Qu’est-ce que l’été ?
L’été, c’est, bien sûr, comme tout le reste, un mot. Le mot latin æstas d’où est issu notre mot été est lui-même formé sur une racine indo-européenne ai-dh, signifiant brûler », d’où est issu, par exemple, le mot éther. Cela donne à été une double dimension dans notre culture. D’abord, il s’agit d’une période où il fait chaud, cela nous le savons par expérience, bien sûr, mais il s’agit aussi d’un temps à part, distinct des autres, dans lequel nous sommes dans un monde d’éther : l’été, nous sommes enfermés, confinés comme on dit aujourd’hui, comme dans un éther, dans un univers particulier. L’été est, ainsi, une sorte de cassure dans le temps ordinaire : au cours de l’été, la société se plonge dans l’éther d’un temps qui est, en quelque sorte, à part. L’été n’est pas un temps comme les autres. L’été, on n’a pas seulement chaud, mais on vit dans un autre monde, dans un espace et un temps singuliers dans lesquels nous ne nous reconnaissons pas. Au cours de l’été, nous ne sommes pas loin de nous perdre. Mais, en même temps, peut-être est-ce pour cela que nous aimons l’été : l’été a une signification double. L’été est un temps dans lequel, même en restant chez nous, nous sommes en voyage, un voyage qui peut être celui de la découverte et des vacances, mais, comme au cours de tous les voyages, nous nous égarons - et nous apprécions aussi de nous perdre. Même quand nous ne sommes pas dans un temps particulier, même quand nous y menons une vie ordinaire, ce sont souvent celles et ceux avec qui nous vivons qui changent et que nous pouvons ne pas reconnaître.
L’été politique en 2025
Cette année, l’été a plusieurs significations particulières. D’abord, c’est une saison qui continue à nous faire connaître un monde de guerre, à Gaza et en Ukraine, mais aussi dans d’autres pays. Au cours de l’été, nous prenons un peu plus le temps de réfléchir, en raison de cette cassure du temps ordinaire, et, par conséquent, nous sommes particulièrement conscients de la rupture et de l’incertitude que manifeste la violence de la guerre. Commençons donc par évoquer cela : cet été, l’incertitude du monde politique est particulièrement violente car elle dure depuis tellement longtemps. C’est aussi en raison de cette incertitude que, dans notre pays, l’été est le temps de l’attente : nous attendons que ces guerres et ces violences finissent, mais aussi, dans notre pays, nous pensons aux élections, à ces autres « saisons nouvelles » - aux élections municipales qui vont venir dans le courant de l’année politique à venir, au mois de mars, et à l’élection présidentielle, qui approche de plus en plus. C’est pourquoi l’été, saison ordinaire de nombreux congrès, de nombreuses « journées », organisés par les partis afin de profiter de la cassure de l’année pour réfléchir et prendre de nouvelles résolutions, va aussi être une saison au cours de laquelle seront peut-être élaborées les recompositions que nous attendons pour ces mutations des pouvoirs qui viendront avec les élections. Surtout, cet été est le moment d’une attente particulière, nous attendons l’institution d’un nouvel état dans le monde : l’état palestinien. Cela pourrait à la fois transformer la géopolitique de la région et donner une issue à cette guerre qui n’en finit pas depuis 1948. Enfin, cet été 2025 est un moment où achèveront de se manifester avec une violence particulière l’incompétence du gouvernement de Monsieur Bayrou, comme en d’autres temps, celle de Monsieur Prud’homme, et son incapacité à prendre les bonnes décisions, à proposer les véritables choix engageant l’avenir de notre pays dans une période particulièrement tendue sur le plan économique et social et sur le plan des identités politiques. Plus qu’à d’autres moments de l’année, nous ressentons, l’été de cette année l’urgence d’avoir de nouvelles pratiques politiques et de nouveaux choix, que le gouvernement en place est incapable de nous proposer - ne serait-ce que parce qu’il est composé de visages que nous connaissons trop pour en attendre quoi que ce soit qui réponde aux urgences dans lesquelles est plongé notre pays.
