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Billet de blog 4 décembre 2025

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COMME UNE LETTRE À LA POSTE

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Qu’est-ce que la Poste ?

La poste est un service public qui assure la distribution du courrier dans un pays. Il s’agit, ainsi, à la fois de ce qui assure un lien social entre les habitants de ce pays et d’un lien politique et administratif qui contribue à l’unification de l’État et à la régulation - ira-t-on jusqu’à parler du contrôle ? - des habitants et des relations qu’ils ont entre eux. Le lien social noué et entretenu par la distribution de la correspondance que les habitantes et les habitants d’un pays se destinent les uns aux autres est en train de connaître une mutation de plusieurs ordres. D’abord, nous nous trouvons devant une diminution de la place de l’écrit dans un pays. Qu’il s’agisse de la presse écrite ou des lettres, l’écrit perd de son importance, à la fois en raison der l’accroissement du rôle de l’audiovisuel dans l’information et en raison de la mutation des pratiques sociales de la vie quotidienne liée à l’importance croissante de la place du numérique qui, en quelque sorte, modifie le geste et le support de l’écriture : on forme moins de signes sur le papier car on frappe sur des touches et des claviers, on lit moins sur des feuilles de papier, livres, lettres, ou même journaux, mais on regarde davantage sur des écrans. C’est pourquoi le rôle qui avait toujours été celui de la Poste a changé. Le support des correspondances a changé, laissant de moins en moins de place à l’écriture sur du papier et de plus en plus à l’écriture sur les écrans et le rôle qui avait toujours été le sien dans le domaine des activités financières, a pris de plus en plus d’importance, au point que, dans notre pays, la Poste est en train de changer de nom : après s’être appelée simplement la Poste, puis Postes, Télégraphes, Téléphones, puis Postes et Télécommunications, la Poste commence à s’appeler « Banque postale ». Pour la Poste, il ne s’agit pas seulement d’un changement de nom, mais du constat de l’évolution de ses fonctions.

La Poste, les services publics, l’État

La Poste fait partie des services publics qui, chacun à sa manière, contribuent à la mise en œuvre des fonctions de l’État. Il ne s’agit pas seulement, pour la Poste, d’envoyer et de recevoir des lettres et des colis, mais, au-delà, c’est tout un maillage du territoire d’un pays qui est structuré par les services publics. La Poste, en particulier, plus peut-être que les autres services publics, a un rôle essentiel dans la construction du territoire d’un pays. Il s’agit d’un maillage, car, en plus de l’unification du territoire par la distribution du courrier, c’est une véritable toile qui unifie le pays en contribuant à lui donner une identité - de la même manière que l’unification de la langue. La Poste est un réseau qui, en même temps que celui des routes puis des chemins de fer, unifie le pays à la fois en le parcourant par le transport du courrier et en installant ses bureaux dans toute la surface du territoire. Mais c’est sur ce point qu’il faut être attentif à ce qui est en train de se jouer dans tous les pays - dans le nôtre en particulier : les bureaux de poste disparaissent, la Poste perd ses emplois et, ainsi, le réseau cesse, peu à peu, de jouer son rôle de maillage de l’espace social de notre pays. La diminution de l’importance du rôle de la Poste et la réduction de sa place s’accompagnent dans l’aggravation de la diminution de l’importance de l’État.

La menace du libéralisme

C’est que, comme tous les services publics, après le vol d’une partie du réseau des TGV par une entreprise italienne, la Poste est menacée par le libéralisme : l’entreprise Bouygues, par exemple, s’est emparée d’une partie des services de la Poste en se voyant reconnaître, par l’État, justement, un rôle majeur dans la distribution des instruments de connexion produits au nom de la Poste. C’est un symptôme de l’affaiblissement du rôle des services publics dans la vie sociale de notre pays et de l’aggravation de la menace du libéralisme. Ce qui contribue à l’unification des pays, en France mais aussi ailleurs, comme les réseaux d’énergie, les réseaux d’eau, les réseaux routiers et autoroutiers, les réseaux de transports en commun, et, à présent, le réseau de la Poste, tout cela est désormais livré au marché. Il s’agit d’une régression politique considérable, car les pays s’étaient peu à peu construits en organisant les services publics et en faisant de leurs usages les marques de la citoyenneté, et la privatisation des services publics ainsi livrés au marché constitue une régression sociale et politique pour deux raisons. D’abord, il s’agit d’une séparation entre la citoyenneté et la contribution des services publics à l’unification d’un pays. Au-delà, c’est la citoyenneté même qui est menacée par la croissance de cette importance du rôle du marché dans la vie sociale : la Poste fait du courrier une activité de consommation au lieu qu’il demeure une activité contribuant au lien social. Par ailleurs, cette évolution est une régression car les populations perdent le pouvoir sur ce qui devrait leur appartenir : les instruments de l’unification et de l’intégration sociale qui instituent leurs pays. En organisant l’invasion des pays par le marché, le libéralisme organise la disparition des lois et des instruments de l’égalité entre celles et ceux qui vivent dans un pays. 

