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Billet de blog 5 décembre 2024

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LE POUVOIR ET L’EXPÉRIENCE DES LIMITES

En 1971, l’écrivain Philippe Soles publie « L’Écriture et l’expérience des limites », un texte dans lequel il examine les expériences d’écritures littéraires allant jusqu’aux espaces ultimes de la création et à ses interdits. Et si le pouvoir rencontrait aussi, tout de même ses limites ?

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La motion de censure

La motion de censure proposée par la gauche a été adoptée hier par 331 voix sur 577 députés, alors que la majorité absolue est de 289 sièges. Pour le coup, même les absents ou les suffrages non exprimés comptent, car ils manifestent l’absence de soutien de ces députés à l’égard du gouvernement. Les seuls députés n’ayant pas voté la censure sont les Républicains, les députés Renaissance, les députés LIOT (sauf un, tout de même), les Démocrates et les députés Horizons, ainsi que les « non inscrits » (sauf un aussi), c’est-à-dire ceux qui ne savent ni où ils sont ni où ils vont. Cela signifie que le rejet du gouvernement Barnier va bien au-delà de la majorité absolue des députés. L’urgence est bien, pour l’Assemblée nationale, de mettre fin à l’expérience désastreuse d’un gouvernement depuis le début sans légitimité populaire. Mais, au-delà, c’est de l’illégitimité du pouvoir macronien que nous parlons. Ce simple mot, « censure », dit bien de quoi il s’agit : en votant cette motion, les députés ont signifié au président qu’ils censuraient son gouvernement, c’est-à-dire qu’ils l’excluaient du monde réel de la politique parce qu’ils ne représentait plus île peuple qui l’a élu. Le principe d’une motion de censure manifeste, tout simplement, que le gouvernement n’est légitime que si les représentants du peuple estiment qu’ils les représentent. En France, ce qui la différencie des pays totalitaires, le pouvoir exécutif est, en fin de compte, soumis au pouvoir législatif, car il n’est là que pour exécuter les lois élaborées par le pouvoir législatif qui est la voix du peuple.

E. Macron confronté aux limites de son pouvoir

La dissolution de l’Assemblée avait été conçue dans le but de montrer un pouvoir qui, en réalité, n’existait pas. Or ce résultat montre que non seulement le président ne dispose même pas d’un semblant de pouvoir, mais, peut-être, au fond, qu’il ne veut pas de ce pouvoir. Confronté aux limites de ce fantasme, qu’il s’est donné l’illusion de construire depuis 2017, E. Macron est nu. Il est dans une impasse, faisant face à son impossibilité réelle de proposer un projet et une orientation à un pays qu’il croyait le sien mais qui demeure celui de son peuple, ce que veut dire le vote des députés. Enfin devant des limites qui s’imposent à nous, E. Macron perd ce qui l’habillait : un simple nom, celui de président. Mais, en réalité, comme dans le conte d’Andersen, les tailleurs et les couturiers qui se sont affairés pendant sept ans à lui « tailler un costume » ont seulement fait semblant de coudre et de tailler du vide. Même les mots d’E. Macron prononcés juste avant la délibération et le débat de l’Assemblée montrent sa complète déconnexion du monde : « Je n’y crois pas », avait-il dit au sujet de la motion de censure. C’est qu’E. Macron ne vit pas dans le réel du monde, mais dans un monde de fantasmes et d’illusions. Rappelons-nous tout de même ce que nous dit la psychanalyse. Jacques Lacan nous dit : « Je dis toujours la vérité, pas toute, car toute, on ne peut pas la dire ; c’est même par là que le langage tient au réel ». Qui donc a pu faire croire à E. Macron qu’il pouvait dire toute la vérité et régner sur le monde tout entier de ce qu’il croyait son royaume ?

