Le budget
Comme beaucoup de mots français, l’origine du mot « budget » est française. Il désignait une « bouge », puis une « bougette » : c’était une petite sacoche accrochée à la ceinture, qui était un porte-monnaie, « bougeant » avec celui ou celle qui la détenait. Le mot a été emprunté à la langue française au Moyen Âge par les anglais pour désigner le budget, un sac dans lequel le chancelier de l’Échiquier (nom anglais du ministre des finances) rangeait les comptes qu’il soumettait à l’approbation du Parlement. Le mot « budget » est ensuite revenu en France au XVIIIème siècle, à l’époque de la toute-puissance britannique et de l’influence de la politique anglaise sur les institutions d’autres pays comme la France, pour prendre sa signification contemporaine. C’est ainsi qu’il importe de noter que le budget désigne les projets de dépenses proposés par l’exécutif au Parlement pour faire l’objet d’un débat démocratique au cours d’un dialogue, d’un échange, ou plutôt d’une confrontation, entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. C’est en raison de ce rôle du Parlement que le budget fait l’objet d’une loi appelée « loi de finances ».
Le débat budgétaire
Le budget est proposé par le gouvernement et débattu au Parlement, tous les ans, à la même époque. C’est ce débat qui donne au budget sa dimension pleinement démocratique, sauf, bien sûr, s’il fait l’objet de la mise en œuvre du fameux article 49-3 de la Constitution qui permet au gouvernement d’engager sa responsabilité sur le vote d’une loi, afin d’empêcher un véritable débat : en effet, dans ce cas, si aucune motion de censure n’est adoptée, le projet est adopté sans vote. Toutefois, nous n’en sommes pas encore là, et le projet de budget est l’occasion d’un débat au cours duquel les intentions de l’exécutif, ses projets, ses modes d’action, sont discutés par les députés et par les sénateurs. Toutefois, le gouvernement a déjà fait connaître son intention de mettre fin au débat avant qu’il n’ait vraiment lieu, en utilisant l’article 49-3. Drôle de conception d’un budget démocratique…En effet, au-delà de l’adoption de la loi de finances, le débat budgétaire est l’occasion pour l’exécutif de mettre en évidence ses orientations politiques telles qu’elles peuvent se traduire en projets de dépenses pour l’année à venir. Il ne s’agit pas seulement d’un débat comptable ou d’un débat de gestion, mais il s’agit bien d’un débat de politique générale.
Les limites européennes du budget
L’appartenance de la France à l’Union européenne entraîne des limites à ce que l’on peut appeler l’indépendance budgétaire. En effet, la politique économique de l’Union impose des contraintes à l’ensemble des pays membres, comme la limite maximale du déficit. Bientôt, sans doute, d’autres limites seront imposées, comme la nécessité pour les états membres de mettre en œuvre une politique, de faire des choix, conformes à la politique économique commune de l’Union. Le budget fait partie des éléments essentiels au sujet desquels il importe que les pays membres disposent d’une autonomie - c’est-à-dire d’une liberté - réelle, qui, seule, peut vraiment permettre que les voix des habitantes et des habitants de l’Europe soient entendues lors de l’élaboration des budgets des états membres. C’est un des points sur lesquels il importe de faire preuve de vigilance à l’égard des institutions de l’Union et de ses pouvoirs.
Le budget et l’inflation
Si le budget est bien obligé, tous les ans, de tenir compte de la hausse des prix, cette année, en particulier, l’inflation a atteint des dimensions particulièrement élevées. On pourrait, ici, appliquer les trois concepts majeurs élaborés par Lacan dans le domaine de la psychanalyse, mais qui, en réalité, peuvent permettre de comprendre toutes nos activités symboliques, toutes nos expériences de rationalisation, le réel, le symbolique et l’imaginaire. Le réel, c’est ce à quoi se heurte le budget, ce qui ne dépend pas de lui, mais qui, au contraire, désigne la situation économique générale dans lequel nous nous trouvons, et qui s’impose à nos prévisions de dépenses. L’imaginaire, c’est, en l’occurrence, le projet. L’imaginaire désigne les intentions - j’allais écrire les envies - du pouvoir, la façon dont il prévoit la conduite de sas politique dans l’année qui vient. Le symbolique, c’est, justement, le débat, ce sont les mots et les nombres, par lesquels s’expriment les projets de l’exécutif et les approbations ou les refus dont ils font l’objet de la part des parlementaires. La dimension symbolique du budget vient nous rappeler que le politique repose toujours sur de la parole. Cette année plus que d’autres, en raison de la guerre en Ukraine qui vient bouleverser nos logiques d’échanges, en raison de la fragilité d’un exécutif qui se lance dans des projets que l’on ne peut adopter, en particulier en raison de sa méconnaissance du débat et du politique de manière générale, le libéralisme a laissé l’inflation et, ainsi, le réel des prix, croître de façon excessive, mais dont il fait bien tenir compte. L’inflation donne au réel un poids particulier dans le budget et dans le débat budgétaire.
