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Billet de blog 6 février 2025

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L’ÉTATS-UNISATION DE LA BANDE DE GAZA

D. Trump a eu une bonne idée pour en finir avec le conflit de Gaza : il a annoncé mardi dernier, le 4 février, que les États-Unis voulaient prendre « le contrôle » de la bande de Gaza. Quant à B. Netanyahou, le premier ministre israélien, il estime que cela est de nature à « changer l’histoire ». Mais sans doute les choses ne sont-elles pas aussi simples.

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Le risque d’une nouvelle guerre

Ce genre de provocations risque surtout de susciter une nouvelle guerre. En faisant des États-Unis un nouvel état dans l’espace de la Palestine et du Proche-Orient, même si cela peut convenir au premier ministre d’Israël, D. Trump risque surtout de provoquer une nouvelle guerre. Rappelons-nous la guerre d’Irak, provoquée par le président des États-unis d’alors, G. Bush Jr, qui, sous le prétexte de chasser un dictateur, S. Hussein, avait déjà suscité une guerre - sans doute pour le pétrole, cette fois. Il avait alors eu l’idée géniale de faire de l’Irak le 51ème état des États-Unis. L’idée de D. Trump serait de nature à provoquer un embrasement des populations arabes de la région, mais, cette fois, contre les États-Unis et le refus de reconnaître le peuple palestinien comme un état et comme une nation. En voulant ainsi « faire le ménage », comme il le dit, D. Trump dit son mépris affiché pour les peuples qui ne sont pas états-uniens et ses mots revêtent une telle violence qu’ils ne peuvent susciter que de la violence. D. Trump recommence ce qu’il a essayé avec le Canada et le Groenland : prendre le risque d’un conflit géopolitique majeur - le même que celui qu’a suscité V. Poutine en Ukraine.

Le retour du Far West et du monde des « westerns »

D. Trump a sans doute vu trop de « westerns » au cinéma. À l’égard des Palestiniens, il joue le rôle du shérif qui voulait maintenir l’ordre dans les films et celui de l’armée des États-Unis dont le projet était de chasser les Indiens, comme, aujourd’hui, le projet israélien est de chasser les Palestiniens de leur terre. L’histoire semble bégayer - ou, en tous les cas, D. Trump, qui n’a ni mots ni langage, cherche à la faire bégayer pour retrouver les héros de la légende américaine. Son projet, en organisant l’intervention des États-Unis dans la bande de Gaza, n’est pas tant de mettre fin à la guerre que de profiter du conflit palestinien pour prendre possession d’une nouvelle partie du monde et de prendre le contrôle de l’espace palestinien, en en chassant les habitants ou en les soumettant.

Pour Israël, la « solution finale » des Palestiniens

En envisageant de faire de la bande de Gaza une immense plage pour Américains en vacances, D. Trump et, avec lui, B. Netanyahou ont trouvé comment en finir avec les Palestiniens. À vrai dire, B. Netanyahou a déjà commencé le « travail », pour parler comme D. Trump. Il avait déjà fait savoir que son but était bien qu’il n’y ait plus un Palestinien en Palestine et que cette terre devienne un territoire israélien, ce que les colons ont déjà entrepris, terre après terre, en prenant possession de ce qu’ils continuent à appeler la Cisjordanie au lieu de l’appeler la Palestine. La résolution du conflit est simple : c’est la « solution finale » pour les Palestiniens. L’états-unisation de Gaza ne fait que poursuivre l’appropriation de la Palestine par les colons venus d’Israël pour en chasser les habitants. 

