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Billet de blog 4 septembre 2025

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QU’EST-CE QU’ENSEIGNER ?

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La médiation didactique et la pédagogie

Enseigner consiste, avant tout, à établir une relation à l’élève. Ce n’est qu’une fois cette relation instaurée que peut se mettre en œuvre la transmission des savoirs. Cette relation, que je propose de désigner par l’expression « médiation didactique » consiste dans une relation particulière à l’autre qui se manifeste dans une communication. L’enseignant suscite, de la part de son élève, ce que, dans d’autres métiers, on appelle un transfert, c’est-à-dire la manifestation d’un désir. Il ne s’agit pas tant d’un désir de la personne de l’autre que d’une expression du désir d’enseigner ou d’apprendre illustrée par la relation. Cette relation et ce désir rendent possible la mise en œuvre de la médiation didactique et de la pédagogie. Mais le propre de l’enseignement, c’est que, comme toute médiation, il s’articule à un objet, qui est le savoir. La médiation didactique consiste ainsi dans une relation entre deux personnes, l’enseignant et l’élève, et cette relation se matérialise dans la parole qui transmet le savoir. Cela implique que l’élève reconnaît à l’enseignant le savoir dont il le croit porteur et que l’enseignant reconnaît à l’élève le désir d’apprendre qui fonde leur relation du point de vue de l’élève.

L’enseignement et le désir

C’est ainsi qu’enseigner implique un désir. Cela manifeste la particularité de l’enseignement qui le distingue d’autres métiers. Il n’est pas question, comme on l’a longtemps cru ou fait croire, de « vocation », ou alors, la vocation est un nom donné par la société au désir. L’enseignant a le désir de la relation à l’élève qui s’inscrit dans le désir de transmettre. C’est pourquoi la parole est si importante dans l’enseignement. C’est, d’ailleurs - soit dit en passant - pourquoi il est aberrant de penser que l’enseignement pourrait constituer dans une fonction sans véritable relation. L’enseignant instaure une relation à l’élève qui donne à ce dernier une place dans l’ensemble de ses désirs et de ses relations. Le fait que la médiation didactique repose sur un désir implique toujours une double relation : de l’enseignant à l’ensemble de celles et de ceux à qui il enseigne, et une relation à chacun ou chacune d’entre eux. Mais l’enseignant est aussi celui qui suscite chez ses élèves l’envie, le désir, d’apprendre : il est le moi idéal conforme à son idéal du moi, l’importance du savoir, de son expression et de sa transmission. Le désir est aussi celui qu’éprouve l’élève, qui s’inscrit dans une relation à l’enseignant qui est de l’ordre de ce qu’est le transfert dans la relation psychanalytique. C’est pourquoi on peut parler du désir didactique, de la même manière que de la médiation didactique. La relation d’enseignement consiste dans l’articulation de ces deux désirs, celui de l’enseignant et celui de l’élève.

La place de l’enseignement dans la société

Comme c’est le cas de tous les métiers, les enseignants ont une place dans la société. Mais les particularités de l’enseignement, y compris ses particularités psychiques, lui donnent quelques caractéristiques qui permettent de mieux comprendre cette place. D’abord, c’est la parole qui manifeste la mise en œuvre de la relation didactique - aussi bien la parole de l’enseignant articulée à l’écoute de son élève, que, quoiqu’on a souvent tendance à l’oublier, la parole de l’élève à la fois en réponse à celle de l’enseignant et à l’origine d’une parole didactique qu’elle peut susciter par ses questions, par ses remarques, par ses contestations. C’est pourquoi la médiation didactique est toujours fondée sur de l’échange de mots. Par ailleurs, la place de l’enseignant est celle d’un transfert de savoir, mais aussi, en même temps, de construction, d’élaboration du savoir qu’elle transmet. Cela permet de mieux comprendre l’articulation constante entre enseignement et connaissance, à la fois dans la formation des enseignants et leur préparation à ce métier et dans la place qui leur est donnée dans la société. Mais cette importance du savoir permet de comprendre une erreur souvent commise par la société en valorisant davantage les universitaires, notamment en termes de rémunération, alors que, quand nous arrivons, le vrai travail a été fait, par l’école, le collège, le lycée. Ce sont les enseignants de l’école, du collège et du lycée qui rendent possible la transmission des savoirs. Cette place de l’enseignement dans la société est aussi celle d’une préparation à la formation de la culture sociale. C’est l’enseignement qui rend possibles l’élaboration et la mise en œuvre des politiques culturelles, et, au-delà, qui permet la construction des identités sociales et leur conscience par celles et ceux qui en sont porteurs. L’enseignement est ainsi bien plus qu’une transmission d’informations comme on a trop souvent tendance à le croire : il fonde la relation sur laquelle s’établit la médiation culturelle, c’est-à-dire la relation sur laquelle repose l’identité d’une société. Enfin, en rendant possibles la transmission de la culture et la conscience de l’appartenance sociale, l’enseignement rend possible la résistance aux multiples formes de l’hégémonie culturelle. C’est sur l’enseignement que repose la liberté permettant d’échapper à l’emprise des pouvoirs.

Les lieux de l’enseignement

Il existe, dans l’espace social, des lieux consacrés à l’enseignement. Une telle géographie de l’enseignement manifeste la place reconnue à ce métier dans la vie sociale. La distinction entre les lieux de transmission - écoles, collèges, lycées, universités - manifeste, dans l’espace, une distinction entre les âges et entre les modalités de la transmission. C’est ce que viennent signifier l’architecture des lieux de l’enseignement et leur conception. C’est ainsi que les écoles, les collèges et les lycées sont aménagés autour des lieux de la transmission et de la parole didactique, les salles de classe, tandis que la « cour » ne se limite pas à son rôle d’espace de « récréation », de loisir, dans le temps scolaire, mais constitue le lieu d’apprentissage et de formation des élèves à la conscience de l’appartenance et aux échanges qui nourriront, plus tard, les échanges de communication fondateurs de la vie sociale. En revanche, les universités n’ont pas de « cour de récréation », car elles ont moins à apprendre l’engagement dans la vie sociale à des étudiants déjà devenus adultes. En revanche, ce qui caractérise davantage les lieux de l’enseignement comme les lycées et les universités, c’est qu’il peut s’agir, souvent, de lieux d’engagement, de militantisme, voire, dans certains pays et à certaines époques, de lieux de résistance et de contestation. C’est pourquoi l’architecture et l’aménagement des lieux de l’enseignement sont importants car ils contribuent à la formation de la conscience politique et sociale de celles et ceux à qui ils sont destinés et qui les habitent tout au long de leur expérience. Sans doute aussi est-il important de donner du sens à l’emplacement des lieux d’enseignement dans l’espace public. Si les écoles et les collèges ont été répartis de façon sensiblement égale dans tout le pays, ce sont les lycées et plus encore les universités qui sont très inégalement distribués dans l’espace social, cette inégalité contribuant à la préparation des futures inégalités sociales et culturelles, en particulier dans la différence entre les espaces urbains et les espaces ruraux, entre les grandes villes et les villes dites moyennes ou les banlieues, et, dans les villes, entre les quartiers. Pour comprendre la géographie culturelle du pays, il importe de bien comprendre, auparavant, la géographie scolaire et universitaire. La géographie des lieux de l’enseignement prépare, dès le commencement, le temps long de la formation des identités culturelles.

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