Un autre horizon pour la culture
Deux cultures se rencontrent l’été : une culture qui échappe un peu à l’ordinaire, et une culture ordinaire en quelque sorte suspendue, dans l’attente de créations et de perspectives nouvelles. L’été est le temps des festivals et des voyages, la période au cours de laquelle nous rencontrons d’autres cultures, que nous ne connaissons pas, l’été, aussi, nous portons un regard nouveau sur les cultures que nous connaissons, et qui deviennent, ainsi, des cultures nouvelles. Dans cette parenthèse de l’été, nous découvrons un nouveau âge de cultures, à la fois en allant au-devant de cultures inconnues jusqu’alors et en adoptant des regards critiques nouveaux sur les cultures dans lesquelles nous vivons d’une façon classique. Mais, de cette manière où s’imaginent de nouvelles pratiques culturelles, l’été est, là encore, un temps d’attente : nous attendons l’automne, qui sera, lui, la saison où ces nouvelles cultures prendront véritablement leur envol pour nous proposer la réalité de leurs créations et de leurs inventions. L’été est un temps au cours duquel nous imaginons de nouvelles expériences, un temps qui peut être un un moment de rupture avec l’ordinaire de nos expériences de la culture. Même nos lectures sont nouvelles parce que nous avons une disponibilité nouvelle sur les livres et sur les pages dont nous faisons l’expérience. Ce temps de rupture avec l’ordinaire de la temporalité est, de cette manière, un temps original dont n’avons pas l’habitude, ce qui, dans le domaine de la culture, manifeste, pour nous, une capacité de créer, une aptitude à la culture que nous ne maîtrisons pas toujours dans l’ordinaire de la temporalité, ce qui nous ouvre au plaisir de pratiques culturelles renouvelées. Comme l’été politique, l’été culturel est une période de transformations et de renouvellements.
L’été : une saison de désirs
Temps de passage entre deux années sociales, l’été est à la fois un temps de bilan et un temps d’attente. Nous faisons le bilan de l’année qui vient de s’écouler, et ce bilan est lié aux désirs dont nous sommes porteurs pour l’année qui va s’ouvrir. L’été est ainsi une saison de désirs, un temps dans lequel s’exprime un imaginaire. Rappelons-nous qu’il n’y a pas de culture ni de politique sans imaginaire, car l’imaginaire est une part essentielle de notre identité, une part qui la construit « pour après », certes, mais aussi pour le présent que nous vivons. Ce temps de l’année où s’expriment nos désirs, est, ainsi, un temps où nous pouvons construire pleinement la conscience de notre identité, où nous pouvons la formuler, lui donner des mots et des images qui échappent à l’ordinaire pour nous permettre de s’ouvrir à de nouveaux horizons. Dans cette articulation entre le réel et l’imaginaire, l’été est un temps d’attente. Il s’agit de l’attente de nouvelles perspectives, mais aussi nous attendons que se précisent les imaginaires dont nous sommes porteurs et qui prennent une dimension particulière parce qu’ils se fondent sur ces désirs que nous découvrons. Et nous revoilà dans l’actualité du moment : l’été est une période de l’année où nous construisons une philosophie politique particulière de l’actualité. Trois façons particulières de construire cette philosophie du politique s’offrent à nous. La première est la critique : le bilan signifie la critique du temps que nous venons de vivre et dont nous sortons en le conservant dans la mémoire. Ce bilan est à la fois une évaluation et une distance. La seconde est un regard de projets : en formulant de nouveaux projets, nous les confrontons aux expériences que nous venons de connaître et ce n’est pas seulement l’évaluation du passé que nous menons, mais aussi un commencement d’appréciation du futur. Enfin, cette philosophie politique de l’été est une construction du sens : l’été, nous associons à la réalité de l’expérience que nous avons connue ou que nous connaissons l’élaboration de la signification de cette expérience. Il ne s’agit plus seulement d’une pratique, mais aussi d’une interprétation. Au fond, pour reprendre un mot que avons essayé d’introduire dans cette chronique, l’été est, plus que d’autres moments de l’année, un temps au cours duquel, sans toujours nous en rendre compte, nous faisons l’expérience de la sémiologie du politique et de la société.