Le facteur

Comme tous les ans, il est venu nous voir, avant-hier. Le facteur nous a proposé le calendrier des Postes. C’est une tradition, qui marque à la fois la pérennité du service public de la Poste et l’attachement des gens à « leur » facteur. Ce personnage est important car il fait partie de celles et de ceux qui manifestent le lien social entre l’État et la population, mais aussi, en même temps, entre toutes celles et tous ceux qui vivent dans le pays. Quand on consulte le calendrier, on sait que tous les autres font la même chose. Mais il s’agit aussi de manifester la pérennité de cet instrument du lien au-delà des transformations de l’expression du temps, les agendas sur papier, les agendas électroniques, les matériels de bureaux toujours plus anonymes et plus dépersonnalisés les uns que les autres. Sans doute aussi exprimons-nous dans le calendrier des Postes un attachement à une période de notre vie, celle de l’enfance non encore confrontée aux aléas de la vie sociale. Au-delà du calendrier, c’est le personnage du facteur qui est à questionner. Nous portons envers l’agent de ce qui est encore le service public une sorte de transfert affectif, à la fois à l’égard de ce qui est encore un signe de l’autorité et de la protection de l’État et à l’égard de ce personnage que nous rencontrons tous les jours et qui fait partie de notre paysage social ordinaire. Le facteur n’est pas seulement celui qui distribue les lettres, il est un personnage majeur de notre communication sociale. D’ailleurs, à une certaine époque, l’administration trouvait que ce mot, « facteur », était trop populaire, pas assez technocratique. Il avait été tenté d’imposer l’usage d’une nouvelle dénomination : « préposé à la distribution ». Ce projet avait rencontré un rejet massif, à la dimension, justement, du transfert affectif sur le personnage du facteur, et il avait été vite remisé au placard des mots inutiles de l’administration bureaucratique et technocratique. L’importance du facteur est à la mesure de celle de la Poste : celle d’une médiation entre l’expérience singulière de la vie sociale et son expérience collective.

Significations de la Poste

Mais, au-delà de ces remarques et de ces observations, interrogeons-nous sur la signification de la Poste, de ses usages et de son rôle dans un pays. C’est que la Poste est un service public d’un genre un peu particulier : comme la langue, elle contribue à l’unification d’un pays par les mots, en organisant la diffusion des mots dans ce pays, en contribuant à la diffusion de l’écrit. On peut relever ici, en particulier, quatre significations de la Poste. La première est son rôle dans l’écriture. En raison, justement, de ce rôle dans l’écriture, on peut rapprocher l’évolution de la Poste et celle de la langue dans un pays : la langue énonce les mots et la Poste les diffuse en les distribuant dans tous les lieux d’un pays. La Poste donne aux mots la surface d’un territoire en leur permettant de l’habiter pleinement. La deuxième signification de la Poste est le renforcement des liens entre celles et ceux qui vivent dans un pays. Il ne s’agit pas seulement de distribuer du courrier, mais, au-delà, il s’agit de contribuer au lien entre l’écrit et l’appartenance sociale. En termes politiques, la Poste fait du courrier un des modes d’expression de la citoyenneté. Envoyer et recevoir des lettres ne consiste pas seulement à nouer et à entretenir, grâce aux mots qu’on écrit et qu’on lit, des relations avec les autres, mais il s’agit aussi d’exprimer le partage avec eux d’une appartenance à une culture, à un pays, à une vie sociale. La Poste a une troisième signification sur ce plan : celle de la conservation du rôle de l’écriture et de la lecture. L’invasion d’un pays par l’importance de l’audiovisuel dans les relations sociales s’accompagne d’une disparition de la dimension active des échanges sociaux : devant les écrans, qu’il s’agisse des écrans de l’audiovisuel ou de ceux du numérique, on est passif, on reçoit les informations sans pouvoir se les approprier pleinement, parce qu’on est réduit à la place d’un spectateur : au lieu de lire et d’écrire, nous nous contentons de voir. Nous ne jouons aucun rôle, tout se passe comme si nous subissions l’écriture ou les images, qui s’imposent à nous sans qu’il s’agisse d’un échange. La Poste contribue, au contraire, à nous donner l’occasion d’écrire ou de lire, et, ainsi, de jouer un rôle actif dans l’échange et dans la distribution de l’information. Il s’agit de mots que nous concevons, que nous écrivons, que nous lisons, que nous envoyons, et tous ces gestes contribuent à faire de nous les acteurs de l’écriture et de la lecture. Enfin, pour cette raison, la Poste inscrit le lien social dans une conception active du lien social. Le lien social ne nous est pas imposé sans que nous ne puissions rien y apporter, sans que nous ayons la possibilité d’agir sur lui. En pratiquant la Poste, nous contribuons à notre place à entretenir le lien social et à pérenniser l’appartenance. La Poste joue, ainsi, un rôle dans l’expression et dans la construction de l’identité dont nous sommes porteurs. Ainsi, les menaces sur la Poste, qui risque d’être privatisée et livrée au marché et à la recherche de profit des entreprises, ne sont pas seulement graves pour la vie sociale d’un pays, elles le sont aussi pour l’identité partagée de ce pays, et pour son existence même.

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