Plus d’un mois d’attente
Le second tour de l’élection présidentielle a eu lieu le 24 mai. Comme le premier gouvernement Borne était un gouvernement de transition (c’est fou ce que la figure de la « transition » est devenue à la mode ces temps-ci), il aura fallu un mois au président pour former son gouvernement – ce qui ajoute un échec à celui de son parti aux élections législatives. Sans doute ne s’est-il pas agi d’un feuilleton : à vrai dire, nous finissons par être un peu lassés des « aventures du petit Macron et de sa bande », ou des « histoires de la Bande à Macron ». Il ne s’agit pas d’un feuilleton, car, .quand on lit un feuilleton ou quand on le regarde à la télévision, on est soutenu par le suspens, on attend de connaître la suite, et, donc on est fidèle au récit. Non. Pour ce qui est de ces « aventures »-là, c’est du déjà-vu, on connaît l’histoire, et il s’agit d’une attente lassante, ennuyeuse : on attend que s’exprime un projet politique, et on est déçu, car rien ne se passe. En réalité, on n’est pas déçu (en tout cas, je pense, à Mediapart) : on n’est pas déçu, car on n’attendait rien de cet épisode de la « Bande à Macron ». Ce mois d’attente nous seulement confortés dans notre conviction de la faiblesse de cet exécutif et de son indécision.
Un gouvernement sans projet
Contrairement à l’usage, la première ministre ne demandera pas la confiance de l’Assemblée nationale après avoir prononcé devant elle un discours de politique générale. C’est simple : cela signifie que ce gouvernement sait que la politique qu’il déclare engager n’est pas digne de la confiance des élus. Cela signifie encore que le gouvernement qui vient d’être nommé n’a pas de politique parce qu’il n’a pas de projet. Que vaut la « déclaration » de la première ministre, puisqu’elle n’a rien à déclarer ? Ce résidu des douaniers et des contrôles de police (« Qu’avez-vous à déclarer ? ») signifie bien que, comme depuis le début de son mandat, E. Macron n’exerce son pouvoir que dans le contrôle de la police au lieu d’avoir un projet économique, social – et même sanitaire, compte tenu de l’urgence dont il se pavane à cors et à cris pour échapper aux contrôles démocratiques. Sans projet, ce gouvernement n’a donc qu’un rôle, celui de mettre en œuvre la politique décidée hors de lui par le président auquel il est soumis.
Le gouvernement et le président
En principe, c’est tout de même la norme, sinon la loi : le premier ministre a l’autorité sur le gouvernement qu’il dirige. Mais, sus la Vème République, et, sans doute, plus encore sous la présidence d’E. Macron, c’est le président qui dirige l’exécutif – y compris le gouvernement. On a pu en avoir une première illustration avec l’entourloupe. Comme son parti (mais est-ce vraiment un parti ? C’est une autre histoire) n’avait pas réussi à avoir une majorité à l’Assemblée, le président s’est heurté aux institutions de la Vème République : il a bien fallu qu’il désignât un gouvernement. L’entourloupe a consisté dans une déclaration selon laquelle ne seraient nommés ministres que celles et ceux qui appartiennent à un parti ayant déjà participé à des gouvernements. Façon élégante, mais toutefois malhonnête, de refuser d’emblée d’ouvrir le gouvernement aux Insoumis – qui, de toute façon, n’auraient pas accepté de se compromettre avec lui – et de les mettre, une fois de plus, dans le même sac que le Rassemblement national. Une fois de plus, nous ne sommes pas seulement confrontés à l’autoritarisme du président, mais aussi à ce que l’on peut appeler sa malhonnêteté politique. L’autre malhonnêteté, mais, à celle-ci nous sommes habitués, consiste, à l’écoute de l’opinion exprimée lors des élections, à mettre en avant un engagement à la rupture et à la nouveauté, alors que ce gouvernement est, pour l’essentiel, fait de têtes connues.
