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Billet de blog 8 décembre 2022

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UN EXÉCUTIF D’IMPRÉVOYANCE ET D’INSÉCURITÉ

En raison, paraît-il, de prolongations des opérations de maintenance de réacteurs nucléaires, nous risquons de subir des coupures de courant électrique en janvier. C’est l’occasion de réfléchir, une fois de plus, à l’incompétence de l’exécutif.

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Les menaces de délestage

C’est donc, peut-être, en janvier que cela risque de produire. Nous sommes dans l’à-peu-près, dans le « peut-être », qui ne sont, finalement, que des variantes du « en même temps ». Mais cette menace nous pousse à consacrer une chronique à ces menaces de coupures de courant, à ce qu’elles représentent, à ce qu’elles signifient – moins en termes de fourniture d’électricité ou en termes de vie quotidienne qu’en termes de conception du pouvoir. Nous sommes, ainsi, à la fois dans la menace et dans la norme de vie. En effet, non seulement, une fois de plus dans un pouvoir fondé sur la menace – il s’agit de faire peur, d’inquiéter – et sur la norme de vie quotidienne. En effet, en annonçant des coupures entre 8 heures et 13 heures et entre 18 heures et 20 heures, l’exécutif se conduit comme les religions : il organise le temps de celles et de ceux qui, certes, ne sont pas tous ses fidèles mais lui sont tous soumis. Ces menaces se situent aux heures qui pénalisent le plus les particuliers, les familles, les gens du peuple. C’est là que se situe la véritable insécurité, et non dans les violences dont on nous parle tant pour justifier les excès de la police. On ajoutera que, comme par hasard, Paris sera à l’abri des délestages, par cette sorte de frénésie centralisatrice qui organise notre pays.

Le rôle de l’énergie dans notre vie

Surtout, le poids de ces menaces manifeste le rôle croissant des fournitures d’énergie dans notre vie. On peut parler d’une médiation énergétique, au sens où l’énergie représente, désormais, une de ces « médiations » qui structurent la vie sociale, une de ces expressions de la relation entre le singulier et le collectif. Nous ne pouvons plus concevoir l’énergie comme un instrument, comme un outil : elle est bien plus que cela, car elle constitue l’une des figures qui organisent la relation qui s’établit entre notre vie quotidienne singulière et notre appartenance sociale, entre notre identité singulière et notre identité collective. Par ailleurs, l’énergie est une figure qui prend la forme du flux, du courant qui circule : en ce sens, elle s’inscrit dans les figures de la fécondité et du flux vital de la sexualité. L’énergie est bien plus que ce qui nous permet de faire fonctionner nos instruments de vie et nos outils de travail : elle fait de nous des êtres de vie sociale.

Énergie et pouvoir

C’est pour cette raison qu’il y a une sorte d’urgence dans la nécessité de penser la relation entre l’énergie et le pouvoir, de questionner la place de l’énergie dans les pratiques sociales de l’exercice du pouvoir. Réguler ou limiter l’usage de l’électricité par les particuliers est une des nombreuses manières d’exercer son pouvoir sur eux, de manifester une forme d’hégémonie, mais, en même temps, si l’on se place au point de vue de la géopolitique et de l’économie politique, l’énergie, notamment en raison des crises de production et d’échange, est devenue un des éléments majeurs de l’économie politique. L’énergie est devenue l’un des outils de la puissance politique des pays producteurs – notamment du pétrole, mais aussi du gaz, comme on peut s’en rendre compte, aujourd’hui, avec le rôle qu’il joue dans la puissance de la Russie dans le conflit ukrainien. Comme tous les pouvoirs qui s’imposent sur les médiations, le pouvoir de l’énergie impose sa domination aux personnes comme aux états, aux individus comme aux entreprises.

