comprendre les mots du premier ministre sur la « santé mentale » de les rapprocher de son discours sur la sécurité.

La politique de l’environnement et celles du logement

La politique du logement est présentée par le premier ministre sous deux angles : la construction et l’accession à la propriété. Cela veut bien dire que, pour le gouvernement, la question de l’amélioration du cadre de vie et celle de l’urbanisme des quartiers populaires ne l’intéressent pas, pas plus que la question de la politique de la ville. Nous sommes bien devant une politique de droite qui, comme toutes les politiques fondées sur le libéralisme, ne considère la ville que comme un marché au lieu de la considérer comme un espace dans lequel des gens vivent. Concevoir l’espace dans lequel les gens vivent, ce serait aussi chercher à penser l’écologie. À cet égard, il est significatif que M. Barnier parle de la « dette écologique » : il pense l’écologie en termes de dette, de remboursement, mais non en termes de qualité de vie. Quant à la « transition écologique », elle est associée, dans la déclaration de politique générale, au diagnostic de performance énergétique : l’écologie est réduite à l’économie de l’énergie.

La politique de l’éducation

Ce que le premier ministre dit sur l’éducation est, d’abord, qu’il s’agit d’une « priorité ». À force d’énumérer des priorités, peut-être faudra-t-il les hiérarchiser, imaginer des priorités plus prioritaires que d’autres. Curieusement, la question de l’éducation, est abordée juste après celle de l’alimentation, ce qui contribue à donner au discours du premier ministre l’aspect d’un catalogue. La politique de l’éducation est présentée du point de vue des enseignants absents, pour lesquels le premier ministre propose d’aller chercher des dépanneuses parmi les retraités. Cela permettrait, bien sûr, de faire des économies de salaires, mais rien ne dit que les enseignants retraités en question constituent réellement, comme il le dit, un « vivier habituellement enclin à se réinvestir ». On est frappé, comme dans bien d’autres domaines, par l’acuité et la profondeur de la connaissance manifestée par le premier ministre des personnes et des métiers dont il parle. Mais, pour aller plus loin, aucune orientation n’a été présentée pour la « priorité » : c’est une priorité sans orientation et sans but.

Une laïcité de droite : une laïcité intolérante

La conception de la laïcité que présente le discours de M. Barnier est, ce n’est pas une surprise, une politique de répression. Il ne propose pas de véritable définition de la laïcité, mais il ne l’envisage que sous l’angle de la répression, par exemple quand il explique qu’il n’y aura « aucune tolérance ». La laïcité n’est pas pensée par le premier ministre comme un domaine d’expression des identités religieuses ni comme un domaine dans lequel se pose la question des relations de l’État avec les religions, mais il s’agit seulement, pour le premier ministre, de répression : l’exécutif n’aura « aucune tolérance », cela signifie que, dans ce domaine comme dans les autres, la question est de manifester un pouvoir et non celle de la recherche d’un dialogue entre les cultures. C’est, d’ailleurs, pourquoi la conception de la laïcité que se fait le premier ministre n’est pas définie, comme s’il n’y avait qu’une seule approche possible de la laïcité.

La politique extérieure

Dans sa déclaration de politique générale, la politique extérieure, qui y tient peu de place, est mentionnée au sujet de la poursuite de la colonisation de Kanaky, ce qui, en soi, constitue une véritable régression, de la question de l’immigration (« maîtriser les flux », « contrôler nos frontières » : on est toujours dans la figure de la surveillance), mais le premier ministre évoque son attachement et celui de son gouvernement à une Palestine de deux états, et évoque la question du « statut de la France en Europe », autrement, une fois de plus, en pensant la diplomatie en termes de performance. Cela explique que la politique extérieure de notre pays soit avant tout, dans le discours du premier ministre associée à la défense.

Une déclaration close sur elle-même

La déclaration du premier ministre ne témoigne d’aucune intention de dialoguer, de parler, de s’ouvrir à d’autres conceptions de la politique que la sienne : c’est la déclaration d’un pouvoir enfermé sur lui-même. Une « déclaration » devrait être destinée à rendre « clairs » les projets de l’exécutif, mais, pour qu’ils soient « clairs », encore faudrait-il qu’ils existent, mais le pouvoir exécutif n’a pas d’autre projet que celui de durer, de surveiller, de suivre des priorités - encore un terme emprunté au code de la route, un outil de contrôle de la circulation. Cette déclaration de politique générale est celle d’un pouvoir fermé sur lui-même, qui ne cite explicitement aucun des autres acteurs de l’exécutif (ni le président, ni aucun des ministres ne sont mentionnés) et qui ne se réfère explicitement à aucune réalité : en-dehors, peut-être, de domaines de la politique extérieure qui prend si peu de place dans son propos - sauf pour mentionner sa propre expérience à la tête de la diplomatie, la déclaration est bien une « déclaration de politique générale », vague, imprécise. L’État, ainsi, est bien cantonné à des généralités : en-dehors de la police, il ne doit pas être trop visible dans la vie de notre pays, comme le veut le libéralisme macronien. Mais on se rend compte, ainsi, que le libéralisme est une maladie sociale et politique qui consiste dans une folie. On comprend mieux que la maladie mentale soit une priorité : c’est dans cette folie que l’exécutif a l’intention de nous mener. C’est bien le rôle de cette « déclaration » : elle éclaire parce qu’elle est un symptôme de cette folie. Les nombreuses interruptions de députées et de députés pendant que le premier ministre la lisait à la tribune de l’Assemblée étaient des actes de résistance à la folie.

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