Le rôle du premier ministre
Mais dans ces conditions, quel est le rôle du premier ministre – de la première ministre, en l’occurrence ? On se le demande. D’abord, il faut noter la soi-disant ambiguïté de son engagement. Madame Borne est présentée dans l’espace public comme une personnalité issue de l’aile gauche de la Macronie. Mais le problème, c’est qu’on est toujours à gauche de quelqu’un et que l’aile gauche d’un parti de droite demeure une identité de droite. En l’occurrence, la première ministre est chargée de diriger la mise en musique de la politique décidée par le président. On peut, d’abord, constater qu’elle a été soumise aux choix du président encore plus, sans doute, que l’ont été les premier ministres de la Vème République. Au fond, il n’y a que dans les périodes dites de « cohabitation » (1986-1988, 1993-1995, 1997-2002) que le premier ministre parvient à avoir une place auprès du résident et à exercer un pouvoir réel – ou un contre-pouvoir. Dans ces conditions, sans même parler de pouvoir, on peut se demander quelle est l’autorité réelle de la première ministre.
Les ministres du deuxième gouvernement Borne
Sans proposer une véritable galerie de portraits, on peut relever quelques caractéristiques de ce gouvernement. Il y a, d’abord, aux ministères importants, des ministres qui, déjà là dans les gouvernements précédents, ne sont là que pour poursuivre la politique menée par l’exécutif. B. Le Maire à l’économie, G. Darmanin à l’intérieur, É. Dupond-Moretti à la justice, S. Lecornu aux armées, O. Dussopt au travail, ne sont que les survivants du naufrage des élections législatives. Il n’y a donc aucun renouvellement à attendre de ce côté-là. Quant aux « petits nouveaux », comme C. Colonna aux affaires étrangères ou P. Ndiaye à l’éducation nationale, ce ne sont pas des personnalités politiques, mais il s’agit, comme, d’ailleurs, c’est le cas de la plus grande partie des ministres, de fonctionnaires déguisés en politiques. On peut, d’ailleurs, de la même manière, s’interroger sur la signification de certains ministères, notamment sur la signification d’espèces de « mots-valises », de mots fourre-tout, qui, au fond, ne veulent rien dire, comme « transition », ou « transformation ». Ce gouvernement consiste, en fin de compte, en une équipe d’acteurs chargés de mettre en scène le néant politique de l’exécutif macronien.
Significations de ce gouvernement
La composition de l’exécutif, fondé sur le président Macron et sur ce gouvernement, a, finalement, ainsi, quelques significations qu’il convient de noter. D’abord, c’est un gouvernement entièrement soumis au président, sans avoir d’identité politique réelle qui lui soit propre. Ces ministres ne sont que des exécutants, et on se demande quelle pourra être leur rôle d’initiative, alors qu’un gouvernement devrait élaborer des projets et les proposer au débat public. C’est le président qui élaborera les projets – si tant est qu’il en ait à proposer. Et nous sommes ainsi devant la deuxième signification de la composition de ce gouvernement : il s’agit davantage d’une administration que d’un gouvernement. Ce ne sont pas seulement les projets qui viendront d’en haut, mais il n’aura sans doute aucun pouvoir de décision. L’indécision qui caractérise ce quinquennat est, ainsi, mise en évidence par ce gouvernement. C’est grave, car, ainsi, nous aurons à subir pendant cinq ans la faiblesse de cet exécutif fantôme, et nous risquons, finalement, d’avoir perdu cinq ans pour rien. Le président s’en fiche, car, de toutes façons, il n’est pas rééligible, sauf coup de force institutionnel, mais avec E. Macron, on ne sait jamais. Cela montre bien que ce gouvernement, comme toute sa politique, ne consiste que dans l’aveuglement du pouvoir. Finalement, l’entourloupe n’en est peut-être pas vraiment une, car on per se demander si son auteur s’en rend vraiment compte. E. Macron n’est intéressé que par son pouvoir – ou, plutôt, par l’illusion de son pouvoir. Le problème, c’est que c’est tout un pays qui, dans cinq ans ou même avant, risque de subir les conséquences de cet aveuglement.