Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

358 Billets

1 Éditions

Billet de blog 8 octobre 2020

Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

UN POUVOIR ABSOLU

Une fois de plus, nous allons, aujourd’hui, parler du coronavirus, mais nous n’allons pas en parler d’un point de vue sanitaire, mais nous allons évoquer la dimension politique de la pandémie – en l’occurrence sa relation au pouvoir

Bernard Lamizet (avatar)

Bernard Lamizet

Ancien professeur à l'Institut d'Études Politiques de Lyon

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une fois de plus, nous allons, aujourd’hui, parler du coronavirus, mais nous n’allons pas en parler d’un point de vue sanitaire, mais nous allons évoquer la dimension politique de la pandémie – en l’occurrence sa relation au pouvoir.

Pourquoi parler d’un pouvoir absolu ?

Si nous parlons d’un pouvoir absolu, c’est en raison de l’absence de débat et d’échanges avec les collectivités locales concernées qui a caractérisé les mesures imposées par l’exécutif à plusieurs métropoles, dont celle de Marseille, en particulier la fermeture des cafés et des restaurants. Nous ne nous préoccuperons pas aujourd’hui de la signification particulière de cette mesure – encore qu’il faudra, sans doute, le faire à un moment donné – mais nous nous attacherons aux conditions dans lesquelles cette décision a été prise et à ce qu’elle manifeste d’une certaine conception du pouvoir. Ce qui a caractérisé cette mesure – et les réactions des élus concernés le montrent bien, c’est l’absence d’échanges et de concertation qui l’a précédée. Il ne s’est pas agi d’une mesure prise démocratiquement, à l’issue de débats et de dialogues avec les collectivités locales concernées, mais l’exécutif a imposé cette décision sans se soucier de la façon dont elle allait être reçue – ni, bien sûr, de la manière dont elle allait être réellement mise en œuvre dans les espaces où elle était imposée. C’est bien pourquoi nous nous trouvons devant la manifestation d’un pouvoir absolu, c’est-à-dire d’un pouvoir qui se suffit à lui-même, qui ne se préoccupe pas de sa relation aux acteurs politiques, qui ne se soucie pas de la dimension démocratique de ses décisions et de ses initiatives. La politique de santé publique élaborée et engagée par l’exécutif à l’occasion de la pandémie manifeste une conception du pouvoir qui échappe à la démocratie, qui est fondamentalement étrangère à ce que Montesquieu pouvait appeler, au dix-huitième siècle, l’esprit des lois. En imposant des normes sanitaires hors de tout échange, l’exécutif manifeste une conception absolutiste du pouvoir. Il ne s’agit pas seulement de la fermeture des bars, mais bien de la conception du pouvoir que manifestent les conditions dans lesquelles cette mesure a été imposée.

La loi et le pouvoir

En effet, qu’est-ce que la loi ? Une fois de plus, nous allons parler des mots : le mot « loi » vient du latin « lex », qui est lui-même fondé sur le radical leg, qui signifie parler (c’est sur ce radical qu’est forme le mot grec logos, le discours, et lego veut dire, en grec, « je parle » et, en latin, « je lis ». La loi, c’est donc, d’abord de la parole, c’est un ensemble de mots qui, parce qu’ils sont énoncés dans certaines conditions, s’imposent comme des normes aux peuples, aux sociétés, aux systèmes sociaux qu’ils concernent. C’est sur cette approche de la loi que se fonde la distinction majeure entre la démocratie et les autres systèmes politiques comme les dictatures ou les monarchies. Dans les monarchies et les dictatures, c’est l’exécutif qui impose la loi, tandis que, dans les démocraties, la loi est élaborée au cours d’un débat associant des élus, des expressions de l’opinion publique, des institutions elles-mêmes démocratiquement fondées. Il y a deux conceptions de la relation entre la loi et le pouvoir : ou c’est le pouvoir exécutif qui fonde la loi et qui l’impose, ou le pouvoir exécutif se trouve lui-même soumis à une loi élaborée par d’autres pouvoirs. C’est justement cette intervention de différents pouvoirs dans la vie institutionnelle qui fonde le caractère démocratique d’un régime politique, parce qu’elle impose une pluralité de pouvoirs, parce que certains pouvoirs agissent comme des contre-pouvoirs venant limiter la puissance d’autres, parce que la loi est élaborée au cours d’un dialogue, d’un échange. Ce que l’exécutif cherche à imposer, en imposant des normes et des règles de vie en-dehors de tout débat, c’est un rapport de forces. Comme si la loi pouvait se fonder sur une simple confrontation entre des acteurs politiques et entre leurs forces.