La politique fiscale
Bien sûr, pour que l’État puisse mettre en œuvre les chantiers qui sont attendus de lui, encore faut-il qu’il ait des ressources. Ce sont les impôts qui lui permettent de recueillir auprès des habitantes et des habitants d’un pays leur contribution aux dépenses publiques, parce qu’ils sont des contribuables. La politique budgétaire d’un pays est ainsi liée à sa politique fiscale, c’est-à-dire aux logiques du recueil de l’imposition qui viendra alimenter les caisses du budget. La politique fiscale est l’une des politiques qui distinguent le mieux les orientations politiques d’un exécutif, le plus clairement. D’abord, pour qu’une politique fiscale soit juste et légitime, il importe que l’impôt soit réellement fondé sur le revenu des contribuables. Plus on gagne d’argent, plus est élevée la contribution que l’on doit à l’Etat. Mais, dans le même temps, toutes sortes d’artifices permettent aux riches d’échapper à l’impôt, et, surtout, de nombreux exécutifs cherchent à faire échapper les riches à l’impôt par toutes sortes de stratagèmes législatifs rendant légitimes les modalités de cette sorte de fuite. Par ailleurs, ce sont en général les riches qui mettent en œuvre les formes diverses d’évasion fiscale qui leur permettent d’échapper à l’impôt, et, selon les orientations politiques des exécutifs concernés, celles et ceux qui se rendent coupables d’évasion fiscale vont être plus ou moins activement recherchés et, ensuite, plus ou moins sévèrement réprimés et sommés de rendre ce qu’ils doivent à l’État. Enfin, les politiques fiscales varient d’un pays à l’autre, et, ainsi, il est souvent plus profitable de s’installer et de vivre dans un pays plutôt que dans un autre, ce qui peut permettre de comprendre les mécanismes de l’évasion. Enfin, la politique fiscale repose sur les contributions directes (l’impôt sur le revenu), plus ou moins égalitaires, mais aussi sur les contributions indirectes qui sont extrêmement inégalitaires puisqu’elles mettent tout le monde sur le même pied, étant donné qu’il s’agit d’impôts sur la consommation, soi-disant destinés à encourager la diminution des consommations sur certains produits comme le tabac ou l’alcool, alors qu’en réalité, il s’agit souvent seulement de rattraper, en quelque sorte, l’égalité de l’impôt sur le revenu par des impôts fondamentalement inégalitaires.
Les projets de crédits
Le budget de l’État consiste aussi dans un certain nombre de dépenses soumises, elles aussi, à l’approbation du Parlement, après le vote de la partie « recettes ». C’est aussi sur ce plan que les projets de budget varient considérablement d’un exécutif à un autre, en fonction de leurs orientations politiques. Des partis mettant en avant la solidarité choisiront de privilégier les dépenses de santé et de sécurité sociale, les dépenses consacrées à l’éducation, ou les dépenses consacrées à l’urbanisme et à la politique de la ville ou au logement, alors que d’autres choisiront de mettre l’accent sur les dépenses militaires ou sur les dépenses entretenant des inégalités. Par exemple, les dépenses de santé augmentent, en particulier en raison de la revalorisation des personnels hospitaliers. Mais l’augmentation des dépenses de santé se situe aussi dans la vente des médicaments, qui permettent à l’industrie pharmaceutique de réaliser des profits. Dans les dépenses de santé prévues par le gouvernement dirigé par E. Borne, il importe essentiellement de renforcer le contrôle des arrêts de travail liés à la maladie et de mettre en œuvre un financement des hôpitaux. Le projet de budget 2024 montre quelles sont les priorités du gouvernement Borne, qui prévoit de baisser les dépenses de santé de 32 %. Les priorités budgétaires sont la défense (hausse de 7,5 %), l’éducation (hausse de 6,5 %), la recherche (hausse de 3,5 %), la culture (hausse de 3,7 %), tandis que l’écologie est en baisse, ce qui est contradictoire avec les propos du président).
L’obsession du déficit budgétaire
Un discours récurrent, en particulier dans les politiques libérales est celui qui exprime la crainte du déficit budgétaire. En clair, cela signifie qu’un « bon » budget ne peut être qu’équilibré entre les recettes et les dépenses. Il s’agit d’une vieille exigence du budget, fondée, en réalité, sur une approche morale de l’économie, issue notamment des philosophies de l’économie politique inaugurées par les cultures protestantes au dix-septième siècle. Cette exigence morale du budget empêche que se constitue une véritable économie politique, car elle fait de ce qui devrait être une rationalité des échanges un ensemble de lois et d’exigences morales échappant à l’économie et à la signification des échanges et de l’activité économique, en réduisant l’économie à un marché et à des normes. En réalité l’équilibre budgétaire est une figure de fiction, puisqu’à l’accroissement des dépenses peut toujours correspondre un accroissement des ressources fiscales. Sans doute faut-il en finir avec cette conception morale du budget et de la politique économique fondée sur des normes et des croyances au lieu de l’être sur la réalité de la vie économique d’un pays.