L’urgence
C’est dans trois jours. Dimanche prochain, aura lieu le premier tour de l’élection présidentielle. C’est pourquoi nous n’avons plus le temps de réfléchir à des concepts, de penser des termes donnant du sens à la politique et à la société. Nous n’avons plus le temps, parce que nous sommes devant une urgence. À vrai dire, cela fait longtemps, aujourd’hui, que nous sommes dans un état d’urgence que nous n’avons pas vu – parce que nous ne le pouvions pas ou parce que nous n’avions pas voulu le voir. Finalement, cette question de « l’urgence sanitaire », comme cela désignait l’urgence sanitaire imposée par la pandémie du Covid-19, était bien une urgence, même si de nombreuses autorités médicales le contestaient. Seulement, ce que nous réduisions à une urgence médicale était, en réalité, bien plus que cela : c’était une urgence politique et sociale. Si l’urgence sanitaire a pu exercer une telle pression sur notre vie sociale, sur nos relations les uns avec les autres, c’était parce que nous l’avions accepté : au nom de la prévention contre la maladie, nous avons accepté toutes les restrictions qui nous étaient imposées sans protester, sans mettre en question les discours visant à les légitimer, sans contester les autorités qui s’exprimaient. En raison de la violence de la maladie, parce que, come le disait le président, nous étions en guerre, notre jugement, notre esprit critique, a été littéralement inhibé. Une fois de plus, les pouvoirs politiques se sont servis de la violence pour nous dominer, avec cette sorte d’apport supplémentaire qu’ils n’étaient pas les agents de cette violence, mais qu’ils s’offraient le luxe de légitimer leur hégémonie par la lutte nécessaire contre la maladie et par la prévention sanitaire. Mais ne nous trompons pas : ce n’est pas parce que la maladie semble connaître un apaisement que nous ne sommes plus dans l’urgence : nous sommes toujours dans l’urgence, mais ce n’est simplement plus la même parce que c’est dans une urgence politique que nous nous trouvons. L’urgence, dimanche, sera le risque de la perte de nos libertés.
Le joueur de flûte de Hamelin
Tout le monde connaît ce conte, qui se situe dans un village allemand au quatorzième siècle, mais qui fut retranscrit pas les frères Grimm. Le flûtiste propose aux autorités du village de le libérer des rats qui y propagent la peste en les emmenant au loin grâce à l’air qu’il joue de sa flûte. Mais, une fois qu’il y est parvenu, les habitants refusent de le payer, et, pour les punir de leur malhonnêteté, il revient quelque temps après pour jouer de nouveau de sa flûte, mais, cette fois, en emmenant à sa suite les enfants du village qui ne reviendront jamais. À bien réfléchir, cette légende ne fait que conter les mésaventures liées aux dangers de la malhonnêteté, mais, surtout, à ceux que l’on court en se laissant étourdir par la musique. Aujourd’hui, ce n’est pas par la musique que nous perdons toute distance critique, mais le flûtiste nous emmène vers la régression économique et sociale, vers la perte de nos libertés, vers la disparition de nos identités politiques. Ne nous laissons pas étourdir par le flûtiste, qui se nomme Macron. Il a commencé par jouer de sa flûte auprès de F. Hollande qui a fait de lui un conseiller économique à l’Elysée, puis un ministre, lui offrant, ainsi, la plateforme de départ d’où, en jouant de sa flûte pour nous, il a pu se faire élire président et nous faire perdre nos libertés en nous soumettant à ce qu’il faut bien appeler sa dictature.
