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Billet de blog 5 mai 2022

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PENSER LE SECOND TOUR DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE (2)

La semaine dernière, nous avons entrepris de proposer des interprétations permettant de mieux comprendre le second tour de l’élection présidentielle et ses résultats. Nous nous proposons de terminer ce questionnement aujourd’hui

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Nouvelles figures de la politique

L’élection présidentielle de cette année a mis en scène à la fois de nouvelles personnalités, de nouveaux mouvements et de nouvelles identités politiques, et de nouveaux thèmes. Au-delà du décalage que nous avons évoqué, la semaine dernière, entre les élus et les discours politiques et les attentes ou les préoccupations de l’électorat, c’est-à-dire, en dernière analyse, du peuple français, il est important de penser ces nouvelles figures.

D’abord, il s’agit de la question climatique. Ce que l’on peut appeler la « climatologie politique », comme il existe une économie politique, n’a eu qu’une place finalement restreinte dans le débat électoral. Cela tient au fait que la droite libérale n’a jamais vraiment travaillé ces questions, car cela remettrait fortement en cause les logiques classiques, traditionnelles, de l’économie politique et des pouvoirs. Mais la droite autoritaire et populiste a encore moins de projet à formuler sur ces thèmes. Quant à la gauche, il s’agit d’un des points de division majeurs entre les différents partis ou les différents mouvements qui la composent. Pour pleinement comprendre, aujourd’hui, cette climatologie politique dont nous suggérons d’entreprendre la formulation, trois thèmes, en particulier, doivent être abordés, qui amènent à une recomposition fondamentale du discours politique. Le premier est le lien entre climat et énergie, et, ainsi, entre climatologie politique et politique de l’énergie. Nous savons désormais que nous ne pouvons pas séparer l’un de l’autre et les acteurs politiques qui contestent le conservatisme de la politique de l’énergie le font, précisément, en raison de ses incidences sur l’évolution du climat. Le second thème à envisager est la façon dont la climatologie politique engage une recomposition des politiques de l’espace, notamment dans le domaine de l’urbanisme et de l’aménagement urbain et dans le domaine des politiques d’aménagement du territoire, notamment des politiques d’implantation de nouvelles activités. Enfin, un troisième thème important à envisager est l’élaboration et la mise en œuvre d’une véritable dynamique d’information, de communication et de sensibilisation des habitantes et des habitants de notre pays aux impératifs de vie liés à ce que l’on peut appeler la contrainte climatique. Ce qui importe est de faire mesurer aux populations l’importance et l’urgence de la contrainte climatique qui doit devenir l’une des contraintes majeures de la médiation politique.

Par ailleurs, il s’agit des nouvelles formes et des nouvelles logiques du travail et de l’emploi. La législation sur le travail et les obligations institutionnelles liées à la politique du travail ont changé. D’abord, les emplois ont changé, sans, apparemment, que les pouvoirs aient pleinement pris la mesure de ces changements. La précarité est devenue plus forte, les mutations entre les emplois plus fréquentes, les exigences en termes de formation et de qualification ne sont plus les mêmes. Or, les pouvoirs publics, en particulier le président de la République, ont la responsabilité de faire en sorte que ces mutations, nécessaires, se fassent dans porter préjudice aux personnes qui occupent ces emplois. Je prendrai deux exemples pour illustrer mon propos. Le premier est la question de l’emploi : il faut en finir avec l’idée selon laquelle l’emploi est presque un cadeau que les entreprises font aux travailleuses et aux travailleurs. Ce n’est pas parce qu’elles font le choix de la précarisation des emplois que le fait d’en proposer est un cadeau fait à celles et à ceux qui les occupent. Le rôle du président de la République devrait, précisément, être d’organiser et de diriger l’arbitrage entre les entreprises et les travailleurs et travailleurs, pour faire en sorte que le travail ne soit pas une aliénation, mais l’expression d’une identité sociale, celle de l’entreprise, celle du métier, et celle de celle ou de celui qui travaille. L’autre exemple que je choisirai est celui de la retraite. Le débat, qui n’en finit pas, autour de l’âge de la retraite, ne devrait pas être mené autour des seules questions du coût de la retraite pour les entreprises, mais aussi tenir compte de la pénibilité des métiers, des contraintes liées aux déplacements et des incidences sur les salariées et les salariés de la vie des entreprises, notamment de leur évolution financière. C’est aussi le rôle d’arbitrage du président de la République de veiller à la prise en considération de l’ensemble des points de vue dans le débat sur les retraites et de ne pas le limiter au souci de l’enrichissement des entreprises.