Le fantasme d’un pouvoir sans limites s’écroule

C’était peut-être le rêve d’E. Macron : des gouvernements qui lui seraient soumis l’un après l’autre, qu’il jetterait comme des pouvoirs en papier, quand ils ne lui plairaient plus, des députés à sa dévotion, mais c’était oublier deux faits majeurs. Le premier, c’est que le pouvoir exécutif est partagé entre le président et le Parlement - l’Assemblée nationale plus que le Sénat tout de même. Le second, c’est que, dans une démocratie, il n’y a pas de pouvoir sans contre-pouvoirs. Mais E. Macron est incapable de reconnaître un autre pouvoir que le sien. Jacques Chirac avait fait la même erreur en 1997, en dissolvant l’Assemblée, ce qui avait donné lieu à l’élection d’une Assemblée avec une majorité de gauche. Et de Gaulle, tout de même, en 1962, s’était trouvé, lui aussi, face à une Assemblée qui avait censuré « son » gouvernement et avait nommé Georges Pompidou premier ministre après Michel Debré. Tous les pouvoirs ont leurs limites, c’est ce qui permet aux institutions de respirer, d’avoir un peu d’air, sans être étouffées par le pouvoir. Mais E. Macron ne l’a pas compris, sans doute parce qu’en définitive, il n’est pas un politique. Personnage du monde de la finance, peut-être se figurait-il que le pouvoir financier était le  seul pouvoir dans un pays et que les institutions n’existent pas. Mais l’Assemblée l’a éveillé hier soir, l’a sorti de son rêve. Et, au moment où j’écris ces mots, je me demande même s’il est sorti de ce rêve ou s’il ne croit pas encore que l’Assemblée s’est trompée en ne lui obéissant pas et qu’il va vite retrouver la maîtrise des institutions de notre pays. Peut-être le fantasme d’un pouvoir sans limites s’écroule-t-il sous nos yeux mais pas sous les siens.

La démocratie demeure le pouvoir du peuple

Les députés ont dit, hier soir, qu’ils ne voulaient plus être les contre-pouvoirs d’un fantasme, mais que c’était aux représentants du peuple, démocratiquement désignés, que revenait la réalité du pouvoir. Le peuple continue d’exercer le pouvoir, parce que notre pays est une démocratie. À moins, bien sûr, que, comme le disait Brecht, le président ne décide de « dissoudre le peuple ». Peut-être s’en croit-il capable,, dans son rêve ou dans son illusion. Mais ce sur quoi repose la démocratie est le principe de la reconnaissance. Les institutions ne sont légitimes et ne peuvent exercer pleinement leur rôle que si elles sont reconnues les unes par les autres, et si, au bout du comptée elles sont reconnues par le peuple souverain. Cette reconnaissance prend la forme de l’élection, puisqu’élire, c’est, pour le peuple, reconnaître celle ou celui qu’il a choisi comme son représentant. Quant au gouvernement, il n’est légitime que s’il est reconnu par le Parlement qui vote ses projets de loi ou qui ne vote pas la motion de censure. C’est ainsi que la vie politique est un ensemble de miroirs dans lesquels les pouvoirs se reconnaissent et sont reconnus comme les reflets les uns des autres. C’est la reconnaissance qui fonde la représentation en la rendant légitime. Le vote d’hier soir nous rappelle que nous sommes encore, en France, dans un pays démocratique, dans lequel le peuple conserve encore le contrôle de la légitimité. À condition, bien sûr, qu’il ne s’endorme pas, lui aussi, dans un monde de rêves et de fictions : c’est pourquoi le vote d’hier n’aura de sens que si le peuple a une volonté et continue à l’exprimer dans le débat démocratique.

Le pouvoir confronté au réel

Un pouvoir sans limites, sans contre-pouvoirs, est une folie, et E. Macron, jusqu’à l’adoption par les députés de la motion de censure était confiné dans cette folie. Il était encore protégé par ce confinement qui a fini par ne plus être un impératif, mais il ne s’en est pas rendu compte. C’est qu’il n’a pas compris que les miroirs dont nous parlions ne sont que des miroirs symboliques, des miroirs de paroles et de débats, des miroirs de représentants. Sans doute prend-il le reflet idéalisé qu’il contemple dans son propre miroir pour la réalité du monde, alors que ce n’est que le reflet du monde illusoire dans lequel il vit. Cette fois, il a fait face à la réalité du monde et des limites de son pouvoir. Espérons que la motion de censure lui rappellera qu’il doit cesser, enfin, de vivre dans l’imaginaire d’un pouvoir sans limites. Ce n’est pas seulement en se trouvant face aux autres pouvoirs que le sien rencontre ses limites. C’est aussi face à la réalité du peuple souverain qui pourrait s’exprimer autrement. À moins qu’E. Macron ne continue à rester confiné dans sa bulle, comme un pape qu’il croit être.

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