L’incompétence de l’exécutif

C’est ce qui frappe dans l’aventure des délestages, c’est, au choix, le déni de l’exécutif ou son incompétence. Si l’on sait que c’est en novembre que l’alerte a été lancée par les fournisseurs d’électricité, on se demande pourquoi il faut attendre décembre pour les informations circulent – c’est-à-dire au moment où il n’y a plus de place pour l’information devant l’urgence, mais seulement pour la menace, pour l’exercice d’un pouvoir qui semble, lui, s’éclairer à la bougie et, surtout, ne pas diffuser d’information ou, en tout cas, le môns possible. À moins qu’il ne s’agisse de simple incompétence, car, enfin, si la contrainte des délestages est due à des opérations de maintenance des centrales, sans doute celles-ci auraient-elles pu être mieux organisées afin que les usagers ne soient pas pénalisés. Car, si ce sont les usages qui, comme toujours, finissent par être les victimes des défaillances des politiques mises en œuvre par le pouvoir, c’est qu’il y a toujours un lien entre incompétence et dictature, l’une étant toujours le parapluie de l’autre. Nous ne sommes même plus dans une situation d’adhésion ou d’opposition à ce pouvoir, nous sommes tout simplement les otages de son incompétence.

Un pouvoir qui gouverne dans la menace

La menace du COVID-19, la menace de la guerre en Ukraine, aujourd’hui la menace énergétique : ce pouvoir ne sait gouverner que dans la menace. Il n’y a plus de débat public, il n’y plus de débat à l’Assemblée, puisque les députés sont sous la menace du 49-3. Comme il n’a pas de projet, comme il semble n’être là que pour régner, l’exécutif macrono-bornien ne sait régner que par la menace. Il n’est plus question depuis longtemps de la recherche de l’adhésion du peuple à ses mesures ou à ses choix, il n’a jamais été question d’un véritable débat public, il n’y a que de la menace. Si vous ne vous conduise pas comme nous le voulons, voici ce qui va vous arriver. L’espace public a été fermé depuis longtemps pour travaux, et il n’y a plus de liberté, ni de critique, ni même d’information. Ce n’est pas seulement le courant électrique qui fait l’objet de délestages, c’est l’opinion qui subit des délestages continus depuis 2017. Le président et le gouvernement ne peuvent plus exercer autrement le pouvoir qu’ils ont confisqué à la faveur d’une autre menace : celle de l’accession au pouvoir du Rassemblement national. Et, par conséquent, dans le domaine de l’énergie comme dans les autres, puisque ce pouvoir ne sait pas ce qu’est un projet, il ne s’exerce qu’en cherchant à faire peur. Sans doute aurait-il été possible depuis 2017, depuis six ans, d’imaginer une autre politique de l’énergie afin d’échapper aux puissances du marché ou de l’urgence, mais ce pouvoir en a été bien incapable.

Imaginer une autre politique de l’énergie

C’est, finalement, la seule question qui vaille, aujourd’hui. Comment concevoir une autre politique de l’énergie, différente, qui nous permette de nous libérer de cette double emprise, du marché et de l’urgence. Se libérer de l’urgence, ce serait concevoir une politique de l’énergie qui s’inscrive dans le temps long, qui s’inscrive dans une conception de la politique qui se situe dans une véritable rationalité regardant dans le long terme. C’est bien pour cela que des politiques de l’énergie « intelligentes » se situent dans la diversification des sources d’énergie, notamment dans l’usage des énergies renouvelables. Mais, pour cela, il faut avoir une politique de l’énergie qui se libère des contraintes du marché. Se libérer du marché, c’est concevoir l’énergie comme un bien d’usage et non comme un bien de commerce. Nous nous trouvons, une fois de plus, devant ce rappel : comme l’économie, l’énergie ne peut être que politique. Il faut en finir avec le déni du politique dans le domaine de l’économie et dans celui de l’énergie. L’énergie ne doit pas se vendre, ne doit pas faire l’objet d’un commerce, car c’est multiplier les relations de dépendance des pays. L’énergie politique est une énergie qui se fonde sur l’articulation entre la production et l’usage, sur un dialogue réel, permanent, entre les acteurs qui la produisent et la diffusent et les acteurs qui l’utilisent et qui fondent sur elle leurs pratiques sociales. Pour cela, la médiation énergétique ne doit plus se soumettre aux pouvoirs hégémoniques des acteurs du marché, mais elle doit se penser dans la logique d’une culture : de la culture de l’énergie, qui lui donne un sens, au lieu de devoir s’y soumettre.

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