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Billet de blog 7 novembre 2024

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LA VICTOIRE DU TOTALITARISME

Donc, Donald Trump a remporté l’élection présidentielle de cette année, aux États-Unis. C’est lui va succéder à Joe Biden, après avoir vaincu Kamala Harris. Cela a de quoi nous questionner.

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L’échec de la démocratie

C’est, d’abord, cela, la victoire de D. Trump : la démocratie a perdu. Elle a perdu aux États-Unis comme elle avait perdu en France et dans les anciens « pays de l’Est », mais aussi, ne l’oublions pas, en Israël et dans les pays arabes et musulmans du Proche-Orient. En ce sens, la victoire de D. Trump s’inscrit dans un mouvement d’ensemble dans le monde. Les partis démocrates s’affaiblissent et ceux qui gagnent, ce sont les partis autoritaires, ségrégationnistes, favorables aux dictatures et aux pouvoirs religieux. Ne nous trompons pas : c’est bien pourquoi Donald Trump a, dès le début, proclamé son soutien à Israël. En assistant à cette victoire du chef républicain, on comprend mieux l’impasse du conflit palestinien à Gaza et du conflit libanais : ces conflits ne peuvent se résoudre car ils font se confronter les uns aux autres les mêmes acteurs politiques. Il y a des partisans des dictatures et des régimes totalitaires des deux côtés du conflit palestinien, comme aux États-Unis et dans les anciens pays de l’Europe de l’Est, en Russie et en Chine. La victoire de D. Trump manifeste aussi l’échec de la démocratie, car c’était clair : la démocratie n’aurait pu gagner que si Kamala Harris l’avait emporté. On peut, bien sûr, estimer que sa défaite tient à ce qu’elle s’était déclarée trop tard, qu’elle a été handicapée par les atermoiements sans fin du parti démocrate pour se choisir un candidat et par les défauts de la candidature de J. Biden, mais ne nous leurrons pas : ce n’est pas cela qui a fait perdre la candidate démocrate. Kamala Harris a perdu, justement, parce qu’elle était démocrate. Pour une fois, les mots ont un sens et la désignation des partis américains trouve sa vérité : les électeurs des États-Unis ne veulent pas de la démocratie. Et pourtant, ils avaient déjà fait l’expérience de D. Trump, ils savaient ce qu’ils faisaient en l’élisant pour la deuxième fois. C’est le même échec de la démocratie que celui que nous avons connu avec l’élection d’E. Macron et avec le refus de la démocratie qui s’est manifestée sous son deuxième « règne » : son refus de respecter le résultat des législatives en nommant Michel Barnier premier ministre alors que son parti avait perdu les élections montre bien que, comme D. Trump, il tente d’instaurer en France un régime qui n’est pas démocratique. Donald Trump a gagné comme Emmanuel Macron, et la démocratie et les libertés ont perdu. Mais, au-delà, il faut bien voir, en Europe, d’autres signes de ce recul de la démocratie, comme le succès de G. Meloni en Italie, ou, en France toujours, la puissance des idées et des actes d’un Vincent Bolloré. Mais cela a été rendu possible, ne l’oublions pas, parce qu’en raison de leurs erreurs et de leur sorte de déconnexion du monde, les partis de gauche ont abandonné le peuple et la démocratie.

Le recul des libertés

Il s’agit, d’abord, d’un recul des libertés, car ce ne sont pas la politique et les citoyens qui ont gagné, mais c’est l’argent. Le recul des libertés se manifeste dans tous les domaines, mais ce succès n’est pas propre aux États-Unis. C’est dans tous les pays que les libertés reculent, voire disparaissent. En Chine et en Russie, en Israël et dans les pays dirigés par le radicalisme musulman, dans beaucoup de pays européens, les libertés se perdent. En France, il n’y a pas non plus de libertés pleines et entières, car c’est l’argent qui domine avec l’aide du président Macron. Les libertés reculent devant deux adversaires puissants : le mensonge et l’argent, ces deux caractéristiques puissantes de D. Trump. mais, surtout, Donald Trump cherche à établir un régime soumis à la puissance totalitaire de l’idéologie d’extrême droite, qui, justement, se fonde sur le recul des libertés. Il n’y a pas de débat dans un pays gouverné par D. Trump, il n’y a pas de liberté de l’information ni de liberté politique, car la figure même de la liberté lui est étrangère, parce qu’il ne reconnaît qu’une liberté : celle du marché. D. Trump a cherché à mettre les médias à ses ordres, ce qu’il a, en particulier réussi, avec son usage et même son abus du réseau social « X » et l’aide d’E. Musk. P. Smolar nous rappelle, dans Le Monde du7 novembre, que D. Trump a promis d’être « un dictateur dès le premier jour ». Même s’il prétend que ce ne sera que pour le premier jour, la dictature ne se limite jamais dans le temps. C’est ce recul intense des libertés qui montre que Donald Trump, de droite lors de son premier mandat, est devenu d’extrême droite pour le second. La différence entre la droite et l’extrême droite est bien là : la droite nous impose l’hégémonie de l’argent et des inégalités, mais elle nous laisse l’illusion de réfléchir et de contester, tandis que l’extrême droite nous empêche même de penser.