Un espace public international timide

En-dehors de l’Arabie Saoudite, les pays de monde n’ont pas suscité une protestation très vive. La préoccupation des pays de l’espace public international est surtout d’éviter la prolongation d’une guerre qui leur coûte de l’argent, et qui, surtout, entretient une instabilité infinie dans la région. Les pays du monde n’ont que faire, au fond, de l’état palestinien : s’ils avaient eu vraiment l’idée de l’institution de cet état, depuis 1948, il aurait vu le jour. C’est le refus du monde de reconnaître cet état qui est à l’origine de toutes les guerres et de tous les conflits qui, depuis lors, ont fini par détruire la terre de Palestine. Mais ce peuple est « profondément enraciné dans sa terre », comme tous les peuples du monde, a dit un habitant de Rafah, H. Azzam, cité par une dépêche de l’Agence France-Presse du 5 février, et, ajoute-t-il, « nous ne la quitterons pas ». Comme en 1948, le conflit palestinien, n’est pas seulement un conflit entre Israël et les Palestiniens, mais aussi un conflit entre les Palestiniens et le monde, comme si ce dernier ne voulait pas d’eux au sein du « concert des nations ». D’abord les pays du monde ne se sentent réellement concernés par la région que pour pouvoir y instituer une domination de plus et, ensuite, ce qui les motive dans le Proche-Orient contemporain, c’est d’en profiter pour avoir de l’énergie à bas prix, en acceptant des consensus aves las pays de la région. Il ne s’agit même pas de considérations économiques mais d’utiliser le Proche-Orient et de le mettre, ainsi, à leur service. Comme un simple instrument ou un outil de leur hégémonie.

La figure de la déportation de retour

Pour permettre l’institution de cette « nouvelle bande de Gaza », il faudrait commencer par « faire le ménage », comme dit D. Trump. Pour permettre cette états-unisation de Gaza, il faudrait commencer par en chasser la population vers des pays arabes susceptibles de les accueillir, comme l’Égypte ou la Jordanie. D’abord, c’est une façon de mettre ces pays au service de son projet, aussi irréalisable qu’il soit. Ces pays seraient ainsi au service des États-Unis et d’Israël et consentiraient à leur domination de la région. Ensuite, ce serait faire revenir la figure de la déportation. Le déplacement des populations dans des pays qui ne sont pas les leurs seraient une déportation de plus, comme celle qui a eu lieu pendant la deuxième guerre mondiale. Les déportés ne seraient pas les mêmes mais ils n’en seraient pas moins déportés, privés de leur terre, dominés par d’autres, et, de plus, en étant ainsi déportés, ils ne se verraient, une fois de plus, pas reconnaître leur existence, ils ne se verraient une fois de plus pas reconnaître le droit à une terre, alors qu’ils l’habitent et la cultivent depuis des siècles.

Les partition de la Palestine en deux états est-elle une solution viable ?

La solution des « deux états » fait partie des idées partagées par le monde pour faire retrouver un peu d’égalité aux Palestiniens, mais s’agit-il réellement d’une solution au conflit ? Elle est régulièrement agitée, car elle donne l’illusion de la reconnaissance d’une véritable égalité aux Palestiniens. Mais il y a deux pièges dans cet idée, qu’il faudrait tout de même regarder en face. Le premier, c’est qu’en divisant ainsi ce qui reste de la Palestine en deux états, comme il ne s’agirait pas de mettre fin à l’état d’Israël, il s’agirait d’une extension de plus d’Israël au détriment des Palestiniens et les négociations sur la naissance de ces deux états se joueraient sur un rapport de forces qui, dès le départ, leur serait défavorable. Par ailleurs, ces deux états ne seraient que deux ghettos de plus. Les habitants de l’un de ces états et ceux de l’autre ne pourraient sans doute pas circuler librement dans les deux pays et se verraient cantonnés à l’un d’eux. Compte tenu de l’évolution de la région depuis le début, l’inégalité entre les deux états serait manifeste et serait de nature à provoquer de nouvelles violences. En réalité, le ghetto a été institué dès 1948, par la naissance de l’état israélien au détriment des Palestiniens qui vivaient là. En installant des modes de vie et des cultures largement issus des pays occidentaux dans lesquels ils vivaient alors, les premiers israéliens ont institué une inégalité de fait dont bénéficient de nos jours l’ensemble des habitants venus d’autres pays pour établir de nouvelles colonies. Le Hamas  et sa violence ne sont que des réponses palestiniennes au sionisme. La seule issue politique au conflit est l’institution d’un état fondé sur une nation palestinienne reposant sur plusieurs cultures associées dans un projet politique commun réunissant les habitants de la région et allant au-delà des choix religieux dans un état laïc. Cela ne serait possible que si cet état était garanti par les puissances du monde décidées, elles aussi, à s’engager dans un projet politique laïc.

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