La loi et la communication

C’est que la communication fonde la démocratie, pour plusieurs raisons. D’abord, la communication définit une situation dans laquelle ont lieu des échanges, des débats, des dialogues, entre des acteurs politiques différents, ainsi contraints de se soumettre à l’opinion des autres, de mettre en œuvre des dialogues qui les oblige à être à l’écoute d’autres acteurs, d’autres institutions. Par ailleurs, c’est parce que la vie politique se fonde, ainsi, sur la communication et sur les échanges, qu’elle est nourrie de publications, d’écrits, de paroles, par lesquels les habitants d’un pays expriment leur citoyenneté librement et donnent leur avis sur les lois en cours d’élaboration, et, de façon plus générale, sur la vie institutionnelle dans laquelle ils se situent. Enfin, si la loi, la lex, c’est-à-dire des mots, peut être pleinement mise en œuvre, peut pleinement manifester l’identité du pays dans lequel elle est élaborée, de la société qui l’adopte, c’est parce que les habitants de ce pays, celles et ceux qui font partie de cette société, se la sont pleinement appropriée par les mots qu’ils reconnaissent comme les leurs parce qu’ils sont énoncés au cours d’un débat libre et sans entraves, sans restrictions, sans limites. La dimension pleinement symbolique, langagière, de la loi fonde sa mise en œuvre, parce que, pour l’appliquer, les citoyens doivent s’être approprié la loi en participant au débat et aux échanges qui ont fondé son élaboration. C’est pourquoi, en dehors même de son illégitimité, la censure ne peut jamais être même efficace dans une société. Pour que la norme soit pleinement mise en œuvre dans un pays, il faut que les habitants de ce pays l’aient validée, se la soient appropriée, à l’issue d’un processus de communication, d’échanges et de circulation de l’information. En ce sens, il importe de ne pas confondre la communication politique avec la publicité ou avec la propagande : la communication politique désigne l’ensemble des pratiques sociales au cours desquelles un peuple reconnaît la loi comme sienne en l’exprimant et en fondant sa légitimité.

La loi et le pouvoir absolu

Si la loi est nécessairement élaborée dans le cadre d’un débat démocratique, c’est parce que, dans un régime fondé sur un pouvoir absolu, la loi est imposée dans le cadre d’un rapport de forces. Rappelons-nous ce qu’écrit Rousseau, dans le Contrat social : « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir ». Ces mots de Rousseau sont à lire, à relire, ils sont ce qui nous permet d’évaluer le caractère démocratique d’un pouvoir. En effet, que nous dit Rousseau, en écrivant cela, en 1762, moins de trente ans avant la prise de la Bastille ? D’abord, il nous rappelle que le droit se distingue de la force. Il ne peut y avoir de droit fondé sur l’usage de la force, de loi imposée par la contrainte. Il s’agit, ainsi, d’une forme de rappel de ce qui fonde la démocratie. Par ailleurs, ce que nous dit Rousseau, c’est que, même en se situant dans la logique d’un régime de contrainte, dans un système politique fondé sur la force et la violence, le pouvoir risque toujours de trouver plus fort que soi. Ainsi, la force ne peut garantir la durée d’un pouvoir. Et, de fait, les dictatures ne durent jamais aussi longtemps que les régimes démocratiques. Enfin, ce que nous explique Rousseau, c’est que, pour pouvoir pleinement mise en œuvre, la loi dont se fonder sur sa reconnaissance par les citoyens à qui elle est destinée. Pour être légitime (encore un mot qui vient du mot qui veut dire parler ou lire), la loi doit être reconnue, en quelque sorte validée, par ceux qui font partie de la société qu’elle est appelée à réguler, à organiser. C’est pourquoi un pouvoir absolu ne peut jamais pleinement imposer une loi, parce qu’elle demeure étrangère à ceux à qui elle est imposée. À quoi sert la désignation des acteurs du pouvoir à l’issue d’élections si la démocratie est déniée par ces acteurs une fois qu’ils exercent le pouvoir qui, finalement, ne leur a pas été confié, mais qu’ils ont ainsi confisqué ?

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.