Le 1er Mai est le jour d’une représentation, ritualisée sous la forme d’une fête, des l’identité politique de celles et de ceux qui travaillent. En ce sens il s’agit d’un événement politique car cette représentation est aussi celle de l’affrontement des travailleurs et de ceux qui les exploitent : elle est une protestation contre l’hégémonie des entreprises et du monde du capital dans une société libérale. Cette année, le 1er mai tombait juste après le débat parlementaire sur la réforme des retraites et sur son adoption forcée, mais il se situait aussi dans un moment où la. conception macronienne du pouvoir est de plus en plus contestée. Au sortir du coup de force de la réforme des retraites et juste avant les moments de sa contestation, le 1er mai de cette année était un temps dans lequel la protestation prenait un visage, celui des manifestants, et une voix, celle de leur parole. C’était un peu plus qu’une fête du travail, c’était bien une fête de la protestation.
La contestation de la réforme des retraites mais aussi bien davantage
Comme cela a été souvent dit, notamment dans les lignes de Mediapart, si le projet de réforme des retraites a suscité une protestation considérable dans l’espace public, cette protestation ne se réduit pas à l’opposition à ce projet : elle manifeste bien davantage : une opposition à la politique de l’exécutif et une dénonciation de la pratique macronienne de l’exercice du pouvoir. La colère exprimée par le peuple français ce 1er mai 2023 visait sur tous les domaines de la politique de l’exécutif. Après un premier quinquennat et un peu plus d’un an du deuxième, la manifestation du 1er mai tirait une sorte de conclusion de ces années de pouvoir et établissait un premier bilan. Dans les slogans prononcés et dans les mots énoncés, on entendait surtout des remises en question du pouvoir d’E. Macron et de son gouvernement. C’est aussi pourquoi on voyait beaucoup de jeunes dans les cortèges et les défilés, dans les rassemblements et dans les tribunes populaires de l’espace public. Et puis c’est à toute la violence du pouvoir et des forces de son ordre que les manifestants entendaient répondre en se rassemblant, lundi, dans la rue. La fête du travail était aussi celle des militants victimes de la violence des forces de la police, celle des habitants de Mayotte se voyant imposer une réforme dont ils ne veulent pas et une exploitation à laquelle ils entendent mettre fin, celle, aussi, de toutes les victimes des règlements indignes imposés par les pouvoirs du commerce, du logement, de la banque et de l’éducation.
Le rassemblement du peuple dans la dénonciation de la politique de l’exécutif
Faute de débat démocratique, il a bien fallu, cette année que l’espace public soit le lieu dans lequel la contestation de la politique du pouvoir puisse s’exprimer. Le peuple s’est retrouvé dans les manifestations, ce sont les défilés et les mots des manifestants et de leurs porte-voix qui ont lui ont donné les expressions de son identité politique. Finalement, une fois de plus, au lieu de dominer le peuple et de le faire taire, l’hégémonie des pouvoirs et la censure des puissants n’ont fait qu’accroître la force du peuple et sa détermination à agir et à s’exprimer. Après tant de mois d’incertitudes, notamment en raison des hésitations de la gauche et en raison des emprises de la pandémie et des stratégies déployées par l’État contre elles, le peuple a retrouvé la parole, et il a dit, plus clairement encore qu’auparavant, qu’il ne voulait plus de ce pouvoir et de ces dirigeants. Le peuple s’est rassemblé, ce 1er mai, dans le rejet et la dénonciation d’une politique dont il ne veut plus. Le peuple s’est retrouvé dans une même force et dans une unité enfin rassemblée pour dire « non ». Dans la rue, ce 1er mai, le peuple s’est uni pour manifester son rejet global de la politique menée par le pouvoir. Plus, sans doute, que sous d’autres présidences, le peuple s’est retrouvé, ce 1er mai pour contester un pouvoir qui, désormais, semble n’être accepté et reconnu par personne.
Les manifestations sont le langage du peuple
C’est que les manifestations ne sont pas seulement des défilés, il n’e s’agit pas seulement de parcourir les rues pour manifester son exaspération et son indignation : les manifestations sont le langage du peuple, elles sont le langage dans lequel il s’exprime, la voix qui porte sa parole et qui énonce ses revendications. Les manifestations sont le langage que retrouve le peuple, la tribune qui lui est refusée par les médias autorisés et par les institutions de l’information et de la communication imposant une légitimité illusoire, qui ne repose que sur le violence de leur force. C’est dans les paroles des manifestations, en particulier par celles du 1er mai, que le peuple dit ce qu’il a à dire. Par les manifestations qu’il organise, le peuple impose son temps et son espace à ceux qui le gouvernent. Cette journée-là, les rôles sont inversés, car c’est le peuple qui a le pouvoir sur la rue. C’est pourquoi il est si important que l’espace public puisse pleinement exprimer la parole populaire, cette fameuse vox populi, cette voix du peuple qui dit ses mots et qui fait entendre sa colère. Le 1er mai, dans toutes les villes de notre pays, mais aussi dans les autres pays, le peuple retrouve le langage dont les pouvoirs cherchent à le priver.
Le 1er mai, la ville appartient à la rue
C’est que le 1er mai est une fête un peu à part. Il ne s’agit pas d’une fête classique, exprimant les identités religieuses ou celles des institutions : c’est la rue qui parle, le 1er mai. Cela se voit et cela s’entend. Cela se voit, d’abord, parce que, ce jour-là, la rue est pleine de monde, elle est noire de manifestants de tous âges, de femmes et d’hommes, d’enfants et de bébés, de chiens même, de manifestants de toutes les conditions sociales, de tous les métiers, de toutes sortes d’opinions politiques. C’est cela, la rue : c’est un espace dans lequel tout le monde se retrouve pour marcher d’un même pas, pour chanter et pour parler d’une même voix. C’est pourquoi la rue est bien le lieu de l’espace public, un espace dans lequel il n’y a pas de discriminations, un espace dans lequel on ne voit que les foules de manifestants, que les couleurs des drapeaux, que les mots des banderoles et dans lequel on n’entend qu’une seule voix : celle du peuple qui retrouve, enfin, la sienne. Le 1er mai, la rue n’est à personne car elle est à tous, et, surtout, elle est au peuple qui se rassemble pour prendre, à son tour, le pouvoir et l’espace public dont il est exclu les autres jours de l’année.
Une fête de la liberté
Car le 1er mai, le jour de la Fête du Travail, est aussi une fête de la liberté. Ce n’est pas seulement le travail qui se célèbre ce jour-là dans la manifestation de ses acteurs, c’est aussi la liberté qui s’exprime contre le pouvoir. Le 1er mai, nous retrouvons une liberté perdue, une liberté qui est volée par les acteurs des pouvoirs. C’est pour cela qu’il y a bien quelque chose d’une fête dans ces manifestations du 1er mai : ce ne sont pas seulement des débats et des protestations qui retrouvent des voix et des paroles, mais, le 1er mai, celles et ceux qui travaillent font aussi la fête. C’est pour cela que la musique et les chants sont si importants dans les défilés. La rue est aussi un espace de jeu et de fête, un espace d’où sont exclus le travail et les peines qu’il provoque, un, espace dans lequel, par la liberté qu’elle retrouve, la rue redevient l’acteur qui gouverne. Ce ne sont plus les puissants qui imposent leur loi, ce sont celles et ceux qui travaillent qui imposent leur temps et leur liberté