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Billet de blog 6 juillet 2023

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LA TEMPÊTE

Une fois de plus, le pouvoir a cherché l’affrontement. Au lieu de chercher à parler, il a tué. Au lieu de revenir sur cette faute, il a préféré manifester une autorité qu’il avait perdue. Une occasion de plus de s’interroger sa relation entre politique et violence.

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L’affrontement entre la police et les jeunes de Nanterre

Mardi dernier, le 27 juin, donc, un jeune de 17 ans a été tué par un policier à l’issue d’un affrontement après un contrôle routier. La violence des propos du policier, enregistrés par le système légal de contrôle des policiers, manifestent clairement l’intention du policier par la violence des mots et du ton qu’il a employés. Nous sommes donc passés avec évidence d’un simple affrontement entre un policier et un jeune conducteur à un affrontement entre la police et les jeunes, à Nanterre, où a eu lieu d’événement, et à un véritable embrasement de tout le pays, où, partout, ont lieu, encore en ce moment, des manifestations et d’autres affrontements. Ce qui s’est passé à Nanterre est devenu, hélas, courant : l’affrontement entre la police et les jeunes et la mise en œuvre par les policiers de la violence jusque’à la mort. L’affrontement entre les jeunes et la police manifeste, aussi, un affrontement d’une autre nature : c’est à l’État et à toutes ses manifestations que s’en prennent les jeunes, comme cela s’est produit à diverses reprises dans notre pays (beaucoup de commentateurs rapprochent ces événements de la crise de 2005).

L’affrontement entre les jeunes et l’État

Mais, sans doute faut-il aller plus loin. Il ne s’agit plus seulement un affrontement ponctuel entre les jeunes et la police, mais d’une remise en question de l’État et, peut-être, après, de la société dans son ensemble et de ses normes. Au-delà, sans doute n’est-ce pas seulement pour protester contre la mort de Nahel que les jeunes font s’embraser le pays. Ce qu’ils manifestent, c’est leur refus de l’ordre et de la société qui leur sont proposés - ou, plutôt : imposés.L’affrontement qui s’est manifesté à la suite de la mort de Nahel ne se limite pas à un rejet de la police et de la brutalité de ses méthodes qui vont jusqu’à tuer, mais il s’agit de l’expression d’une sorte de décalage entre la jeunesse et un État dont elle a le sentiment qu’il ne la comprend pas, qu’il ne cherche même pas à l’écouter. Une telle remise en cause de l’État tout entier par la jeunesse s’est sans doute toujours exprimée, mais elle revêt aujourd’hui deux significations particulières. La première, c’est l’affaiblissement de la figure de l’État dans un monde dominé par le libéralisme. Tout étant fait par les discours dominants pour discréditer l’État, les jeunes s’inscrivent dans cette hégémonie de l’affaiblissement de l’État, en particulier dans une Europe dont le poids de plus en plus pesant contribue aussi à affaiblir les pouvoirs politiques. La seconde, c’est la présidence Macron. La conception macronienne du pouvoir se fonde, elle aussi, sur le rejet de l’État en vertu de son idéologie libérale, mais, par ailleurs, il semble de plus en plus que l’exécutif soit de plus en plus dépassé par des événements qu’il a lui-même provoqués, et la, colère de la jeunesse s’exprime aussi contre un autoritarisme lié à la faiblesse politique des acteurs qui le manifestent.

L’aveuglement du pouvoir

C’est bien pourquoi, face à cela, le pouvoir est sourd et aveugle. Il ne voit rien, il n’entend rien, il persiste dans sa politique qui n’a pas de signification et qui ne peut susciter que le désordre et la violence, réponse au désordre et à la violence qui la fondent. La violence de la police n’est, finalement, que le signe de la faiblesse d’un pouvoir qui semble de plus en plus déconnecté de la réalité du monde. Enfermé dans la bulle de ses palais, de son Elysée et de ses ministères, le pouvoir est en-dehors de la société qu’il devrait comprendre pour la diriger - ou, au moins, pour lui proposer des orientations. Comme le pouvoir est sourd, il n’a pas de réponse à donner à des paroles et à des manifestations qu’il n’entend pas, et, par conséquent, il se sert de la violence pour peupler le silence créé par son vide. Un tel aveuglement du pouvoir tient, d’abord, au fait qu’à quelques exceptions près, l’exécutif n’est pas dirigé par des politiques. Les membres de l’exécutif n’ont pas d’expérience politique, ils ne savent pas ce qu’est un discours politique ni ce que l’on attend de lui. Mais cet aveuglement et cette surdité tiennent aussi au fait tout simple que le pouvoir ne parle pas la langue du peuple : il n’est pas seulement déconnecté de la société, il est incapable de la comprendre parce qu’il ne connaît pas la langue que parle le peuple, il ne connaît pas les mots énoncés par une voix du peuple, une vox populi, qui n’est pas la sienne. 

