Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

363 Billets

1 Éditions

Billet de blog 4 janvier 2024

Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

REPENSER LE CONFLIT PALESTINIEN (1)

Dans deux articles, je vais tenter de mieux comprendre le conflit palestinien et ce que représente la guerre de Gaza dans le cadre plus large de ce conflit.

Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Israël n’est pas autre chose qu’un ghetto

Deux défauts étaient inhérents à l’institution de l’état d’Israël, et les états du monde n’ont pas voulu les voir. Le premier, c’est qu’il y avait déjà du monde, en Palestine. La Palestine n’était pas un désert, mais elle était habitée - par des Palestiniens. En instituant l’état d’Israël, ce qu’il est de bon ton de nommer « la communauté internationale », alors qu’il ne s’agit pas d’une communauté, mais d’un ensemble d’états qui n’ont pas grand-chose en commun, a confisqué leur terre et leur pays aux habitants de la nation palestinienne qui vivaient là. L’institution de l’état d’Israël était censé mettre fin à la mauvaise conscience des pays du monde après la politique hitlérienne d’extermination antisémite, mais, au fond, il ne s’agissait ni d’un véritable projet politique, ni d’un projet fondé sur une demande des peuples concernés. Le second défaut de l’institution de l’état israélien est que les puissances du monde ont, ainsi, fondé un ghetto. Alors que le principe même du ghetto était condamné depuis longtemps, en raison de la discrimination qui est à son origine, on a légitimé le principe du ghetto en en instituant un nouveau en Palestine. Finalement, on a, en quelque sorte, enfermé de nouveau les juifs dans un état. Sans doute même peut-on aller plus loin : c’est le principe même de ce ghetto qui est à l’origine de la violence et des guerres qui ne cessent pas en Palestine. En effet, un ghetto est la manifestation politique d’une forclusion car celles et ceux qui vivent dans un ghetto sont forclos : ils sont enfermés dehors, à l’extérieur du monde. Mais la forclusion, est le nom, Verwerfung, donné par Freud à la psychose. La ghettoïsation des juifs en Palestine est, depuis le début, la manifestation d’une sorte de folie du monde.

Ne pas confondre Israël et l’identité juive

Une des erreurs courantes de l’analyse du conflit de Gaza et, d’une manière plus générale, du conflit palestinien, est de confondre l’état d’Israël et le judaïsme. On peut être juif et ne pas être partisan de la politique menée par l’état d’Israël, et, de la même manière, on peut critiquer l’état d’Israël sans être antisémite. Cette erreur est à l’origine d’une sorte de censure : on n’aurait pas le droit de critiquer la politique menée par Israël, on n’aurait pas le droit de dénoncer la politique du gouvernement de droite dirigé par M. Netanyahou, car ce serait faire preuve d’antisémitisme. Depuis le début, cette censure empêche la tenue d’un véritable débat, libre et rationnel, sur la guerre de Gaza, de même qu’elle a empêché, depuis le début, que se tienne un véritable débat, libre et sans censure, sur la colonisation israélienne de la Palestine et sur les mouvements de la résistance palestinienne. On peut, d’ailleurs, remarquer que cette censure est plus impérative aujourd’hui qu’elle ne le fut lors des débats qui ont tenté de s’instaurer au sujet des autres conflits palestiniens. Ce serait intéressant de savoir pourquoi. Sans doute s’agit-il d’une forme de mutation des termes du débat public et, surtout, des acteurs politiques qui y interviennent. Peut-être aussi peut-il s’agir d’une mutation des identités de celles et de ceux qui vivent en Israël, de l’issue contemporaine des politiques de colonisation menées par Israël en Palestine et qui poursuivent, à notre époque, l’expropriation des palestiniens des terres qui sont les leurs - comme lors de l’institution d’Israël.