Le choix
Ne nous trompons pas : la question n’est pas de commencer à choisir celle ou celui qui sera le président de la République, à vingt heures, le 24 avril. La question est de savoir si nous voulons continuer à vivre dans une société politique, dans une cité, comme les Grecs et les Latins nous ont appris à le dire, si nous voulons demeurer des citoyens, ou si nous voulons mettre fin à la démocratie et nous livrer à l’autorité et au pouvoir du marché, qui n’est pas un pouvoir politique, mais seulement le pouvoir de la finance. C’est simple. Ou bien nous permettons à E. Macron de poursuivre sa politique de régression sociale et de démantèlement de l’État, de disparition de nos droits et de nos libertés, dilués dans les exigences du marché et dans les faux-semblants de l’élection. Ou bien nous exigeons que notre pays retrouve la liberté des personnes, le langage de la démocratie et son expression, les mots et les voix de la politique. Pour cela, seule peut le permettre l’élection de J.-L. Mélenchon. Jamais peut-être le choix n’a été si simple, et notre responsabilité si lourde. Il ne s’agit plus de l’opposition entre la gauche et la droite, il ne s’agit même plus de l’opposition entre des projets et des programmes. Cela, c’était avant, quand la politique avait encore du sens, quand elle n’était pas toute entière livrée aux banques et aux entreprises du management et de la gestion comme McKinsey. Aujourd’hui, la question est de savoir si nous voulons continuer à être les maîtres de notre présent, de notre futur et de notre destin ou si nous nous résignons à abandonner la maîtrise de nous-mêmes, à nous endormir, au doux son de la flûte, dans la perte du désir, de la parole, de la voix. L’éparpillement de la gauche entre plusieurs candidatures était encore possible dans un autre temps, quand la gauche pouvait, comme en 1981, s’offrir le luxe de plusieurs candidatures au premier tour pour que les partis de gauche s’expriment librement, avant de se retrouver au second dans le choix d’un candidat unique. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. Pour pouvoir même imaginer figurer au second tour, la gauche doit être unie au premier, et seul J.-L. Mélenchon peut permettre cette présence de la gauche.
Pourquoi nous devons voter Mélenchon au premier tour
Bien sûr, on me dira qu’il y a, donc, plusieurs candidats censés figurer la gauche et que nous pouvons peut-être voter pour un autre candidat que lui. Mais il faut essayer d’être lucides, de ne pas écouter le son de la flûte mais la voix de la raison. La candidate du P.S. n’est pas parvenue à imposer sa personnalité à gauche. D’abord, cela tient à elle et à son discours, mal présenté, manquant de précision, et, surtout, de réalisme. Ensuite, cela tient au déclin inexorable du P.S., qui n’a pas su retrouver la force qui avait été la sienne en 1981. Le signe qui aurait dû nous alerter sur le déclin du P.S. avait été l’absence de L. Jospin au deuxième tour de l’élection de 2002, qui avait laissé l’élection se jouer entre J. Chirac et J.-M. Le Pen. Un deuxième symptôme de ce déclin avait été l’échec de M. Aubry en 2012 : si elle avait été candidate à la place de F. Hollande, peut-être le P.S. aurait-il pu retrouver le pouvoir. Mais, si F. Hollande avait été désigné comme le candidat, sans doute cela signifiait-il que le P.S. était déjà incapable de retrouver sa force. Je ne parlerai pas de la candidature de Y. Jadot, qui n’est pas un candidat de gauche : si S. Rousseau, qui était une candidate écologiste de gauche, a échoué, c’est que les Verts ne sont plus un parti de gauche. Quant au P.C.F., F. Roussel ne s’est pas vraiment imposé au-delà du parti, et, surtout, le parti communiste n’est pas en mesure de représenter une candidature unique de la gauche en raison de l’histoire et des tensions, des désaccords qui le séparent des autres partis. En réalité, J.-L. Mélenchon est le seul candidat de gauche en mesure de l’emporter, pour la même raison que le président sortant l’est à droite : notre vie politique cherche des identités nouvelles, les identités politiques d’avant, comme le P.S. ou le P.C.F. à gauche et les Républicains à droite, ne sont plus en mesure de gouverner notre pays. Si l’on veut éviter, par ailleurs, le naufrage d’une abstention massive, le candidat de la gauche doit répondre aux exigences et aux projets de notre temps. C’est ce que nous ne pouvons attendre que de J.-L. Mélenchon.