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Billet de blog 7 décembre 2023

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AU SUJET D’UNE PHOTOGRAPHIE

Aujourd’hui, nous allons parler d’une image. Il s’agit de la photographie illustrant l’article du « Monde » du 1er décembre dernier, consacré à la cérémonie religieuse des obsèques de G. Collomb, l’ancien maire de Lyon.

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Le point de départ : les obsèques de G. Collomb

J’ai vécu à Lyon de 1999 à 2011 ; cela explique mon intérêt pour les informations concernant cette ville. Mais le personnage même de G; Collomb est intéressant, car il s’agit, comme bien d’autres partisans d’E. Macron, d’un ancien socialiste. Il avait fait partie de l’opposition municipale quand des personnalités de droite étaient maire, notamment quand c’est R. Barre qui fut à la tête de la municipalité. Il était devenu maire à la tête d’une liste qui s’était présentée comme liste de gauche. Quand E. Macron fut candidat à l’élection présidentielle, ce fut, dès le début, avec le soutien de Gérard Collomb. Ancien ministre de Macron (il fut brièvement ministre de l’Intérieur au début du premier quinquennat), il fait partie de ces « faux socialistes », de ces personnalités issues du P.S. qui ont choisi de soutenir E. Macron lors de l’élection présidentielle de 2017. Ce soutien explique la présence du président à la cérémonie des obsèques, car cette disparition fait partie des événements qui scandent ses quinquennats. On peut, bien sûr, se demander pourquoi le président a participé à une cérémonie religieuse. Une fois de plus, ces obsèques font partie des événements qui mettent en doute la véritable séparation de l’Église et de l’État dans notre pays. Ce bref regard sur la cérémonie permet de situer la photographie publiée par « Le Monde ».

Présentation de la photographie d’O. Chassignole (A.F.P.)

La photo publiée par « Le Monde », dont je vais parler représente la foule sortant de la cathédrale de Lyon à l’issue de la cérémonie religieuse. Le président de la République et sa femme sont au premier rang de l’image. La photographie est toute entière véritablement remplie par la foule des participants à la cérémonie des obsèques. Cet effet de foule est dû, en particulier, au fait que la foule va au-delà des limites de l’image, puisque l’on ne peut que deviner les silhouettes de celles et de ceux qui sont situés aux extrémités de la photographie. Au premier rang de l’image, il y a le couple Macron et le prêtre qui a présidé la cérémonie. On peut voir aussi, de part et d’autre de l’image, des drapeaux français, tenus par un officier et, sans doute, par un ancien combattant. Ces drapeaux manifestent le caractère officiel de la cérémonie, le fait qu’il ne s’agit pas des obsèques d’un particulier, mais bien de celles d’une personnalité politique. D’ailleurs, on reconnaît, derrière le président, la première ministre, E. Borne, et l’ancien président, F. Hollande. Enfin, nous pouvons nous arrêter un instant sur le lieu de la photographie : il s’agit du portail de la cathédrale. Cette photographie est à la limite entre l’intérieur et l’extérieur : c’est l’image d’un seuil, le lieu d’un passage, d’une transition. Cela représente pleinement l’obsession politique d’E. Macron, qui, somme toute, ne veut être nulle part, ne revendique aucune appartenance, mais se situe entre la gauche et la droite, comme s’il pouvait exister, précisément, une « politique de la porte », une politique de la transition.

Le punctum et le studium

C’est à un livre très riche consacré à la photographie par Roland Barthes, La chambre claire, que je vais emprunter beaucoup d’éléments de cet article. Il faut ajouter que Barthes trouve lui-même la mort dans un accident, ce qui donne un écho particulier à ses propos sur le lien entre la photographie et la mort. Dans ce livre, Barthes explique que, dans l’image, on peut trouver deux éléments essentiels - un espace, celui du « studium », c’est-à-dire celui qui est mis en scène par notre culture, qui est composé d’éléments généraux que l’on peut trouver dans toutes les photographies, et un point, que Barthes propose, d’ailleurs, d’appeler le « punctum ». Le point, c’est, d’abord, un point dans l’espace, un point que l’on va repérer dans l’espace de l’image, un point, aussi, à partir duquel notre lecture de l’image va être ordonnée, structurée. Mais le point, c’est aussi, ce qui point, ce qui naît, ou, plutôt, ce qui fait naître notre regard de l’image, le point qui va être par où notre désir va s’exprimer dans notre lecture de l’image. Mais ce qui point, comme dans ce que l’on appelle un « point de côté », c’est aussi ce qui fait mal, ou, en tout cas, ce qui suscite l’éveil de nos sensations. Il s’agit du point du jour qui met fin à la nuit - en l’occurrence le point de la signification, ce par quoi la signification point, mettant fin, ainsi, au brouillard ou à la nuit de l’absence de sens. Ce que nous explique Barthes, dans « La chambre claire », c’est qu’une photographie fonde l’espace de la représentation sur la tension entre le studium et le punctum. 