La fausse « solution » des deux états

Il est vrai qu’il y a quelque chose de séduisant dans le projet des « deux états » qui rendrait leur terre aux palestiniens en préservant l’état d’Israël. Toutefois, une telle « solution » n’en est pas une, pour plusieurs raisons. En effet, elle susciterait plusieurs problèmes qu’il serait impossible de résoudre. Le premier de ces problèmes, c’est que la naissance de ces deux états ne ferait que retarder la naissance de violences et de guerres. En effet, les deux états qui seraient, ainsi, voisins en Palestine ne chercheraient vraisemblablement, comme aujourd’hui, qu’à s’étendre l’un au détriment l’un de l’autre. Le voisinage de deux états ne serait qu’une façon de susciter l’expansionnisme de l’un comme de l’autre, comme on peut le constater à notre époque dans la politique expansionniste d’Israël. Ces deux états supporteraient-il le voisinage l’un de l’autre ? Accepteraient-ils l’institution même de ces deux états ? Dans le temps long à venir, leurs héritiers seraient-ils porteurs d’une culture de paix ? C’est que ce serait une manière d’instituer deux ghettos au lieu d’un. À long terme, cela ne résoudrait en aucun cas la question de la guerre, car ces deux états pourraient très bien poursuivre des guerres d’extension territoriale l’un à l’égard de l’autre. Seul un état résolument laïque permettrait aux deux cultures, juive et palestinienne, de cohabiter dans un seul pays. Le second problème, surtout, c’est que cette fausse solution confond, une fois de plus, identité nationale et identité ethnique, de la même manière qu’en 1948, les états du monde avaient légitimé l’institution d’un ghetto. Alors que les états arabes du Proche-Orient sont condamnés pour leur antisémitisme, on les enfermerait, une fois de plus, dans un état musulman de Palestine, de la même façon qu’on enfermerait les juifs dans un état fondé sur une identité religieuse. 

L’état et la laïcité

C’est qu’une fois de plus, nous nous rendons compte que, seule, la laïcité peut fonder une identité politique.  Comme en France en 1905, il faut séparer l’Église et l’État. Je ne comprends, d’ailleurs, pas pourquoi, en France, celles et ceux qui reconnaissent depuis cette date l’impératif politique majeur de la séparation de l’Église et de l’État ne le reconnaissent pas dans le débat sur la Palestine. Pour dépasser le conflit palestinien, pour en finir avec ces guerres et avec ces morts, il faut imaginer un état qui transcende l’identité juive d’Israël et l’identité musulmane d’un état palestinien en les réunissant dans un seul état de Palestine, résolument laïc. Nous nous rendons compte, à la fois en raison de la politique annexionniste de l’état d’Israël et en raison de la folie terroriste de mouvements islamistes comme le Hamas, que confondre l’identité politique d’un pays avec une identité religieuse ne peut que conduire à la discrimination, à la violence et à la guerre. Tous les mouvements politiques fondés sur des identités religieuses ou sur des projets confondant les identités politiques et les appartenances religieuses conduisent à la violence, car ils se fondent sur le refus de reconnaître la légitimité politique de l’autre : l’autre n’est plus seulement un autre politique, mais un autre croyant. Le projet politique de séparation de l’Église et de l’État fut, en France, en 1905, une avancée politique majeure, car elle a libéré le politique des impératifs religieux et du pouvoir des églises. C’est, d’ailleurs, pourquoi la participation du président E. Macron à une célébration religieuse juive a été vivement condamnée par les acteurs politiques de notre pays. Finalement, la laïcité est une protection de l’État contre la violence, raison pour laquelle l’impératif politique de la laïcité fut institué dans notre pays, à un moment de notre histoire où l’Église catholique exerçait une forte pression sur les institutions politiques. C’est bien pour libérer le pays de cette emprise qu’en 1589, un roi due culture protestante, Henri IV, qui avait dit devenir catholique pour parvenir à l’unité du pays, a proclamé l’édit de Nantes instaurant la liberté religieuse en France. Tandis que les pouvoirs politiques imposent leur autorité à toutes celles et à tous ceux qui habitent un pays, les pouvoirs religieux ne peuvent imposer leur autorité qu’à celles et à ceux qui partagent leurs croyances. C’est pourquoi il faut qu’il puisse y avoir des juifs, des musulmans, des chrétiens et des sans religion en Palestine comme dans tous les pays du monde.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.