Une troisième figure nouvelle de la politique est l’approfondissement de la mondialisation. Représentant notre pays dans ce que l’on peut appeler l’espace public international, le président de la République a, dans ses fonctions, celle de faire en sorte que la place de notre pays dans une sphère publique désormais mondialisée garantisse à celles et à ceux qui y vivent n’aient pas à souffrir de cette mondialisation et n’aient pas à la considérer comme une contrainte de plus. Il doit élaborer une politique de l’État dans cet espace public mondialisé de nature à assurer que les citoyennes et les citoyens qui l’ont élu soient amenés à considérer la mondialisation comme une ouverture à l’autre et non comme une aliénation.

Un nouveau président

Le président de la République n’est plus le même qu’il y a même cinq ans, en ce que son activité a changé. Certes, la Constitution n’a pas changé et, ainsi, le rôle institutionnel du président est le même que quand E. Macron a été élu la première fois. Il ne s’agit pas de cela, mais c’est ce que l’on peut appeler l’identité du président qui a changé – ou qui devrait changer.

D’abord, l’écart s’est accru entre son image et la réalité de son pouvoir. Le président reste une sorte de monarque, et, à cet égard, si on le compare à d’autres présidents de notre pays, E. Macron semble s’être plu à jouer ce rôle de monarque dont il a, sans doute, aggravé l’importance. Mais cela, c’est de l’imaginaire, car nous sommes encore en république. En revanche, la réalité des pouvoirs du président, elle, ne cesse pas de diminuer. À la fois parce que la France est dans l’union européenne et, ainsi, parce que les pouvoirs des institutions européennes réduisent de plus en plus ceux de notre président, et parce que dans cette sphère publique mondialisée, les décisions économiques et politiques échappent de plus en plus à notre pays, le président français voit son importance diminuer sans cesse, ce qui fait que le feuilleton de l’élection présidentielle et l’importance qu’elle revêt dans la vie politique de notre pays ont des enjeux bien plus importants que ne l’est la réalité des pouvoirs du président.

Par ailleurs, c’est la place du président dans la vie des institutions de notre pays qui n’est plus la même que celle qu’elle fut. On peut citer deux images de cet affaiblissement du rôle du président. Le premier est sa soumission, en réalité, aux autres acteurs de l’espace politique. C’est ainsi que, pour exercer son pouvoir, E. Macron doit bien, à un certain moment, se soumettre aux partis et aux personnages politiques qui le soutiennent et partager son pouvoir avec eux. Cela aurait, d’ailleurs, été le cas, pour J.-L. Mélenchon s’il avait été élu. Cela fait partie des différences qui demeurent entre le président et un monarque. L’autre illustration que nous pouvons donner est l’incertitude du mouvement qui le soutient et de la politique qu’il mène : ce que l’on appelle le « macronisme » est lui-même plein de vide et d’incertitude. Personne n’est en mesure de définir cette articulation imprécise entre le libéralisme qui l’oriente et la politique sécuritaire qui le caractérise. En ce sens, ce second tour n’a donné la victoire à E. Macron que par défaut, sans que de véritables orientations viennent définir avec précision les politiques qui caractérisent sa présidence. Comme le premier mandat d’E. Macron n’a pas permis de définir ces politiques, sans doute est-ce là que réside la véritable inquiétude que l’on peut avoir à l’ouverture de ce second mandat.

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