Une logique de clôture

Ce qui caractérise les régimes totalitaires est la clôture : ces conceptions de la politique consistent à fermer les pays, à rendre impossibles les échanges avec les autres, qu’il s’agisse d’échanges culturels ou d’échanges économiques. C’est, ainsi que le sens de la guerre de Gaza, pour B. Netanyahou, est d’empêcher la Palestine d’avoir des échanges avec les autres pays mais aussi d’empêcher Israël d’avoir des échanges en l’enfermant dans une politique dominée par la guerre. D. Trump va aussi avoir une politique économique de fermeture, en taxant les importations, en majorant les tarifs douaniers, en expulsant les migrants. Il est allé jusqu’à imaginer de remplacer l’impôt sur le revenu par les droits de douane. Une telle conception de la politique fondée sur une idéologie de la clôture s’illustre dans tous les domaines, qu’il s’agisse de l’économie, de l’information, des institutions et de la diplomatie. La politique n’est plus fondée sur de l’échange, réel ou symbolique, mais sur de l’enfermement, comme nous l’avions connu au temps du COVID-19, qui avait permis aux dirigeants politiques de mettre en œuvre cette politique de la fermeture dans ce qui s’était appelé d’un joli mot, le « confinement », qui permettait d’éviter l’usage du mot « enfermement ». Nous ne sommes pas loin de la forclusion, par laquelle se met en œuvre la psychose. Le totalitarisme est une folie de la politique. Cette folie de la clôture se manifeste, dans le domaine de l’économie dans une autre sorte d’enfermement : dans l’enfermement dans la folie d’une croissance imaginaire, dans la clôture derrière des frontières et des murs qui nous donnent l’illusion de la sécurité en nous faisant croire qu’ils nous protègent.

La victoire des faux médias, du mensonge et de l’injure

Ce qui marque le président des États-Unis, c’est qu’il ne dit que ce qui lui permet de gagner, que ce soit vrai ou non. On peut même aller plus loin : c’est le mensonge qui lui a permis de gagner. Son usage et son abus du mensonge montrent bien ce qu’est le langage pour lui : un outil pour gagner, pour faire taire ses ennemis. La parole n’a pas à être vraie, pour D. Trump : elle n’est là que pour servir ses intérêts. Rappelons-nous, tout de même, qu’en 2024, il a été condamné pour falsification de documents comptables. Rappelons-nous aussi qu’il passe son temps à traiter les acteurs politiques de « vermine » ou de « cinglés ». Le langage de D. Trump, comme celui de tous les dictateurs et celui de tous les acteurs politiques totalitaires, n’est pas destiné au débat, car il ne veut pas qu’il y en ait, mais seulement à s’accrocher au pouvoir. À cet égard, on retrouve chez D. Trump, ce que nous trouvons chez Poutine ou chez Netanyahou : le langage n’est pas la parole d’un débat, mais il est un simple outil destiné à mieux régner. Surtout, l’important est de faire taire ses adversaires et d’occuper tout l’espace public. Cette victoire du mensonge et de l’injure est aussi la victoire d’une approche profondément anti-démocratique des médias et de l’information, qui se confondent avec les faux médias du jeu et du divertissement. Peu importe ce que l’on dit : il faut surtout empêcher les adversaires d’avoir accès à l’espace public. L’espace public n’est plus un espace politique, mais un espace domestique. D. Trump ne manifeste pas un charisme, sauf à parler d’un charisme de fou, populiste, vulgaire, conçu comme une antinomie populiste au charisme véritable, fondé sur la réalité politique d’un désir.

Le recul de la politique

C’est, enfin, ce que manifestent, ensemble, les dirigeants de l’extrême droite triomphante : la politique n’a plus de place dans notre monde. Dans sa première version, celle qui précédait la venue au pouvoir de M. Barnier, E. Macron occupait tout l’espace public, il s’occupait de tout, il décidait tout. C’est ce qu’a fait D. Trump une première fois et ce qu’il va faire une seconde. L’essentiel est de transformer l’espace public en un espace muet. C’est en cela qu’il s’agit d’un recul de la politique, car il n’y a pas de politique sans mots, sans paroles, sans discours, sans débat. Pour D. Trump, pour E. Macron, pour B. Netanyahou, ces mots-là sont presque obscènes, on ne peut pas concevoir de parole libre dans leur monde à eux. Les mots de la politique ne se disent plus, ils n’ont presque plus de sens : ce sont des mots que l’on ne peut entendre qu’en rêve - et encore : de tels dirigeants voudraient domestiquer même les rêves. C’est pourquoi il y eut la tentative de D. Trump, avortée, de putsch, après sa défaite. Et puis n’oublions tout de même pas que l’une des raisons pour lesquelles D. Trump et B. Netanyahou veulent rester au pouvoir le plus longtemps possible est que, sitôt qu’ils n’y seront plus, ils auront des comptes à rendre à la justice. Mais, pour eux, le pouvoir n’est là que pour échapper à la justice. C’est encore une marque du recul de la politique. La politique ne peut se concevoir sans justice, à la fois parce que la justice la contrôle et empêche les excès du pouvoir et parce qu’elle protège les libertés des citoyennes et des citoyens. La véritable raison de ce recul de la politique est bien la nécessité d’en finir avec les libertés. Mais, sur ce point encore, ne nous leurrons pas et ne soyons pas obsédés par les États-Unis et par la victoire de D. Trump. La guerre n’est, pour B. Netanyahou, qu’un moyen de rester au pouvoir et d’échapper aux juges, tandis qu’en France, le libéralisme n’est, pour E. Macron et M. Barnier, qu’un moyen d’imposer des normes et des lois qui seraient rejetés par un peuple qui ne veut plus d’eux. En effet, jamais, selon le Monde et Mediapart, un dirigeant français n’a été aussi impopulaire qu’E. Macron. C’est cela qu’est devenue la politique dans ces pays : un monde d’où est exclue la parole du peuple.

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