La mise en scène de la photo du « Monde »

La photo prise par O. Chassignol pour l’A.F.P. représente un espace soigneusement mis en scène par le photographe. En particulier, on peut y déceler un studium et un punctum. Le studium, c’est ce qui, dans la photographie, représente la société. C’est la représentation de cette foule indistincte qui sort de l’église et qui, en quelque sorte, « fait nombre ». Le studium montre ce qui, dans l’image, représente le corps social, la société qui se reconnaît dans la cérémonie qui vient d’avoir lieu, dans cette cérémonie au cours de laquelle elle s’est refondée, une fois de plus, dans la cérémonie des obsèques d’une personnalité importante qui la représente. Le punctum se situe au deuxième rang de l’image,  à droite : il s’agit d’un homme en train de téléphoner avec son mobile, juste derrière le couple Macron. Il s’agit d’une sorte d’accroc, de déchirure du tissu narratif de l’image. La continuité du récit photographique de cette sortie des obsèques est déchirée par ce point qui n’a rien à faire là. On a, en principe, d’autres choses à faire au cours d’une cérémonie d’obsèques, que de téléphoner avec son mobile. Le punctum se situe dans le contraste entre la solennité de la cérémonie, même, sans doute, dans l’émotion présente chez toutes celles et tous ceux qui y participent, et la conversation au moyen du mobile, qui montre une sorte d’indifférence de la part de celui qui téléphone à tout ce qui l’entoure. En téléphonant, il se met lui-même en-dehors, il est à part, isolé de la foule.

Les significations du punctum de la photographie

Ce punctum présente une multiplicité de significations qu’il importe de bien faire apparaître, pour bien comprendre le sens de la photographie. D’abord, il s’agit d’une représentation de plus de la véritable hégémonie du téléphone mobile. Partout dans le monde, à tout moment, y compris, donc, au cours d’une cérémonie d’obsèques, on se trouve en présence de personnes qui téléphonent dans leur mobile, s’isolant, ainsi, du monde qui les entoure, qu’ils ignorent. Cet homme qui téléphone montre que les femmes et les hommes de notre temps semblent, en quelque sorte, tellement angoissés d’être seuls dans le monde social qu’il leur faut cet ombilic qui les rattache à leur monde à eux. Mais l’omniprésence du téléphone mobile a une autre signification : il s’agit d’un moyen de plus grâce auquel la société peut nous surveiller en permanence. Le téléphone mobile a remplacé la surveillance du regard de la société sur chacune et chacun de nous. Il s’agit, ainsi, d’une nouvelle dépendance - à la fois parce que le téléphone mobile est devenu une véritable addiction et parce qu’il constitue une aliénation de plus à laquelle nous sommes soumis. Mais, en termes de communication, il s’agit, en réalité, d’une fausse communication de plus, d’une sorte d’illusion, car, enfin, dans une conversation téléphonique, l’autre n’est pas là. Enfin, et c’est ce que montre le punctum de la photographie de la sortie de la cérémonie des obsèques de G. Collomb, le téléphone mobile est une sorte d’achèvement de la médiatisation du monde. Dans la communication, illusoire mais hégémonique, par le téléphone mobile, la médiation, c’est-à-dire la dialectique entre le singulier et le collectif qui fonde la communication et l’échange avec l’autre, est remplacée par une médiatisation, qui remplace la médiation authentique par des artifices qui simulent la communication au moyen d’outils technologiques à qui un véritable pouvoir finit par être reconnu. Face, par exemple, à la vérité de l’angoisse de la mort au cours de cette cérémonie.

Voici le lien pour accéder à la photographie :

https://journal.lemonde.fr/data/3375/reader/reader.html?xtor=EPR-32280632-%5Bjelec%5D-20231130-%5Bcta_lire%5D#!preferred/0/package/3375/pub/4734/page/11

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