Un dérèglement du rôle de la police

La police a été instituée pour protéger la population, pour éviter, justement, que la violence ne s’installe. Nous assistons, en ce sens, à un véritable dérèglement, car c’est la police qui, apparemment en toute impunité, déchaîne sa violence - en l’occurrence contre les jeunes. La violence de la police dépasse la force légitime de l’autorité de l’État. Cela va jusque’à une collecte organisée par un syndicat due policier pour soutenir les policiers qui ont tué et qui vont être jugés. Cela est déjà arrivé dans le passé, mais cela atteint aujourd’hui des sommets qui n’avaient pas encore été atteints : la plisse semble avoir déclaré la guerre à la justice, à la fois comme institution et comme principe. La police n’entend plus être juste, ou, à tout le moins, la justice l’indiffère.Mais, en réalité, comme toujours, si la police devient violente, c’est qu’elle a peur. C’est, d’ailleurs, aussi parce qu’elle a peur qu’elle s’oppose à la justice. La police a peur à la fois de son illégitimité et Dun peuple à qui elle est confrontée. Cette peur de la police est elle-même grave car elle l’empêche d’assurer sa mission essentielle, qui est d’assurer la sécurité du peuple qu’elle est censée protéger. Or, si la police a peur, elle ne plus protéger le peuple ni la société, elle ne pense qu’à se protéger elle-même.

Pourquoi est-on policier ?

Peut-être, alors, faut-il revenir à des fondamentaux, et peut-être pourrait-on se poser la question de ce qui pousse à devenir policier, à choisir ce métier, à ce qu'il représente, à ce que signifie son image dans la population. La police a longtemps eu, justement, l’image d’un corps d’acteurs sociaux dont le rôle est de protéger. Sans doute s’agit-il d’une des raisons pour lesquelles on peut vouloir être policier. On devient policier parce que l’on entend  se consacrer à la protection des autres. Et, dans ces conditions, peut-être, justement, devient-on policier pour protéger parce que l’on a vécu soi-même dans une forme ou une autre d’insécurité. La police a, depuis toujours, dans l’image que la population se fait d’elle, celle d’un métier auquel on a recours pour se protéger, pour vivre dans la sécurité. Mais cette force destinée à protéger contre les dangers et les menaces a son revers : cette force devient aussi violence quand la police se charge d’une autre fonction, celle de réprimer. La répression est l’autre volet du rôle de la police. S’il peut être compréhensible que, pour protéger, on ait besoin de réprimer les menaces et les acteurs qui en sont porteurs, quand la répression devient plus forte que la protection, la police change de rôle dans la société.Peut-être en sommes-nous arrivés à ce point de l’évolution de al société où la répression donne la protection, où le rôle de la police devient plus de réprimer que protéger. Au lieu d’assurer la sécurité, la police, dans ces conditions, est elle-même source d’insécurité. Et, une fois de plus, nous nous trouvons devant une question qui distingue la gauche et la droite. Si la droite cherche, avant tout, à préserver l’ordre établi et à maintenir les pouvoirs et les classes dominantes dans leur position de domination, elle donne à la police le rôle de protéger les classes dominantes et l’ordre établi en lui donnant le rôle de réprimer celles et ceux qui s’opposent à lui et cherchent à le transformer. En revanche, si le projet de la gauche consiste dans la mise en œuvre d’une politique de solidarité, la police retrouve son rôle de protection des personnes. Le choix est, ainsi, comme toujours, un choix politique.

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